Bloc - Notes 


Par ALINE LAHOUD

 

DROIT DU SANG ET DROIT DU SOL

Tout au début de l’ère marxiste dans les pays de l’Europe de l’Est, un officier de propagande du parti essayait d’expliquer à un groupe de paysans: «- Le communisme, camarades, signifie que tout ce qui est à votre voisin est à vous»... triple ovation du public en délire. Et l’orateur de poursuivre «... et tout ce qui est à vous est à votre voisin»... Sifflements, huées, pluie d’œufs pourris. Notre homme dut prendre ses jambes à son cou pour ne pas être lynché. Cette anecdote illustre, dans une large mesure, ce qui se passe chez nous à propos de la nationalité. On entend clamer partout qu’il faut accorder la nationalité libanaise à «ceux qui y ont droit». Qui y a droit? Ceux qui relèvent du droit du sang et ceux qui se réclament du droit du sol. Le droit du sang est universellement reconnu et admis comme inaliénable, indiscutable et incontournable. Par contre, le droit du sol varie selon les pays. Ceux qui l’admettent, cependant, le soumettent à des conditions sévères et restrictives. Ainsi donc, le droit du sol est relatif, alors que le droit du sang est absolu. Bien entendu, comme chaque fois qu’une question cruciale est en jeu, au Liban, les clivages émergent brusquement à la surface, crevant les yeux et les tympans, les chré-tiens s’en tenant au droit du sang et les musulmans soutenant mordicus le droit du sol. Le pavé dans la mare fut pro-voqué par le fameux décret oc-troyant d’un trait de plume à plus de 350.000 personnes la nationalité libanaise, sans le moindre document justificatif (à part pour les habitants de Wadi-Khaled et pour quelques résidents au Liban depuis des décades), et dont beaucoup n’avaient aucun rapport avec le Liban. Un lot hétéroclite de Kurdes, d’Egyptiens, de Jordaniens, de Syriens, de Turcs, de Palestiniens, de Turkmènes et même - dit-on - quelques Srilankais en prime. Certains protestèrent avec véhémence. D’autres firent savoir aux protestataires qu’ils devraient se taire sous peine d’être taxés de fanatiques, d’assassins de l’unité nationale voire de suppôts d’Israël. Mais l’air et le refrain ont changé depuis. Maintenant qu’il s’agit de voter une loi restituant la nationalité libanaise à ceux de l’émigration qui en feraient la demande et prouveraient leur ascendance, les mêmes parties qui ont hurlé au fanatisme et au confessionnalisme prennent l’attitude du penseur de Rodin pour émettre doctement qu’il faudrait réfléchir et qu’on ne peut accorder la nationalité à n’importe qui (!). Tel est l’avis, entre autres, de M. Mohsen Dalloul qui se croit investi de la mission de délivrer les certificats d’authenticité nationale. Ainsi donc, il faut user de prudence pour rendre à un Libanais de père en fils sa nationalité et perdre complètement de vue cette même prudence quand il s’agit d’offrir généreusement cette nationalité aux Turkmènes, Kurdes, Turcs et autres Srilankais?! La Syrie que nous prenons pour exemple et que nous citons à tire-larigot à propos et hors de propos, la Syrie considère tout Syrien d’origine comme Syrien à part entière. Mieux, au regard des lois syriennes, un Syrien ne cessera jamais d’être syrien quelles que soient les nationalités qu’il porte ou les pays où il réside. Et puisque l’exemple vient de haut, pourquoi cette levée de boucliers face aux émigrés que nous sollicitons en permanence d’une part pour leur soutirer de l’argent et les inciter à investir au Liban; d’autre part, pour les porter à se constituer en autant de lobbies auprès des gouvernements de leurs pays d’adoption? Et, enfin, à quoi peut bien servir un ministère des Emigrés, qui ne semble avoir été inventé que pour caser filles, fils, collatéraux, copains et hommes lige? A moins que cela ne soit une manœuvre politique pour amener l’autre partie - en plaçant la barre trop haut - à consentir (du moins tacitement) à un genre troc: la nationalité aux émigrés contre son octroi aux Palestiniens et réaliser, par ce biais, une implanta-tion en douceur! Que l’on en vienne à cette extrémité ou que l’on perde l’énorme potentiel de 15 millions de Libanais de la diaspora, peu importe en somme à nos dinosaures au pouvoir, pourvu que eux restent vissés dans leurs fauteuils. Quant à nous, nous voulons bien les conserver au frais dans notre jurassic park local, mais auparavant nous devrions recourir non plus à l’Etat Civil mais à la taxidermie (1) pour les naturaliser.

1- Art d’empailler certains échantillons de gibier pour mieux les conserver.


Home
Home