MADELEINE ALBRIGHT À BEYROUTH:
“JE SUIS HEUREUSE D’AVOIR VISITÉ LE LIBAN” “EN L’ABSENCE D’UN ASCENSEUR POUR LA PAIX, NOUS ALLONS PRENDRE LES ESCALIERS”



Le président Hraoui accueillant Mme Albright à son arrivée au palais de la présidence.


Le secrétaire d’État US saluant M. Rafic Hariri, chef du gouvernement.


Au palais de la présidence, Mme
Albright fait une déclaration
à la presse. Elle a à sa gauche,
M. Farès Bouez, ministre des Affaires étrangères.

Le suspense fut maintenu jusqu’au dernier moment. Mais elle est venue avec son “style d’action” qui lui est propre et ce don de la communication qui la différencie de son prédécesseur. La visite de Mme Albright au Liban, élément positif, a suivi de quelques semaines la levée de l’embargo imposé à notre pays depuis des années. La dernière visite d’un secrétaire d’Etat U.S. au palais de Baabda remontait à 1984 avec M. George Shultz, M. Warren Christopher s’était contenté de deux brèves escales l’une, à Zahlé, l’autre au ministère de la Défense. Autre élément significatif: Mme Albright est arrivée à Beyrouth venant de Chypre et non de Damas, confirmant, ainsi, que le Liban était un partenaire à part entière dans le processus de paix. Le ton et le langage du chef de la diplomatie US révèlent, tout d’abord, le fait que l’administration américaine utilise un nouveau procédé dans sa manière de traiter le dossier libanais. En deuxième lieu, ils confirment le rôle politique du Liban, sans chercher à le dissocier pour autant de l’ensemble du contexte régional. En définitive, cette visite sortie de la rigidité diplomatique, est un bon signe démontrant que le Liban reste dans le cercle des préoccupations américaines. Evidemment, le moment fort de sa visite fut son exposé au forum de Beyrouth, devant une cinquantaine d’officiels et de responsables, démontrant qu’elle connaissait parfaitement la situation libanaise aussi bien sur le plan socio-économique et politique, qu’historique et culturel. Elle fut explicite concernant le processus de paix entre le Liban et Israël, en affirmant que “tout règlement durable doit comprendre une securité réelle pour Israël, une souveraineté totale pour le Liban sur l’ensemble de son territoire et une paix véritable avec des relations normales.”


PREMIÈRE TOURNÉE PROCHE-ORIENTALE
Le Liban fut donc la dernière étape de la première tournée proche-orientale de Mme Albright. C’est à partir de Chypre, non de Damas, que le secrétaire d’Etat U.S. a atterri avec sa suite le lundi 15 septembre à 12h50, au siège de l’ambassade américaine à Aoukar (banlieue - nord de Beyrouth), voyageant à bord de quatre hélicoptères de type “Blackhawk”. Pour renforcer la sécurité, le croiseur lance-missiles “USS Spruance” avait été dépêché par l’OTAN au large des côtes libanaises, alors que quatre tireurs d’élite avaient pris position sur les toits de l’ambassade. Un impressionnant convoi de voitures blindées, sirènes hurlantes, devait amener, aussitôt, Mme Albright au palais présidentiel de Baabda, où elle a eu un entretien de quatre-vingt-dix minutes avec le président Elias Hraoui, en présence du Premier ministre, Rafic Hariri et de M. Farès Bouez, ministre des A.E. A l’issue de cette rencontre, Mme Albright devait qualifier la réunion “d’excellente et constructive”, disant qu’il était approprié qu’elle termine au Liban sa première visite officielle au Proche-Orient. “Le Liban, dit-elle, est un pays ami et nous pensons qu’il va dans la bonne direction. Le volet israélo-libanais est absolument essentiel pour un réglement juste et global auquel les Etats-Unis sont engagés. Nous devons aller de l’avant sur tous les volets des négociations.”

POUR UN ÉTAT DE DROIT
Mme Albright poursuit: “J’ai été heureuse de voir cette belle résidence et de jeter un regard d’admiration sur ce que Beyrouth représente et ce qu’elle peut devenir. “Avec le Liban, nous avons ajoute-t-elle, des intérêts communs et chercherons les moyens de permettre aux Etats-Unis de contribuer à son rétablissement. Nous œuvrons avec le peuple et le gouvernement libanais pour asseoir l’Etat de droit, d’autant que le Liban est, comme les Etats-Unis, un symbole de tolérance. Ce symbole est vital, aujourd’hui, ici, et dans le reste du monde.” “Je suis très heureuse, conclut-elle, d’avoir pu visiter le Liban. J’y reviendrai pour voir les progrès qui auront été accomplis, car je pense que ce pays va au devant de grands changements et que les Etats-Unis veulent y contribuer.” De son côté, le ministre des A.E. insiste dans sa déclaration sur l’application de la 425 et le retrait inconditionnel d’Israël du Liban-Sud, exprimant l’espoir “que les Etats-Unis poursuivront leur rôle d’honnête courtier et relanceront le processus de paix au point où il s’est arrêté.” Peu de choses ont filtré sur les entretiens de Baabda. On croit savoir, toutefois, que trois thèmes essentiels ont été abordés: la situation au Liban-Sud, la relance du processus de paix et le problème du terrorisme que soulèvent toujours les Américains. Le président Hraoui aurait remercié Mme Albright de sa décision de lever l’interdit sur le voyage des Américains. La rencontre s’est achevée par une visite guidée du palais présidentiel sous la conduite du chef de l’Etat.

AU FORUM DE BEYROUTH
De Baabda, Madeleine Albright s’est rendue au Forum de Beyrouth où elle a rencontré une cinquantaine de responsables politiques, d’officiels et d’hommes d’affaires devant lesquels elle a rappelé la position des Etats-Unis concernant notre pays et sa situation interne, prouvant qu’elle connaît bien le contexte libanais. Parmi les personnes présentes à cette rencontre: MM. Elie Ferzli, veci-président de la Chambre; Michel Murr, vice-président du Conseil; plusieurs ministres, députés, chefs de missions diplomatiques arabes et occidentaux; Mgr Roland Abou-Jaoudé, vicaire patriarcal maronite; Riad Salamé, gouverneur de la BDL; Dory Chamoun, leader du PNL; Nabil Jisr, président du CDR et les représentants des médias. Dans son exposé, elle a exprimé son appréciation de l’effort déployé pour la reconstruction du Liban et évoqué les liens existant entre nos deux pays. “Nous, aux Etats-Unis, poursuit-elle, considérons que la direction prise par le Liban, constitue une bonne nouvelle. La reconstruction de la capitale traduit le surplus d’énergie et d’optimisme que l’on constate ici. Or, ayant moi-même ces deux caractéristiques, je crois que le Liban constitue le lieu opportun où je devais achever une première visite au Proche-Orient en tant que secrétaire d’Etat. “Ce qui se passe au Liban touche de près le peuple américain, parce que nous partageons une vieille amitié profondément enracinée dans les valeurs démocratiques communes”. Après avoir évoqué le rôle de l’AUB et du tissu culturel américain enrichi par l’apport des émigrés, elle enchaîne: “Aujourd’hui, après des années terribles de guerre, vous œuvrez avec sérieux pour remettre votre pays à la place qui lui revient de droit parmi les nations. Pour notre part, nous envisageons avec intérêt les possibilités d’élargissement des liens entre les Etats-Unis et le Liban.” Elle cite, alors, les propos du président Bill Clinton, prononcés en recevant les lettres de créance de Mohammad Chatah, nouvel ambassadeur du Liban à Washington: “Le Liban est un pays stable, indépendant et économiquement dynamique; il représente une préoccupation nationale pour les Etats-Unis”.

POUR DES ÉLECTIONS PLUS LIBRES ET PLUS JUSTES
Après avoir réaffirmé que l’Amérique est prête à nous aider à édifier un Liban totalement indépendant, uni, souverain et libre de toutes forces étrangères, elle ajoute: “Pour notre part, nous encourageons le Liban dans ses efforts continus, visant à traduire dans les faits son soutien aux principes démocratiques. Ainsi, les élections législatives qui se sont déroulées il y a un an, n’étaient que le début. Nous souhaitons voir, prochainement, des élections plus libres et plus justes à tous les niveaux de l’Etat. “Nous vous incitons à poursuivre vos efforts en vue d’édifier la société, de réformer l’économie et de mettre un terme aux restrictions superflues à la liberté de presse”. Mme Albright demande, ensuite, au gouvernement “de faire ce qui est en son pouvoir pour amener devant la justice tous ceux qui se sont rendus coupables d’actes terroristes contre des ressortissants américains et étrangers dans les années soixante-dix et quatre-vingts, dans la mesure où ces actes ont nui à la réputation du Liban dans les cercles internationaux et retardé son rétablissement”.

LA PAIX, UNIQUE OPTION
Après avoir rappelé le soutien des USA à l’armée libanaise, le rôle du forum des “Amis du Liban” qui s’est tenu l’an dernier à Washington, elle poursuit: “Nous nous joignons à vous pour regarder l’avenir, comme nous le faisons, aussi, pour partager le deuil des familles de ceux qui sont morts ou ont eu la vie brisée. “Hélas! les tragédies continuent, car même sans déclaration de guerre, de nouvelles victimes tombent, la paix n’étant pas encore instaurée à vos frontières méridionales. “Ces tragédies font maintenant partie d’une spirale de violence sans fin et insensée. Elles sont à l’origine du message que j’ai tenté de livrer cette semaine dans toutes mes rencontres et qui se résume en ceci: La paix est la seule option”.

SÉCURITÉ RÉELLE POUR ISRAËL, SOUVERAINETÉ TOTALE POUR LE LIBAN
“La voie de la paix, ajoute Mme Albright, est difficile; nul ne peut le nier. Mais la nature de l’enjeu est telle que les dangers qui la parsèment, méritent qu’on les affronte. Car la paix peut ouvrir la voie à la prospérité. “(...) La violence tragique de ces derniers jours au Liban-Sud a montré à tous que le statu quo est inacceptable. J’ai pu constater chez les gouvernements israélien, syrien et libanais l’intention, voire la volonté de reprendre les négociations; malheureusement, il n’existe pas encore de base à partir de laquelle ces pourparlers pourraient redémarrer.” Elle explique, alors, où en est le processus de paix: “Nous nous sommes, au moins, mis d’accord pour poursuivre nos discussions, ultérieurement. En l’absence d’un ascenseur, nous allons prendre les escaliers et nous rencontrerons, la semaine prochaine à New York, des représentants libanais, syriens et israéliens”.

OPTIMISTE, MAIS...
“Comme je l’ai déjà dit, je suis de nature optimiste, mais je ne peux pas présager du succès de mes entretiens au Proche-Orient. Tout ce que je peux dire est que du point de vue des Etats-Unis, tout règlement durable entre le Liban et l’Etat hébreu doit comprendre une sécurité réelle pour Israël, une souveraineté totale du Liban sur l’ensemble de son territoire et une paix véritable avec des relations normales”. Abordant la levée de l’interdit sur le voyage des Américains au Liban, décision prise par elle-même en juillet 97, elle affirme: “J’espère voir venir bientôt le jour où nous pourrions supprimer toutes les restrictions que nous considérons toujours comme nécessaires, le Liban demeurant un pays dangereux pour ceux qui y viennent. La levée du reste des restrictions dépend de votre succès dans vos efforts à panser les blessures de la guerre et à réduire la menace de la violence extrémiste qui pèse sur d’autres pays, y compris les Etats-Unis”. Mme Albright a répondu, ensuite, aux questions, avant de rentrer à Washington, via Chypre.

NELLY HÉLOU


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