Chronique


Par José M. LABAKI.

TOTALITARISME FINANCIER ET ORTHODOXIE LIBÉRALE

Quand les dinosaures financiers détiennent la presse et l’audiovisuel, dictent leurs lois, investissent, restructurent et licen-cient à leur guise; lorsqu’ils se veulent à la fois, employeurs, annonceurs, distri-buteurs, interlocuteurs et décideurs; quand tout gravite autour de cet univers globalitaire, pouvons-nous, intellectuels et journalistes confondus, jouer un rôle de contre-pouvoir? Pouvons-nous encore réconforter ceux qui vivent dans la détresse et influencer ceux qui vivent dans le confort? Quand il nous est de plus en plus difficile d’accomplir notre mission d’éclaireur, à quoi donc l’opinion devrait s’en tenir? Quand nous sommes souvent les appariteurs de l’ordre et les ventriloques de la justice, à qui donc doit-on se référer? Dans de pareilles conditions, sommes-nous encore capables d’aller à contre-courant de la «pensée unique», de ce dirigisme contraignant qui n’est autre que la traduction idéologique du capitalisme mondial dévastateur et oligarchique? L’orchestration des priorités des marchés financiers qui gouvernent la planète, le Liban compris, propageant dans l’univers médiatique les politiques néolibérales dictées par les magnats économiques internationaux, jouissant et abusant du crédit, de l’autorité que leur concèdent la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, de l’Union européenne (OCDE), - ce néo-libéralisme cherchant à soumettre tous les gouvernements à sa nouvelle orthodoxie libérale, consentie par les plus forts au détriment des plus faibles, d’où la méfiance à l’égard du totalitarisme financier - contre cela on ne peut rien! Paraphrasant l’essayiste Alain Ming, «nous sommes tel un paysan qui n’aime pas la grêle mais vit avec», les cent mille analphabètes, patrons incontournables des marchés, dont les canons sont aussi rigoureux que ceux de l’Eglise, sont, à eux seuls, capables de chambarder l’économie d’un pays. C’est lamentable et pourtant vrai. Les intellectuels, journalistes, essayistes ou autres, doivent-ils tolérer encore l’idée d’une démocratie réduite à quia, où les analphabètes et les ignares dictent leurs lois? Que nous l’admettions ou pas, avons-nous encore le courage de contester haut et fort, extrémisme et populisme, traduisant après tout, une légitime colère d’un monde en déprime, affronté à un discours politique fallacieux sur fond de société polarisée, plutôt que de se railler du politiquement faux et de l’économiquement imposé, qui nous engluent et nous transforment en brigade au service des marchés financiers? Certes, un certain cliché hante le monde, à l’orée d’un millénaire conjuguant à la fois, la modernité et son contraire. Puisse-t-il ne pas dégénérer en une guerre idéologique s’associant au quotidien à la presse marchande. L’archaïsme incarné par l’Etat-Providence, qui ne fait que se replier sur ses fonctions régaliennes, qui ne représente plus que les intérêts catégoriels, donne beaucoup à réfléchir, sur cette «pensée unique» galopante, destructive, qu’il nous incombe de démystifier. La politique prônée par les apôtres chevronnés de la mondialisation ne devrait pas nous séduire au point de nous induire en erreur. Aussi longtemps que l’on continuera à tenir la pensée unique pour la forme achevée de l’équilibre politique et socio-économique, nous serons condamnés à jamais à rester figés dans la schizophrénie démocratique, sous le poids harassant de la grande machine du capitalisme de marché. Allons-nous être à la merci de cette machine infernale, lui laisser le pouvoir d’être l’unique arbitre de l’histoire à venir, à l’échelle politique, technologique, économique et sociale? Dieux veuille qu’il n’en soit pas ainsi, que nous soyons acculés à vivre, dès lors, sous le règne reptilien des ennemis de l’esprit, les robots télécommandés par les lois du marché. N’est-ce pas grâce à la rigueur et à l’honnêteté professionnelle que l’on peut convaincre une opinion de l’adaptation impérative à la civilisation de demain? L’histoire l’a prouvé déjà: une vérité impopulaire, est de loin préférable à une fidélité démagogi-que et déconcertante.


“Quand médias et gouvernements sont au service des marchés financiers, l’orthodoxie libérale devient totalitaire”.

(Guy de Jonquières du “Financial Times”)


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