Editorial


Par MELHEM KARAM

EST-IL PERMIS À UN GOUVERNANT DE SE CRÉER DES “POSITIONS DE FORCE” DANS L’ADMINISTRATION?

La critique dans la Presse et d’autres médias est justifiée, surtout s’il s’agit d’une opposi-tion constructive ou quand la plume se meut pour réformer et repousser le préjudice. Quant à l’outrage, il doit être le dernier à effleurer l’imagina-tion d’un journaliste ayant prêté serment de fidélité à la profession et à la patrie, tout en s’engageant à respecter l’éthique journalistique. En marge d’interrogations, d’abus, de souffrances et de plaintes dont on entend les échos partout, on s’interroge sur la situation, son avenir et sur des aspects du pouvoir dont l’action doit s’inspirer de la pureté du comportement responsable et non d’autre chose. Nous disons à haute voix qu’il n’est pas permis, dans l’absolu, à un gouvernant de se créer des “positions de force” dans les ministères, les administrations et les institutions; toutes les institutions tant judiciaires, militaires, administratives que spirituelles. De manière à dépasser les ministres et les présidents quand il traite avec les subordonnés et les directeurs généraux, donnant des ordres, directement, aux fonctionnaires à leur insu ou permettant à une partie de se classer parmi sa coterie. Il déroge ainsi à la hiérarchie supposée prévaloir dans la pyramide administrative. Faute de quoi, il incite les petits à se rebeller contre les grands et provoque la perturbation de l’administration. De même, la relation entre tout président et ses subordonnés ne doit pas favoriser un intérêt personnel à leur profit d’une manière illégale. A tel point que ces derniers proclameraient leur allégeance à sa personne; il en fait des jouets qu’il manipule selon son bon plaisir. Pour qu’au cas où il quitte le pouvoir, ils deviennent des cinquièmes colonnes à sa merci, œuvrant au sein de ce pouvoir, surtout si leur allégeance est récente, n’ayant ni profondeur, ni enracinement; autrement dit, s’il s’agit d’une culture de champignon ou de persil, non d’un ancien camarade ou d’un compagnon de lutte. Toutes ces tares paraissent flagrantes à l’heure de l’évaluation et du bilan. Nul n’admet que le système, n’importe quel système, soit tribal. Il doit être un système d’Etat, l’Etat de la loi, l’Etat de la justice et l’Etat de l’administration respectant la hiérarchie et les positions des responsabilités. Puis, ce n’est pas un sujet de fierté pour un fonctionnaire de dire qu’il appartient à une personne déterminée, quelle qu’elle soit; qu’il peut braver la loi et avoir le dernier mot. Ceci signifierait une destruction des valeurs administratives sur base desquelles sont formés ceux ayant prêté serment de loyauté à la patrie et à l’administration. Que serait-ce lorsqu’ils renient ce serment pour devenir des groupes proclamant leur loyauté à des particuliers et à des intérêts? Nous devons traiter cela avec minutie. Il est plus important encore d’assurer une immunité pratique au fonctionnaire, afin qu’il ne soit pas tributaire des caprices d’un gouvernant qui en dispose à sa guise et lui manifeste son soutien, “parce qu’il signe avec nous sans discuter”. Cette catégorie de gens, la catégorie qui lève les doigts, mobilisés pour la claque et ne discutent pas, doit être en voie de disparaître, à l’orée du troisième millénaire et dans un pays comme le Liban, supposé être le phare du progrès, de l’évolution et de l’administration probe. Il a été le premier à faire appel au Père Lebret, sous le sexennat du président Fouad Chéhab, à l’effet d’édifier l’Etat des institutions; l’Etat où un juge n’a pas peur de rendre une sentence, au risque d’être muté dans un coin reculé du pays. Où un soldat n’a pas peur d’être sanctionné pour avoir accompli un devoir. Et où un fonctionnaire n’a pas peur d’exécuter un ordre juste et sain à cause d’une éventuelle vengeance. De cette façon seulement, nous édifions l’Etat de la loi et le Liban. Quant à toutes les autres considérations, elles sont éphémères ou bien elles sont pareilles à l’ombre qui ne tarde pas à s’estomper. L’homme fait, alors, un examen de conscience et se demande s’il a bien agi ou s’il a commis une erreur. Ce jugement quotidien que Bergson appelle “le quart d’heure avec la vérité”, que chacun de nous effectue avant de dormir, est seul le critère de la tranquillité, du bien-être et un indice de ce qu’il n’a pas commis une erreur, ni causé du tort à qui que ce soit ou ne s’est vengé de personne. Sinon que signifierait l’apparence extérieure si elle est à l’ombre des abus? Cela veut dire que nous induisons les gens en erreur et camouflons la vérité, alors que la dure vérité traverse nos corps et notre âme et les dénature, à l’instar de l’histoire de Dorian Gray, lequel en revoyant un tableau le représentant jeune, dessiné par un grand peintre, a formulé le vœu de rester jeune comme dans la toile, celle-ci devant être touchée par la vieillesse. Son vœu a été exaucé et il est resté jeune, jusqu’au jour où il a aperçu des rides et un changement sous ses yeux dans le tableau, qu’il a alors caché au sous-sol et chaque fois qu’il commettait un forfait, il y revenait pour constater que l’image devenait plus laide. Aussi, y a-t-il enfoncé un couteau et la laideur de l’image s’est transposée à son visage, alors que le couteau se retournait contre sa poitrine. Ensuite, la laideur disparaît de l’image et le tableau retrouve sa beauté initiale, alors que lui apparaît sous les traits d’un ogre féroce. L’image de Dorian Gray traduit la beauté, la jeunesse et la rébellion contre la vieillesse. Mais tout gouvernant, s’il n’accepte pas le refus, la critique et le mot dur susceptibles de prévenir tout comportement repréhensible de sa part, les considérant comme un baume, devient un responsable condamné à rester sur la liste des gens voués à l’échec. Nous écrivons cela sans avoir l’intention de nuire, ceci n’ayant effleuré aucun jour notre imagination. En exprimant notre opinion, il nous importe peu qu’elle gêne ou donne satisfaction. Cependant, nous nous soucions de ne pas causer de préjudice. Ceux qui réagissent à la critique sont seuls les bons éléments. Quant aux autres, on les classe parmi les gens affligés d’hypocrisie, d’arrogance et de narcissisme. Ce sont autant de tares dont nous souhaitons que tout gouvernant soit affranchi, s’il est soucieux d’avoir un œil pour voir et une oreille pour entendre.

Photo Melhem Karam


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