
Avec les députés américains d’origine
libanaise: Ray Lahood, Nick Rahal et le secrétaire général
de la “Task Force for Lebanon”.
Le président Amine Gemayel a pris, récemment,
la parole devant la commission des A.E. du Congrès U.S. et à
son invitation, faisant un exposé détaillé de la situation
au Liban et proposant un projet cohérent de solution pour l’avenir.
Dans le cadre de cet entretien effectué à partir de Beyrouth,
il a bien voulu évoquer pour nous, l’importance de son témoignage
devant les congressmen, la réaction positive de ces derniers aux
propos qu’il a tenus, aux propositions qu’il a formulées et l’espoir
que les “Américains pourront procéder à une nouvelle
lecture et à une nouvelle évaluation de la portée
de la crise libanaise, comme de son influence sur la stratégie U.S.
dans la région.” Voici nos questions et ses réponses.

Le président Gemayel lors de son témoignage.

Au côté de l’ambassadeur du Liban, M. Chaath
avant l’ouverture de la séance.

David Weilde assistant du secrétaire d’Etat pour
le Moyen-Orient et Jim Mac Kune, responsable de la lutte antiterroriste
au département d’Etat, lors de leur déposition.

Des représentants des délégations
libanaises de New York (Rida Bouhabib), Detroit (Toufic Soueyd), Cleveland
(Georges Faddoul) et Canada (Karim Haddad) sur le porche du Congrès.

Avec le président de la commission des relations
internationales au Congrès, M. Ben Gilman (à gauche), et
l’ambassadeur du Liban à Washington, M. Chaath.

Le président Gemayel avec M. Jim Soriano, premier
conseiller du président de la commission et son épouse, Nadine
Victor Moussa, dans la salle des débats.
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AMINE GEMAYEL:
“J’Y AI PARLÉ AU NOM DU LIBAN AUTHENTIQUE
ET TROUVÉ DES OREILLES ATTENTIVES. LA RÉACTION DES CONGRESSMEN
A ÉTÉ TRÈS POSITIVE”
PRISE DE CONSCIENCE AMÉRICAINE VIS-À-VIS
DU LIBAN
- Quel a été l’impact de votre témoignage
devant la commission des A.E. du Congrès?
“Le fait même d’avoir été invité par le
Congrès américain en tant que représentant du front
du refus libanais pour témoigner au nom du Liban indépendant
et souverain, est un événement en soi. C’est le signe d’une
prise de conscience américaine vis-à-vis de notre pays. Depuis
longtemps, le Liban est victime d’une machination régionale et internationale
qui vise son entité propre. Un auteur romain, Tacite, écrivait
sur les conquêtes de César: “Il a fait le silence et on a
appelé ceci la paix.” Or, le Congrès américain a décidé
de casser cette conspiration du silence en me donnant la parole officiellement
et en public pour parler de la paix libanaise véritable, celle fondée
sur la souveraineté de l’Etat et la liberté du peuple. C’est
déjà une première victoire. “Pour autant, nous savons
pertinemment bien que la crise du Liban n’est pas résolue. C’est
une reconnaissance internationale que mon pays est la victime d’une grande
injustice. Il y a encore beaucoup à faire pour transformer cette
prise de conscience en initiatives pratiques. C’est, d’ailleurs, à
quoi je travaille assidûment. Je ne laisserai pas cette percée
politique se terminer en queue de poisson. Surtout que j’ai trouvé
au Congrès américain des oreilles attentives et des disponibilités
efficaces”.
NOUS ATTENDONS DES INITIATIVES CONCRÈTES
- Y a-t-il des promesses américaines fermes et concrètes
concernant la politique U.S. vis-à-vis du Liban?
Ou bien s’agit-il simplement de propos de complaisance? “Il faut distinguer
entre l’administration américaine et le Congrès américain.
Chacun a ses prérogatives. La politique étrangère
se décide au niveau du département d’Etat et c’est de lui
que nous attendons des initiatives concrètes. La commission qui
m’a invité a une grande influence sur l’administration et cette
initiative est un message clair. “D’ailleurs, les diplomates américains
présents à la séance, ont pu reconnaître: 1-
que le Liban n’était pas totalement souverain; 2- que les dernières
élections législatives étaient entachées d’irrégularités
sérieuses; 3- que le terrorisme sévissait toujours dans certaines
régions du Liban, y compris à proximité de la capitale,
ce qui justifie selon eux le maintien de sanctions contre le Liban; 4-
que les laboratoires et le trafic de drogue sévissaient toujours
sur le territoire libanais; 5- que, finalement, le Liban méritait
une attention particulière afin de l’aider à instaurer une
paix véritable. “Quant à savoir si ces propos étaient
sérieux ou simplement de complaisance, je dirai que c’est le pragmatisme
qui détermine pour beaucoup la politique extérieure des U.S.A.
On peut croire que les Etats-Unis font une nouvelle lecture, une nouvelle
évaluation de la portée de la crise libanaise et de son influence
sur la stratégie américaine dans la région. Rien ne
les obligeait à prendre cette initiative. Donc, on ne peut pas parler
de complaisance. Certains détracteurs cherchent à minimiser
ou banaliser cette initiative. Libre à eux de se confiner dans leurs
erreurs ou leurs illusions. Le monde évolue et les peuples les plus
opprimés s’affranchissent de plus en plus. On veut nous faire croire
que le peuple libanais acceptera longtemps encore cet asservissement et
que la situation régionale restera immuable, confinant les uns et
les autres dans leur arrogance, leurs diktats et leurs ambitions folles.”
LE LIBAN PEUT AIDER À DÉGELER LE
PROCESSUS DE PAIX
- Quelles ont été les idées - forces de
votre exposé?
“C’était un exposé que je voulais constructif. “Evidemment,
j’ai d’abord parlé du drame que subissent les Libanais au quotidien,
nos concitoyens du Sud ployant sous le joug de l’armée israélienne
qui occupe leur région avec son lot de mort et de désolation
et le reste de la population qui vit sous le joug d’un régime dictatorial
soumis à la Syrie qui les prive de leur droit élémentaire
à une vie digne et libre. Mon message se place dans la ligne de
l’Exhortation apostolique proclamée le mois dernier à Beyrouth
lors de la visite de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, qui montre
du doigt “l’occupation israélienne... et la présence syrienne”,
comme facteurs de déstabilisation du Liban. “Mais le plus important
était ma proposition concrète pour une initiative américaine
en faveur de mon pays. J’ai considéré que le processus de
paix au Proche-Orient était dans une impasse depuis l’avènement
du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui prône
une politique annexionniste et provocatrice. Les Etats-Unis, principaux
parrains de ce processus, ont tout intérêt à sortir
le processus de cette impasse. Ne serait-ce que par une initiative modeste
qui pourrait renouer le dialogue arabo-israélien et rétablir
le minimum de confiance entre les divers protagonistes. “Avec les Palestiniens,
il semble que ceci soit difficile pour le moment; avec les Syriens encore
plus; et en ce qui concerne le Liban, il est tout simplement inexistant
dans la mesure où le pouvoir libanais est totalement inféodé
à la Syrie. Paradoxalement, le Liban peut aider à dégeler
le processus et être un détonateur pour une nouvelle initiative,
bien que modeste, pouvant constituer un premier pas sérieux en direction
de la paix régionale.”
LA DIPLOMATIE U.S. BAT DE L’AILE
- Quelle est votre proposition?
“Cette proposition est la suivante: le Liban avait toujours réclamé
à cor et à cri l’application des résolutions 425 et
426 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui exigent le retrait
de l’armée israélienne du Liban contre des arrangements de
sécurité. C’est ainsi que fut constituée, en 1978,
la FINUL. Israël s’était toujours refusé à l’application
de ces deux résolutions. “Or, dernièrement, M. Netanyahu
a annoncé une initiative sous l’appellation: “le Liban d’abord”
et qui, en fait, se recoupe totalement avec les résolutions 425
et 426. Car dans ses propositions, Netanyahu ne réclame rien d’autre
que le retrait de son armée contre des mesures de sécurité
au Liban-Sud. “En même temps, les hautes autorités libanaises
avaient déclaré, à maintes reprises, leur disposition
à garantir le calme et la sécurité à la frontière
libano-israélienne par l’intermédiaire de notre armée
forte de plus ou moins 60.000 hommes, si les Israéliens se retiraient;
le Hezbollah, principale organisation de résistance au Sud, s’était
rallié publiquement à la position de l’Etat libanais. “Dans
ce contexte positif, pourquoi Washington ne prendrait pas toutes ces parties
au mot? Forte de ses relations avec Beyrouth, Damas et Tel-Aviv..., elle
les pousserait à s’entendre sur les modalités de ce retrait
israélien. Les succès de la diplomatie américaine
en Bosnie et ailleurs devraient les inciter à initier ce processus
diplomatique. Le résultat serait évidemment très bénéfique
pour le Liban d’abord mais, aussi, pour ses voisins. De plus, il ne devrait
pas heurter la Syrie dans la mesure où ces arrangements de sécurité,
à l’instar de ce qui s’est fait au Golan entre Syriens et Israéliens,
ne signifient pas du tout “accord de paix”. Nous sommes tous d’accord au
Liban que la paix ne sera signée entre Beyrouth et Tel-Aviv que
dans le cadre d’un consensus avec la Syrie. Il n’est pas question pour
nous de signer une paix isolée. “Il ne faudrait pas oublier que,
suite à la guerre du Golfe, les Etats-Unis avaient invité
Arabes et Israéliens à Madrid afin de discuter de paix. En
ce moment, la diplomatie américaine bat de l’aile dans notre région.
C’est une façon pour Washington de renouer le dialogue presque suspendu
entre elle et Beyrouth, Damas et Tel-Aviv, même si c’est sur un plan
plus modeste que celui de la paix générale qui ne semble
pas très mûre à ce stade. “Si cette initiative réussissait,
l’application des résolutions 425 et 426 pourrait s’accompagner,
avec l’aide de Washington, de l’application par la Syrie de l’accord de
Taëf, surtout en ce qui concerne le redéploiement de l’armée
syrienne dans la Békaa comme première étape et l’organisation
d’élections législatives libres sous contrôle international.”
RÉACTION TRÈS POSITIVE DU CONGRÈS
U.S.
- Comment les membres de la commission ont-ils réagi aux
idées forces de votre exposé?
“La réaction du Congrès américain était
très positive. Le président de la commission, le député
Benjamin Gilman, s’est beaucoup attardé sur cette proposition. Il
s’est même demandé à haute voix: Pourquoi l’administration
du président Clinton ne s’inspirerait-elle pas des propos du président
Gemayel pour sortir le processus de paix de l’impasse? Ceci est mentionné
dans le procès-verbal de la réunion qui sera bientôt
publié. Par la suite, bon nombre de responsables américains
et d’autres observateurs présents à la séance ont
voulu aller plus loin et m’ont demandé de clarifier ces idées
par écrit. Ce que j’ai promis de faire le plus tôt. “Ce sera
une grande opportunité pour le Liban si nous arrivons à convaincre
Washington que le Liban, loin d’être un détonateur permanent
de conflits, peut devenir un initiateur de paix. Ce qu’il avait d’ailleurs
toujours été.” - Le président Salim Hoss a refuté
les propos de Kelly disant qu’il s’agit de “calomnies”. Qu’avez-vous à
répondre? “Le Dr Hoss que, par ailleurs, je respecte et considère
comme l’un des hommes politiques les plus dignes, devrait demander à
Washington de plus amples précisions. Je suis sûr que le memorandum
de l’ambassadeur Kelly existe avec de plus amples détails dans les
archives du département d’Etat. L’ambassadeur Jones devrait pouvoir
se le procurer. D’ailleurs, John Kelly appréciait beaucoup le Dr
Hoss et le message s’en prend, surtout, à la Syrie qui “intimide”
les leaders libanais. On peut demander à quelqu’un d’être
courageux, mais pas suicidaire. L’exemple de Salim El-Lawzi, Kamal Joumblatt,
cheikh Hassan Khaled, Mohamed Choucair, Bachir Gemayel et j’en passe...
n’en sont que quelques funestes et douloureuses illustrations.”
LE PROCESSUS DE PAIX DANS L’IMPASSE
- Qu’en est-il du processus de paix vu de Washington?
“Il est indiscutable que le processus de paix est dans l’impasse. Même
ses acquis considérés comme définitifs peuvent être
remis en cause. Depuis l’avènement de M. Benjamin Netanyahu au pouvoir
en Israël, les situations politique et sécuritaire au Proche-Orient
ne cessent de se dégrader et le fossé se creuser de nouveau
entre les Arabes et Israël. Il y a une véritable crise de confiance.
C’est pourquoi, ma proposition prend une importance stratégique.
Car une petite percée diplomatique, même modeste, peut déclencher
une dynamique plus grande.” - Croyez-vous que les Américains soient
disposés à réviser leur politique au Liban tel que
vous l’avez demandé? “Il est incontestable que Washington est en
train de faire une nouvelle lecture de la situation au Proche-Orient à
la lumière des derniers développements. Cependant, il est
impératif que les Libanais fassent aussi des efforts. Car, rien
n’est gratuit en politique et nous pourrons râter le coche à
nouveau. Il est regrettable que le pouvoir soit ainsi sclérosé,
miné de l’intérieur, inféodé à l’extérieur.
Le peuple libanais devrait pouvoir s’exprimer librement, c’est pourquoi
mon intervention à Washington était indispensable. J’ai parlé
au nom de ceux qui ne pouvaient pas le faire. J’ai parlé au nom
du Liban authentique”.
LES ÉLECTIONS PARTIELLES, UNE MASCARADE
- Que dire des partielles qui ont eu lieu le 29 juin?
“Je ne suis en rien concerné par cette mascarade. C’est une
parodie électorale. C’est vrai que la participation a été
plus dense, mais c’est encore plus dangereux. “On sait comment les Libanais
sont entraînés dans un processus implacable de normalisation
forcée. L’anecdote des 99,9% ne trompe personne. Si la participation
aux élections est massive en Syrie et en Irak, cela ne veut pas
dire que ces élections sont réellement démocratiques.
Il est regrettable pour le Liban, qui a toujours été dans
cette région du monde, un exemple de démocratie et de liberté,
soit en train de basculer dans le giron des pays totalitaires où
les élections se transforment en plébiscite artificiel et
forcé.” - La présence du général Aoun avec
vous aurait-elle donné plus de poids à votre témoignage
devant le Congrès américain? “L’union fait la force. Deux
voix valent mieux qu’une seule. L’essentiel était de transmettre
le message. C’est ce que je me suis efforcé de faire. Je ne pense
pas qu’on pouvait être plus clair”. - Pourquoi Aoun n’a-t-il pas
au fait pu se rendre aux U.S.A.? “Je ne sais pas. Il faudrait le lui demander”.
- Où en est votre coalition avec le général Aoun et
Dory Chamoun? “Nous travaillons toujours unis et en concertation permanente.
Le général Aoun et Dory Chamoun m’ont téléphoné
et m’ont exprimé leur entière solidarité avec mon
témoignage au Congrès américain. Nous nous réunissons
souvent et surtout chaque fois que Dory est à Paris.”
NOTRE JEUNESSE, ESPOIR DU RENOUVEAU
- Y a-t-il des contacts avec l’opposition à Beyrouth?
“L’opposition dont vous parlez est un leurre. Il y a, tout d’abord,
sur le terrain un front du refus populaire, le plus souvent latent ou clandestin.
Une majorité silencieuse qui agit à sa façon et s’exprime
chaque fois qu’elle le peut pour défendre la souveraineté,
l’indépendance et la liberté. “La visite du Pape au Liban
a été une occasion pour cette majorité silencieuse
d’exprimer massivement son sentiment de rejet de toute la politique du
pouvoir actuel. “Il était édifiant d’observer notre jeunesse
plus motivée et décidée que jamais. Les photos montrant
cette jeunesse levant des bras ligotés pour bien faire comprendre
au Pape qu’elle refuse la dictature et l’asservissement ont impressionné
le monde. Cette jeunesse est notre espoir et l’espoir du renouveau”.
L’OPPOSITION, UN LEURRE ET UN CAMOUFLAGE
- Pourtant, cette opposition existe?
“Des députés critiquent en permanence le pouvoir. Mais
ce que vous appelez opposition n’est qu’un camouflage. C’est l’arbre qui
cache la forêt. Et le rôle que joue parfois inconsidérément
et de bonne foi certains politiciens, est très dangereux. La présence
de certains députés supposés être libres, crédibilise
la grande masse de députés totalement inféodés
à la Syrie. Les débats parlementaires ne servent finalement
qu’à donner l’apparence d’un débat, dans la mesure où
les votes favorables au gouvernement sont acquis et que le résultat
du scrutin est connu d’avance. C’est une parodie de la démocratie;
ceux qui en ont conscience, se ridiculisent en y prenant part. Si cette
opposition illusoire n’avait pas existé, le pouvoir l’aurait lui-même
créée. Hélas! c’est cela que certains députés
ne comprennent pas, car par leur collaboration, ils légitimisent
tous les votes parlementaires et leur donnent une illusion de crédibilité
démocratique”.
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