Chronique


De René AGGIOURI

LE BONHEUR DE M. HARIRI

M. Hariri doit se considérer comme un homme heureux. Sur le plan politique, s’entend; car sur d’autres plans, c’est l’évidence. En effet, s’il compare sa situation à celle de M. Jospin, par exemple, il n’aurait que des motifs de satisfaction. Entre lui et le président de la République, il n’existe pas de différences de tendances. Et si des problèmes surgissent parfois entre eux, l’arbitrage fraternel de Damas a vite fait d’arranger les choses. A la Chambre, il dispose d’une majorité sûre. Et les quelques députés qui s’exercent à faire de l’opposition, gardent généralement le sens de la mesure. Ils ne tentent jamais des manœuvres d’obstruction. Ils n’en auraient d’ailleurs pas les moyens. Tel n’est pas le cas en France.

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Si en France, la cohabitation entre un président de la République de droite et un chef de gouvernement de gauche revêt des formes courtoises, elle n’en pose pas moins de graves problèmes d’orientation fondamentale qui peuvent faire trébucher les deux partenaires. Si à la Chambre, M. Jospin dispose d’une bonne majorité, il n’empêche que l’opposition est nombreuse, bien organisée et se livre à des tactiques d’obstruction qui vont jusqu’à ébranler la confiance dans le régime démocratique lui-même. On l’a bien vu à cette séance de «questions orales», au cours de laquelle les députés de l’opposition posaient leurs questions tout en empêchant, par leurs interruptions et leur chahut, les ministres d’y répondre. C’était un spectacle (télévisé) désolant. Et, après cela, c’est M. Le Pen qui pavoise. Enfin, même au sein de son propre parti, le chef du gouvernement doit se garder des intrigues et des ambitions de ceux qui ne reculent devant aucun coup bas. L’ampleur des difficultés économiques, budgétaires et sociales de la France est telle qu’on aurait pu s’attendre à une prise de conscience nationale fixant des bornes aux jeux politiciens. En fait, il n’en est rien. Et les dernières élections législatives, en faisant basculer la majorité, a donné la mesure de la crise où se débat un corps électoral déboussolé. La leçon n’en a pas été retenue.

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La France a doté le Liban d’un régime parle-mentaire, depuis 1925, sur le modèle de sa 3ème République. Et depuis, elle n’a pas cessé de lui asséner des leçons de principes démocratiques. Il est normal que lorsqu’un Libanais considère avec scepticisme le fonctionnement de sa République, il se retourne vers Paris pour prendre exemple. Aujourd’hui, l’exemple n’est pas flatteur. Et à comparer le comportement des députés libanais à celui des députés français, (et la presse française à la presse libanaise), on ne peut que constater ce qu’on pourrait appeler l’état d’innocence de notre classe politique. Par comparaison avec leurs homologues français, politiciens et journalistes libanais sont des enfants de chœur. Vous penserez, sans doute, que ce n’est là qu’une apparence et qu’en fait, nos politiciens ont un sens aigu des réalités et sont dépourvus de tout bagage idéologique; leur rapport à leurs électeurs relève de la fidélité du type personnel ou de motivation bassement matérielle. Cela, évidemment, pose des limites aux jeux et aux ambitions et incite aux compromis. Qui oserait le nier? En tout cas, à tout bien considérer, pour un chef de gouvernement comme M. Hariri, il n’y a là que des motifs de bonheur. Il en est, du reste, bien conscient. On a bien vu, ces jours-ci, que malgré la fronde de certains de ses ministres, et non des moindres, il garde son air épanoui.



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