Editorial


Par MELHEM KARAM 

 

UN LEADERSHIP... MAIS SUR DES JAMBES EN ROSEAU

Tout a une fin. Nul ne peut gou-verner par l’arrogance, le com-plexe de supériorité, l’humeur changeante et le souffle court. Le pouvoir se caractérise par le com-portement sage et la modestie qui sont la voie la plus courte pour atteindre les cœurs. Les gens ne peuvent nous servir de cobayes, sur lesquels nous expérimentons tout ce que nous proposons ou envisageons de réaliser à leurs dépens. 
De même, la tête de tout gouver-nant doit rester froide; il ne doit pas se laisser griser et croire, à un moment donné, lorsqu’il est pris par le prestige de l’autorité, que les gens sont ses subordonnés dont il peut disposer à sa guise, comme le ferait un propriétaire de son bien et un ayant-droit de ce qui lui appartient. 
Ce mode de pensée et de pratique est révolu; il a été supplanté par la modestie, le bon traitement des gens qu’on est appelé à servir. Ainsi, l’un de nos grands monarques, homme de ce temps, j’ai nommé S.M. le roi Fahd Ben Abdel-Aziz, s’est fait appeler “Serviteur des deux mosquées”. Il s’est réjoui du terme “servir”, car il signifie modestie et engagement à l’égard de tout ce qui est sacré. Il n’est pas permis à un gouvernant de se montrer arrogant, de se pavaner comme un paon, de manifester son court souffle, au risque d’effaroucher les gens. Surtout quand il montre d’un geste de la main qu’il n’a pas de temps pour les recevoir et engager le dialogue avec eux; ouvrir sa porte pour les rencontrer et ses oreilles pour les entendre ou son cœur afin de compatir à leur sort. 
Cette manière de traiter les citoyens n’est plus de mise, car la terre n’est nullement à l’étroit avec ses habitants; ce sont les rêves des hommes qui retrécissent. 
Les poitrines non habituées au leadership qui leur a échu par hasard et d’une manière boîteuse, ces poitri-nes ne sont pas habilitées à occuper l’avant-scène, ni à se montrer dignes des bases du commandement sage et noble. C’est une joie procurée par un leadership fra-gile dont elles se réjouissent au plus bas niveau, alors qu’elles se sont introduites sur sa scène par la porte-arrière, au moment où la scène était vidée de ses cavaliers authentiques. 
Ces paroles se répètent partout; les gens les évo-quent en constatant que leur patrie est devenue dislo-quée et non pareille aux autres patries. 
Rien ne marche au Liban... contrairement aux slo-gans propagés ces temps-ci. Pour être précis, nous dirons qu’il marche vers l’inconnu, vers un destin que personne ne réalise et nul n’aime imaginer sa fin! 
L’unique obsession de certains est celle du travail et du gain momentané. Mais que laissons-nous pour plus tard, à nos enfants et à l’Histoire? C’est le dernier sujet qui effleure notre imagination. L’important est de voir passer les vents et d’être à l’abri de la tempête; nous nous cachons à l’ombre des murs en béton armé et en fer, ne nous souciant pas de ce que d’autres peuvent en être affectés. La protection des gens n’est pas notre affaire, de même que leur bien-être et leur bonheur. 
Nous vivons à l’ombre d’un rêve qui nous est venu par erreur; aussi, devons-nous jouir de toutes ses grâces. Le plus grand de nos rêves nous valait le dixième de ce dont nous jouissons aujourd’hui. Le temps était généreux avec nous, l’argent ayant été l’un des éléments du jeu. 
De même, nous avons traité avec les âmes faibles qui capitulent face à l’argent et laissent aliéner leur liberté. Nous avons profité de leur capitulation pour édifier un leader-ship, mais en rêve sur des jambes en roseau, qui ne résiste pas au vent. 
Tous les capitaux dont doit jouir un leader, nous n’en disposons d’aucun, en dépit de cela, nous avons pu démarrer. C’est ce que certains disent quand ils reviennent à eux-mêmes et se regardent au miroir; ils se mettent à rire si fort, qu’ils en viennent à perdre connaissance. Il baise le miroir et l’essuie pour la garder net et clair, afin de reproduire avec éclat leur image. 
“O terre, ressaisis-toi; personne n’est à ma mesure”. 
L’arrogance augmente et s’amplifie, la griserie produisant son effet dans les têtes. Cette griserie qui porte à commettre des forfaits, ils la font paraître comme une vérité qu’ils méritent. Cependant, ils savent en leur for intérieur qu’ils vivent avec un habit trop large pour leur taille, au point d’être la risée des autres. Et même des profiteurs dont personne ne peut acquérir la loyauté, car l’argent sert à acheter les services, sans plus. Quant au cœur et à la conviction, leur prix équivaut à celui de la conviction et du cœur. 
Vous voyez ceux qui proclament leur allégeance aux nouveaux leaders, rire entre eux et dire: Ce profit nous le méritons, mais non eux, car il leur a échu sans qu’ils le méritent, sans dignité ni fierté.  ***

En conclusion, l’autorité et l’argent n’échoient vraiment qu’à ceux qui en ont le droit. Il n’y a pas de dignité à celui qui n’en a pas ou à quiconque veut obtenir un acquis par la fatuité, la force et le pot-de-vin. 
Un boueur dans son droit est plus fort qu’un chef d’Etat n’ayant pas le droit de son côté. Quant à se réclamer de proches qui n’en ont pas à revendre, cela ne transforme pas le mensonge en franchise, ni la corruption en pureté, si nombreux que soient les gens à claque, en plus de ceux qui font semblant d’admirer et de se réjouir. Ceux dont nous nous entourons pour nous présenter le faux en vrai, nous mènent vers une fin certaine qui se retournera contre eux et contre nous. 
Certains proches conseillers ont posé cette question à Ali Ben Abi-Taleb: Pourquoi le califat a-t-il abouti à ce qu’il est en votre temps, alors qu’il n’était pas ainsi au temps de Abi-Bakr et Omar? Il répondit: Parce que Aba-Bakr et Omar étaient entourés de gens qui me ressemblaient, alors qu’autour de moi gravitent des gens comme vous. 

Photo Melhem Karam


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