Par ALINE
LAHOUD..
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DEUX POIDS DEUX MESURES |
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Pour quelqu’un qui hait aussi férocement
les Américains, cheikh Sobhi Toufayli aurait pu éviter d’emprunter
à la police de Chica-go (du temps d’Al Capone) la phrase de-venue
tristement célèbre: «Tirez d’abord, posez des questions
ensuite». Ce à quoi, de l’antre de celui qu’un confrère - avec l’humour qu’on lui connaît - a surnommé le «Btéghrinator», le président Hraoui - qui semble avoir bouffé du lion - réplique: «Celui qui a mis Geagea en prison fera de même avec Toufayli»... Jusqu’à présent, ce ne sont là que des images de style: Toufayli n’a pas tiré et c’est tant mieux et depuis Geagea - qui seul a payé la facture de la guerre - aucune grosse tête n’a été mise en prison, et c’est tant pis. Qu’on vienne maintenant crier - panache en moins - «Rodrigue as-tu du cœur», c’est un peu tard. Certains diront sans doute: mieux vaut tard que jamais. Peut-être. Mais pas quand chez nous tard a toujours été synonyme de jamais. Alors à quoi rime ce branle-bas de combat qui rend l’atmos-phère du pays plus irrespirable qu’elle ne l’est déjà et ce, juste au moment où, aux frontières, battent les tambours de la guerre? «Révolution des affamés», proclame-t-on. Que les respon-sables n’aillent pas confondre viol de la loi et réel malaise social. Dénomination exagérée peut-être mais pas sans fondement. En somme, à quoi peut s’attendre un gouvernement, qui a superbement dédaigné toutes les mises en garde et dont la politique reste, essentiellement, basée sur une ignorance hautaine de la chose sociale, sur des taxes et des surtaxes monstrueuses qui écorchent à vif la population, sur un engraissement démesuré et presque avoué de la classe dirigeante et de ceux qui gravitent dans son orbite? Les Libanais sont tous embarqués sur la même galère. Les ouailles de cheikh Sobhi Toufayli ne sont pas les seules à avoir le privilège de souffrir de privations. N’y aurait-il des pauvres diables qu’à Baalbeck-Hermel? Les gens du Akkar roulent-ils sur l’or? Ceux de Batroun, de Béchar-ré, de Jbeil, du Kesrouan, de Saïda mangent-ils tous à leur faim? Les déplacés, dont on a confis-qué les terres, qu’on a privé de logis et de gagne-pain, font-ils du capitalisme sauvage? C’est cette logique de deux poids deux mesures, poussée à l’extrême par les divers gouvernements Hariri, qui fait surgir des Toufayli. A certains tout est permis. A d’autres tout est interdit. Dans sa dernière envolée lyrique, le ministre de l’Intérieur a dit que l’Etat accordait un délai de deux mois aux supporters de cheikh Sobhi, qui ont construit sans permis, afin de se mettre en règle avec la loi. Dans le même temps, ce même Etat envoie ses bulldozers à Barbara (caza de Jbeil) démolir, sans le moindre préavis, deux immeubles construits pendant la guerre. Chacun peut imaginer facilement ce qui serait arrivé si un évêque ou même cheikh Hassan Lakiss de Jbeil avaient poussé la population à «tirer d’abord»... Pour un coup de feu sur un minibus syrien, à Safra (attentat dont on n’a pas découvert encore le ou les auteurs) des centaines de jeunes gens ont été arrêtés, détenus sans man-dats et passés à tabac. Il faut dire que ceux-là ne sont ni couverts, ni couvés, par de puissants pro-tecteurs devant lesquels nos responsables claquent des dents. De plus, si les sujets de cheikh Sobhi s’abstien-nent de payer électricité, eau, téléphone, mécani-que, impôts, etc... le gouvernement, selon une ha-bitude mise en honneur depuis Taëf, fera payer le manque à gagner à ceux qui paient et qui ont toujours été les seuls à payer. Sans compter l’excuse en or qu’aura notre Sanioura national pour sauter sur l’occasion et majorer nos factures qui grimpent déjà au zénith. On nous dit que notre Premier ministre n’a pas le temps, entre deux escales au Liban, de s’occuper de ces vétilles. Qu’il a de grands desseins. Qu’il veut que son nom brille en lettres d’or au firmament de notre Histoire. C’est évidemment là une ambition légitime. Encore faudrait-il que d’ici là son aura soit toujours de service et qu’il reste au pays, non pas de l’or, mais assez de poussière de poudre d’or, ne serait-ce que pour les majuscules d’un seul exemplaire de ce fameux manuel d’Histoire. |
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