Editorial


Par MELHEM KARAM

SI HARIRI ÉTAIT MOINS LOQUACE!

“Ne forcez pas votre talent.
“Toujours un lourdaud, quoi qu’il fasse,
“Ne passera jamais pour galant”.
La Fontaine
(Extrait de la fable: “Le bœuf et
la grenouille”, celle-ci ayant
voulu se faire aussi grosse que le
bovin).

Les comportements de Rafic Hariri ne sont pas dignes d’un chef de gouvernement. Ce n’est pas une honte - bien que ce soit un grief retenu contre lui - que le chef du gouvernement du Liban ne soit pas cultivé et non titulaire de diplômes universitaires, Jean-Bedel Bocassa n’étant pas pareil à Léopold Sedar Senghor. Mais il est honteux pour lui de ne pas profiter des leçons et de se spécialiser dans la provoca-tion des gens. Tel de quitter la Chambre, quand un député qu’il ne porte pas dans son cœur, monte à la tribune. Ou de s’immiscer dans les élections de la CGTL; de réprimer les libertés, d’interdire la pratique des droits démocratiques les plus élementaires, notamment le droit de manifester; de bâillonner les médias; d’annihiler l’agriculture et d’empêcher les pauvres gens de s’approprier une voiture, ceci étant limité à ses collègues du “club des milliardaires”. Ou aussi de se comporter de façon à affamer les gens et à les appauvrir, lui qui ingore ce que signifient les termes pauvres et de condition modeste; de soulever l’affaire de la voie de passage de Kfarfalous d’une manière erronée et à courte vue. Ou de regrouper tous les gens contre sa personne, en croyant avoir transformé leur hostilité en victoire, tout en faisant passer ses défaites en succès et en imaginant que le fait de s’en prendre à l’Armée est une vertu! La liste serait longue...

***

Tout cela, les gens le savent, en font autant de sujets d’anecdotes et tirent la langue quand ils évoquent son nom. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que l’homme aime parler, sa loquacité étant sans limites. Il évoque les noms de gens auxquels il a fait du bien, feignant d’oublier le mot célèbre de l’imam Ali: “Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le moi savoir par écrit, afin que je sauve votre face”. Ainsi, il a l’outrecuidance de proclamer en public: “Un tel a amélioré sa condition de vie à mes dépens... Et tel autre, ma main est dans sa bouche jusqu’au coude... Ou un tel qui fait de l’opposition, était chez moi hier et me proposait des affaires (sic). Quelle honte! Est-il permis à un homme de révéler les noms de ceux à qui il vient en aide? Croit-il que celui qui reçoit accepte cette manière de se comporter de son donateur? Ce fait, je n’aurais pas désiré le révéler. Cependant, d’autres ont dérogé à la règle pour m’atteindre, ce qui m’a libéré de mon engagement. Pourquoi me demande-t-on, en conséquence, d’être l’otage de cette règle? Le fait de ne pas dévoiler toutes les vérités avec minutie, est un comportement indigne d’un responsable. Que serait-ce d’un chef de gouvernement censé avoir la langue courte et, partant, défendre les gens et non tenter de les blesser par des paroles inconséquentes? Il est pire pour un homme loquace de croire, par erreur, qu’il est avenant, parce qu’il voit autour de lui des personnes rire par complaisance. Il porte atteinte à beaucoup de gens par des paroles injustes et n’épargne personne. De plus, il a des opinions rares et étranges, telle de dire qu’il n’y a ni opposition, ni opposants au Liban! “Et ce qu’a écrit contre moi un journaliste ayant plusieurs publica-tions, il l’a justifié quand je lui en ai demandé la raison en disant: “J’ai écrit cela parce que vous n’avez pas assisté au mariage de ma fille”. Il l’a dit en partant d’un éclat de rire, exigé par le scénario, certains de ses auditeurs suivant son exemple. Cette histoire me vise personnelle-ment. Je n’aurais pas voulu en faire mention, si cela n’avait pas été propagé à travers les journaux et la télévision. Cette histoire, le président Hariri l’a relatée en public au “City Café”, où il s’était rendu pour manger de la glace avec deux ministres: Bassam Sabeh et Fouad Sanioura. Il a parlé à haute voix. Au café, Hariri a rencontré le confrère Elie Nakouzi à qui il a posé cette question: “Etes-vous encore un opposant?” Il lui a répondu: “Oui et maintes raisons m’y poussent”. Et de répliquer: “Quelle opposition! Le monde est fait d’intérêts. Il n’y a ni opposition, ni Presse opposante. Personne n’est contre le gouvernement” et il a relaté l’histoire évoquée plus haut. Le confrère Nakouzi - et je l’en remercie - a rapporté ces faits dans son programme télévisé réussi de la LBCI. Le président Hariri croit pouvoir en imposer à l’Histoire, en insinuant que ma position à son encontre est la conséquence d’une impulsivité, partant d’une affaire personnelle. Comme si les gens ne lisaient pas et ne savaient pas que les griefs formulés contre Hariri, nous ne cessons de les évoquer depuis longtemps. Ils savent que les dates des quatre articles les plus virulents qu’ils ont lus dans “Al-Hawadess”, “La Revue du Liban”, “Monday Morning” et “Al-Bayrak” remontent à quatre mois avant le mariage de ma fille Carma. Mille huit-cents amis m’ont honoré en partageant ma joie et en me félicitant, en tête desquels le président Elias Hraoui et son épouse Mona, le président de la Chambre, Nabih Berri, en plus de souverains et de présidents qui m’ont comblé de leurs nobles sentiments. Ma famille et moi-même en sommes heureux. La vérité de ce qui s’est produit est qu’en tant qu’homme sociable, j’ai adressé avec mon épouse une invitation au président Hariri et à sa conjointe. Il n’a pas assisté au mariage et ne s’est pas excusé. Le lendemain, quand les nouvelles de la réception lui sont parvenues, il m’a contacté et ne m’ayant pas trouvé, il est revenu à la charge et m’a dit: “Pourquoi n’avez-vous pas répondu, hier à mon appel?”. “Parce que votre comportement m’a gêné, M. le président”. Il a, alors, répliqué: “Vous avez raison” et a poursuivi le dialogue en termes polis. C’est, exactement, ce qui s’est passé et cela réduit la proportion de l’opposition résultant soi-disant de l’assistance à un mariage ou pas. Il s’agit d’un fait personnel minime sur lequel on ne doit pas prendre position. Quant aux menaces qu’il m’a fait parvenir, il sait qu’elles ne m’affectent pas, car je jouis auprès de grands amis d’autant de crédit et plus que son argent. Et il le sait. Etant entendu que la délation n’a jamais servi à faire perpétuer un leurre. Nul n’ignore les vérités et le président Hariri me vouait une amitié parfaite qui a subi un revers le jour où a eu lieu la bataille avec le journal “As-Safir”. Je lui ai découvert, alors, un visage que je ne connaissais pas, hostile aux libertés. Il ne m’était pas possible de le tolérer et de faiblir dans la défense de la liberté dont je suis l’un des gardiens. Mon intransigeance en ce qui concerne les libertés a creusé des tranchées dans nos relations qu’il envisage autrement que je conçois l’amitié. A mon avis, quiconque occupe un poste lié à la liberté, ne doit pas toucher de l’argent du gouvernant, au risque de voir faiblir sa défense de cette liberté. C’est une moralité que j’ai respectée dans ma pratique de la vie publique et envers laquelle je me suis engagé durant toute mon action professionnelle. De même, je suis poli. J’ai toujours répondu à l’invitation de qui que ce soit, quels que soient son niveau et son affiliation. Quand il m’a été impossible d’y répondre, je me suis excusé ou j’ai chargé quelqu’un de me représenter.

***

Sans aucun préjugé, nous demandons: Est-ce que le président Hariri a sauvé la livre et stabilisé son cours par rapport aux devises étrangères? La réponse est connue, à savoir que cette allégation n’est pas vraie. En fait, la livre a perdu 145% de sa valeur, preuve en est que la défense de la parité de la livre, même d’une manière fictive, a exigé l’octroi d’intérêts sur les bons du Trésor dans une proportion de 40% en 1993, le jour où le président Hariri a accédé au pouvoir; puis, 40% en 1994, 30% en 1995, 20% en 1996 et, enfin 15% durant l’année courante. Si on additionnait toutes ces proportions, on atteindrait 145%. Et ce, afin que les déposants n’achètent pas des dollars et des devises étrangères. Cela signifie que les intérêts qui se sont amoncelés de cette façon, afin d’inciter les gens à traìter avec la livre et à se détourner du dollar, ne sont pas tombés du ciel; ils ont été pris dans les poches des citoyens. Où est l’exploit en cela, cette opération pouvant être accomplie par des gens ordinaires? Au lieu que les pertes baissent chez les changeurs, elles ont chuté dans la dette publique de l’Etat qui se monte à 12 milliards de dollars. De même, qu’est-il advenu du déficit du budget général qui se chiffre, d’après Fouad Sanioura, ministre d’Etat pour les affaires financières, à 63%, alors qu’en réalité, il est de 80%, de l’aveu même des gens du pouvoir? Où est la solution? Dans l’adoption de l’un de deux choix: laisser le dollar sans contrôle et, à ce moment, il vaudrait 3.000 livres; ou bien imposer de nouveaux impôts que le peuple n’est plus en état de supporter, sinon il descendrait dans la rue, défiant toutes les mesure d’interdiction ou de répression, car la faim ne pardonne pas. Depuis la venue du président Hariri, on parle beaucoup des aides, alors que les promesses printanières deviennent automnales et sombres, à l’instar de la nature lorsque les arbres perdent leurs feuilles. Il a été fait appel à lui, afin d’assurer les aides au Liban. Où sont ces aides et les dons promis? Ils se limitent, uniquement, au soutien de l’Arabie séoudite et du Koweit, deux Etats frères nobles n’ayant jamais failli à leurs engagements à notre égard. Quant aux trois milliards de dollars dont il a été question, en tant que fruit du Forum de Washington, seuls dix millions nous sont parvenus des Etats-Unis, le reste étant des promesses du Canada et de France, sous forme de garantie des investissements de leurs ressortissants au Liban. Les trois milliards ou plutôt les 2,3 milliards sont des estimations d’anciennes dettes et d’autres à venir que nous pourrions contracter jusqu’à l’an 2.000 ou pas. La vision est inexistante au plan des politiques agricole, économique et de la gestion de la chose publique dans le pays, la politique visant à supprimer le nom de Camille Chamoun de la Cité sportive, pour le remplacer par celui de Rafic Hariri; puis, de généraliser ce label jusqu’à englober l’aéroport international de Beyrouth et d’autres nouvelles installations. Les commerçants élèvent la voix sous le poids de leurs engagements, à l’ombre de l’accroissement de leurs dettes sur le marché. Ceci se traduit par le marasme et la stagnation dont tout le monde se plaint, à preuve que 90.000 appartements sont proposés à la vente et ne trouvent pas d’acquéreurs.

***

Puis, le Conseil des ministres prend des décisions dont les ministres n’ont pas connaissance ou bien des noms sont remplacés par d’autres; elles sont appliquées sans être soumises à aucun système, car aucun règlement intérieur ne règle ses travaux. En conclusion, il est demandé au président Hariri de surveiller sa langue vis-à-vis des gens dont il est censé protéger les intérêts. Et de réaliser que les citoyens disposent d’agendas et d’un éveil suffisant pour prendre conscience du temps et des vérités; qu’il ne parie donc pas sur leur ignorance et leur oubli. C’est un éclaircissement que maintes considérations m’ont incité à faire... Sans rancune, Monsieur le président du Conseil.

Photo Melhem Karam


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