Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

ÇA NE MARCHE PLUS

Assez, basta, ça suffit! On en a plein le dos. On en a soupé. On en a marre, plus que marre de ces stridents cocoricos que pousse régulièrement M. Hariri, depuis cinq ans et qui sont bien plus riches en décibels qu’en victoires réelles. A en croire le chef du gouvernement et son ensemble philharmonique, nous devrions à l’heure actuelle crouler sous des avalanches de gratitude. Nous ne connaissons pas notre bonheur de l’avoir comme président du conseil des ministres. Nous n’apprécions pas, à sa juste valeur, l’insigne chance de l’admirer faire des galipettes au sommet de la pyramide du pouvoir. Nous devrions chaque soir avant de nous coucher, en guise de prière, répéter: “Cette nuit, je dormirai sur les deux oreilles, parce que Rafic Hariri est mon président” et chaque matin, saluer le lever du soleil par un “souriez, vous êtes au pays que gouverne Rafic Hariri”. Ses partisans sont formels: avant lui, il y avait le néant; après lui, le déluge et avec lui c’est l’Eden, après la pomme, juste au moment où Adam et Eve se regardèrent et se trouvèrent nus, comme nous le sommes aujourd’hui. A les entendre, Sannine c’est lui qui l’a bâti. Les Cèdres, c’est lui qui les a plantés. Le Litani et l’Oronte, c’est lui qui les a fait couler. L’Ecole de Droit de Béryte a été sponsorisée par la Fondation Hariri. Les neiges éternelles qui couronnent nos montagnes sont sorties de son freezer personnel et l’alphabet de Koraytem. Pour tout dire, à part la Genèse, c’est à lui que revient tout le reste. Par contre, j’avoue franchement ignorer si Oger-Liban est pour quelque chose dans les six colonnes de Baalbeck. Toutefois, je penche à croire que la Méditerranée a une dette d’honneur envers Solidere, ce qui, en toute justice, donne à cette dernière le droit d’en grignoter chaque jour un morceau de plus jusqu’à concurrence d’atteindre Chypre à pied sec. Et c’est aussi à pied, mais sur un nuage rose que le Premier ministre a fait son entrée sur le stade principal, le soir de l’ouverture des VIIIèmes Jeux panarabes, sous les hurlements de 50.000 spectateurs. J’ai craint, à un moment donné, que les boutons de son impeccable costume blanc ne se mettent, à leur tour, à sauter d’allégresse. Dieu merci, la catastrophe fut évitée de justesse. Mais il ne put éviter la phrase assassine du président Hraoui, déclarant ouverts “les VIIIèmes Jeux panarabes de la Cité sportive Camille Chamoun”. La Cité Camille Chamoun... Eh! oui, il y a quarante ans de cela et en présence d’un autre Wahabite, le roi Séoud d’Arabie. Mais le commentateur de la “Future” n’en avait cure. Sur le ton de “nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes”, ce Mirabeau de l’audiovisuel nous fit comprendre, avec une rare frénésie, que la “Cité sportive” (tout court) était le rêve devenu réalité de Dawltou. Que Dawlett al-Raïs y avait pensé avant la nuit des temps et que la pensée présidentielle haririenne s’était faite pierres, stades, gradins, prestige. En un mot, une note salée que Fouad Sanioura ne manquera pas de nous faire payer rubis sur l’ongle. Mais le pompon fut le discours du Premier ministre, ou plutôt, le dernier passage de ce discours. Un morceau choisi de haute tenue tant dans les termes que dans le ton. “Le pays marche, le travail marche, les langues marchent et on s’en ... fiche, monsieur le président”. On s’en fiche! ça, nous ne le savons que trop. Quant à dire ce qui marche, les Libanais, eux, voient les choses sous une autre optique. Pour eux, les impôts marchent, la misère marche, l’inflation marche. La crise économique marche. Le malaise social marche. Les fonds destinés aux Déplacés marchent, tellement vite d’ailleurs qu’on ne sait plus où ils sont passés. Eh! oui, ça marche. Le viol des libertés et des droits de l’Homme, ça marche. L’endettement public, ça marche. La gabégie, le pillage des caisses de l’Etat, ça marche. Le gaspillage des deniers publics, la corruption, la fraude, les exactions, ça marche. La sape de nos institutions, l’aliénation de plus en plus poussée de la décision nationale, la crétinisation de la classe politique, ça marche, ça marche même parfaitement bien, ça galope. Nous aussi, on nous a fait marcher. Mais toute chose a une fin, même les coqs en pâte le savent. Après cinq ans d’un numéro de haute voltige au-dessus du vide, notre religion est désormais faite: monsieur le Premier ministre, nous ne marchons plus.


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