Nous refusons de faire partie d’un gouvernement, si nous devons y être en tant que faux témoins. La ligne stratégique de notre parti n’est liée à aucun changement qui pourrait se produire en Iran. Nous devons élaborer notre politique en tenant compte de toutes les éventualités, car la région pourrait connaître une nouvelle guerre ou être bloquée pour une longue période. Les habitants de Jezzine et de son caza n’ont rien à craindre d’un retrait subit de “Tsahal” et de ses agents. Ce retrait est inévitable; il s’agit d’une question de temps. Netanyahu veut instaurer la paix à sa manière et selon ses conditions”, telles sont les grandes lignes des déclarations de cheikh Hassan Nasrallah, secrétaire général du “Hezbollah”. L’homme est connu pour son franc-parler, autant que pour son esprit réaliste, comme nos lecteurs peuvent le constater à travers cette interview qu’il a bien voulu nous accorder.

ENTRETIEN AVEC LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU “HEZBOLLAH”

HASSAN NASRALLAH:
“NOUS SOMMES PRÊTS À AIDER JEZZINE, NON À ARRÊTER LA RÉSISTANCE: CELA SIGNIFIERAIT LA PERPÉTUATION DE L’OCCUPATION”

L’IRAN ET LE “HEZBOLLAH”
A la question:
“Quelle sera l’orientation politique et stratégique du parti après l’avènement d’une nouvelle direction politique en Iran?”,il répond:
“La ligne stratégique du “Hezbollah” n’est liée à aucun changement en Iran que nous considérons comme un Etat islamique ayant une grande importance pour les organisations, les mouvements et les peuples islamiques. “Les orientations du “Hezbollah” sont indépendantes et ce que je sais de la politique de la république iranienne, c’est qu’elle ne change pas d’un président à un autre. En Iran, les institutions décident de la politique à adopter. Puis, M. Khatemi a ses orientations en tant que disciple de l’imam Khomeiny, engagé vis-à-vis des principes définis par le chef de la révolution dont le “Hezbollah” s’est inspiré”.

- Des observateurs disent que le président Khatemi a une politique plus ouverte envers les Arabes et l’Occident...
“Je crois que l’étape gérée par M. Khatemi est celle d’une évolution de l’action politique iranienne dans la région, allant dans le sens défini par son prédécesseur, le président Rafsandjani qui était connu, également, pour son ouverture d’esprit.”

- Le parti est accusé d’entraîner des groupes kurdes, bahreinis et autres. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet?
“Ceci est absolument faux et les groupes kurdes n’ont pas besoin du “Hezbollah” pour les entraîner. Nous avons clairement annoncé que seuls des Libanais et des Palestiniens suivaient des cycles d’entraînement dans nos camps”.

PAS D’OPPOSITION DANS L’ABSOLU
- Quelle est la position de votre parti envers le Pouvoir libanais?
“Notre problème avec le Pouvoir libanais n’est nullement avec des personnes, mais avec la politique suivie par le gouvernement dans divers domaines, spécialement le domaine socio-économique. “Nous sommes en désaccord avec le gouvernement dans sa politique générale, surtout quand elle ne prend pas en considération l’intérêt du peuple libanais. Mais nous ne pratiquons pas l’opposition dans l’absolu et nous ne sommes pas non plus des loyalistes. Nous nous opposons à certaines politiques et orientations.”

- L’Etat exécute des projets d’intérêt public et remet en état les infrastructures dont le pays a un pressant besoin pour le relever des décombres...
“Je crois que le fait pour l’Etat d’avoir élaboré son projet économique et de la reconstruction sur base de l’imminence de la paix avec Israël est erroné. Le président Hariri s’attendait à l’instauration de la paix en l’espace de quelques mois; aussi, avait-il fait des promesses à tenir au printemps; puis, en automne. On attend leur concrétisation depuis cinq ans. Or, depuis la conférence de Madrid, la situation a empiré. “Nous devons élaborer notre programme en tenant compte de toutes les éventualités, car la région pourrait connaître une guerre globale ou être bloquée pour de longues années. “Puis, le gouvernement a ignoré les secteurs industriel et agricole qui sont essentiels pour le relèvement de l’économie nationale. Il a tablé sur le tourisme et les services qui ont subi des modifications au cours des dernières décennies. Le projet politico-économique du gouvernement a été élaboré sur une base non réaliste; davantage sur des rêves que sur des faits. Il faut donc reconsidérer les orientations.

AVONS-NOUS BESOIN DE TANT D’AUTOSTRADES?
“Nous ne nous opposons pas à la construction de ponts, au percement de routes et à l’agrandissement de l’aéroport pour qu’il puisse accueillir six millions de passagers. Mais le Liban a-t-il besoin de tant d’autostrades, d’une aérogare aussi spacieuse et de tant de ponts? Nos divergences portent, également, sur l’ordre des priorités”.

- Vous avez conféré, il y a quelques jours, avec le Rassemblement de Jezzine; quels sujets avez-vous évoqués avec les notabilités de cette localité?
“J’ai pris connaissance de la situation qui y prévaut, comme des appréhensions des habitants de ce caza. Je me suis entretenu avec ces notabilités de la Résistance qui est disposée à soutenir la population. A mon avis, le problème véritable ne se limite pas aux habitants de Jezzine, mais s’étend à ceux du cordon frontalier qui pâtissent de la fuite des jeunes et de leur exode ou leur expatriation. Il existe peu de gens à Bint-Jbeil et nous sommes prêts à aider les habitants de Jezzine et des villages situés le long du cordon frontalier occupé. C’est notre devoir, mais qu’on ne nous demande pas d’arrêter les opérations anti-israéliennes, car ceci signifierait notre acceptation de laisser perpétuer l’occupation. “Les Sudistes sont nos frères et nous offrons notre sang et l’élite de notre jeunesse pour libérer la terre de l’occupant. “Ma rencontre avec le Rassemblement de Jezzine a été positive. Il ne peut qu’en être ainsi, car tout problème, petit ou grand, peut être réglé par le dialogue. Quant à lancer les accusations à tort et à travers, c’est servir l’ennemi.”

JEZZINE ET SON CAZA N’ONT RIEN À CRAINDRE
- Les habitants de Jezzine appréhendent des massacres de caractère confessionnel, au cas où l’Armée du Liban-Sud venait à se retirer...
“C’est une illusion. Ces craintes sont entretenues par l’ennemi israélien et ses alliés, pour inciter la population à réclamer le maintien de l’ALS, considérée comme le protecteur et le gardien, alors qu’il s’agit d’une milice à la solde d’Israël. “J’ai dit aux notabilités de Jezzine, que si l’occupant évacuait cette localité, il est naturel que les organismes officiels s’y déploient, l’armée en tête. Les choses diffèrent aujourd’hui de ce qu’elles étaient en 1985, au moment où des retraits se produisaient dans la montagne ou à l’est de Saïda. Nous sommes donc disposés à les aider et à les rassurer.”

- Le parti obtient-il l’appui de certains Etats arabes?
“La Syrie nous soutient et nous protège. De même, quelques pays arabes appuient notre résistance”.

- Partagez-vous les vues de cheikh Soubhi Toufayli qui appelle à la “révolte des affamés”?
“Ses revendications sont justes et il n’est pas le seul à les formuler; elles ont constitué une partie du programme électoral du “Hezbollah” et font l’objet de l’action de plusieurs formations politiques. “Cependant, le procédé utilisé est sujet à controverse, car il faut tenir compte de la conjoncture régionale et des défis auxquels elle est confrontée”.

NETANYAHU NE VEUT PAS RECONNAÎTRE SA DÉFAITE
- Netanyahu a dit: Je veux me retirer du Liban-Sud et je veux, aussi, que le “Hezbollah” ne me suive pas dans la région-nord d’Israël. Qu’en pensez-vous?
“Israël ne veut pas se retirer sans acquis et exige des garanties avant d’évacuer le Sud. C’est un leurre. S’il se retirait inconditionnellement et, surtout, sans un traité de paix, ou sans garanties sécuritaires, Netanyahu reconnaîtrait sa défaite et son incapacité à réaliser le “Grand Israël”. Car s’il n’a pu se maintenir dans la région frontalière, il est incapable de réaliser le rêve israélien, qui consiste à étendre l’Etat hébreu du Nil à l’Euphrate. “Pourtant, l’Etat libanais a proclamé plus d’une fois qu’il assumera la responsabilité de la sécurité à ses frontières avec Israël, mais l’ennemi lui a tourné l’oreille sourde.”

- Le parti approuverait-il le déploiement de nos forces régulières jusqu’aux frontières, si “Tsahal” venait à évacuer le Sud?
“L’Etat doit imposer la sécurité au profit de son peuple et non de l’ennemi. Il est donc tenu d’assurer la protection de ses frontières. Si l’ennemi venait à se retirer du Sud, ceci ne signifierait pas qu’il a renoncé à ses visées et convoitises. Il reviendra à la charge quand il jugera que les circonstances lui sont favorables. “De toute façon, l’Etat est concerné par ce qu’il décide, mais ne peut contraindre personne à exécuter ses décisions”.

ARAFAT N’EST PAS ÉQUILIBRÉ, MENTALEMENT
- A la suite d’explosions qui se sont produites à l’intérieur d’Israël, Abou-Ammar a accusé la résistance libanaise, tantôt d’une manière directe et tantôt, indirectement. Qu’auriez-vous à lui répondre?

“Yasser Arafat est arrivé à un tel degré d’humiliation et de déchéance, qu’il ne peut concevoir quoi que ce soit en dehors du régime d’autonomie limitée. L’important pour lui est de sauver sa tête et de sortir d’embarras, même s’il doit accuser le Liban, la Syrie et le “Hezbollah”. “Quoi qu’il en soit, nous ne condamnons pas ces opérations à l’intérieur d’Israël; au contraire, nous les bénissons. Nous n’avons rien à faire avec ces explosions et nous les aurions revendiquées si nous en avions pris l’initiative; ce serait pour nous un honneur. “Nous avons foi dans le droit du peuple palestinien de combattre les sionistes qui occupent la terre de Palestine. Il a le droit de s’y opposer et nous le soutenons. Mais en tant que parti, nous n’avons pas entrepris de telles opérations héroïques. Quant à Abou-Ammar, il ne dispose d’aucune preuve confirmant notre implication. “D’après certains milieux, le chef de la police palestinienne, Ghazi Al-Jabâli, aurait trempé dans ces opérations. Dans ce cas, pourquoi ne procèderait-il pas à son arrestation? Nous sentons que Arafat n’est pas équilibré, mentalement, en raison de l’état de désespoir dont il pâtit depuis quelque temps”.

QUID DU CAS DES DÉTENUS?
- Qu’en est-il de l’éventuel échange des détenus du parti contre les lambeaux de soldats israéliens dont les corps ont été déchiquetés lors du débarquement héliporté raté d’Ansarieh?On dit que le “Hezbollah” réclame la libération de soixante-quinze prisonniers dont certains de ses responsables.
“D’aucuns ont prétendu que le parti a présenté une liste de 75 détenus; cela n’est pas vrai. Le “Hezbollah” déploie de grands efforts afin de libérer les détenus sans aucune distinction d’ordre communautaire, sectaire, politique ou partisan. “Les contacts effectués, actuellement, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge sont lents, les Israéliens tardant à donner les réponses à nos questions”.

- Pourquoi, à votre avis, tardent-ils à répondre?
“Je crois que Netanyahu tergiverse dans l’espoir de voir s’estomper la vague de colère suscitée par cette opération avortée qui a sérieusement affecté le moral des forces et du peuple israéliens. Le Cabinet de Tel-Aviv se trouve, en ce moment, dans une situation embarrassante”.

- Quel a été l’objectif de l’opération d’Ansarieh? Est-ce vrai que le commando israélien avait pour mission d’enlever un dignitaire chiite?
“Les faits ne nous permettent pas de déterminer, exactement, l’objectif de l’attaque: kidnapper un cheikh, dynamiter une maison ou un endroit précis, miner le secteur. Celui qui peut révéler la vérité, ce sont les israéliens chargés d’exécuter l’opération.

RELATION POSITIVE AVEC LES ORGANISMES SÉCURITAIRES
- La riposte au débarquement héliporté israélien a montré l’existence d’une entente entre les services de renseignements sécuritaires libanais et du “Hezbollah”. Dans quelle mesure ces services coopèrent-ils entre eux?
“La relation est positive entre la Résistance et les services sécuritaires, ce qui nous permet de jouer notre rôle sur le terrain sans accroc, l’Armée libanaise et les organismes de sécurité s’acquittant comme il se doit de leur mission. De là à dire qu’il existe une parfaite coordination entre nous, il n’y a qu’un pas que certains ont franchi. Nous n’en dirons pas autant, mais notre relation permet à chaque partie de jouer son rôle et d’assumer sa responsabilité avec sincérité et patriotisme”.

- De profondes divergences opposent les membres du Cabinet Netanyahu au sujet du retrait de “Tsahal” du Liban-Sud: certains ministres sont pour l’évacuation et d’autres s’y opposent. Laquelle des deux positions l’emportera, en définitive?
“Le problème du Liban est complexe par rapport à l’ennemi israélien. Ce dernier parle du Sud libanais comme s’il s’était transformé en “Vietnam”, en marécage et sables mouvants. “Le Liban pose donc un véritable problème à l’Etat hébreu et il est naturel que des divergences opposent les responsables israéliens, quant à la manière de traiter ce problème. D’autant que la plupart d’entre eux sont d’anciens généraux de l’armée. “Puis, l’opposition travailliste ne manque aucune occasion pour tenter de discréditer le Cabinet et ceci est normal, car il s’inscrit dans le cadre de la lutte pour le pouvoir. Quoi qu’il en soit, Israël est, aujourd’hui, dans l’embarras, ne sachant quoi faire: doit-il retirer ses troupes au Liban, ce qui constituerait un aveu d’échec pouvant susciter de vives réactions aux plans politique et social ou bien doit-il maintenir “Tsahal” au risque d’avoir d’autres victimes? “Si nous voulons entretenir ces divergences interisraéliennes, nous devons leur infliger de plus lourdes pertes, afin qu’ils réalisent que leur option logique réside dans leur retrait du Liban”.

LE RETRAIT ISRAÉLIEN, UNE QUESTION DE TEMPS
- Quand cela se produira-t-il?
“Il s’agit d’une question de temps, le retrait israélien étant immanente, car en définitive et tôt ou tard, tout occupant doit évacuer un territoire qu’il a spolié. Il ne fait pas de doute que la cohésion des Libanais et l’efficacité de la Résistance auront les Israéliens à l’usure et accélèreront leur départ”.

- A votre avis, les négociations de paix ont-elles été torpillées définitivement ou bien la tournée de Mme Albright contribuera-t-elle à les relancer?
“Si Netanyahu ne veut pas la paix, alors que Pérès la veut à sa manière, le Premier ministre israélien étant déterminé à dénoncer l’accord d’Oslo, le pire que l’Autorité palestinienne a pu conclure jusqu’ici, comment est-il possible de débloquer les négociations? “Soutenu par les partis religieux et le Likoud, Netanyahu projette de régler le problème palestinien d’une manière différente de celle envisagée par l’accord d’Oslo. Netanyahu, contrairement à ce qu’on pense, sait ce qu’il veut et œuvre avec minutie pour y parvenir. Quant à l’administration américaine, elle n’est pas un médiateur honnête et impartial et Albright ne peut qu’être juive, sa position à Jérusalem étant différente qu’à Damas, Ramallah ou toute autre capitale arabe. “Les Américains s’emploieront à relancer le volet palestino-israélien, mais sans exercer des pressions sur Israël, comme ils le font par rapport à Arafat, aux gouvernements arabes et aux volets libanais et syrien”.

- Pourquoi n’êtes-vous pas représenté au Cabinet Hariri, alors que vous avez vos représentants à l’Assemblée nationale?
“Jusqu’ici, cette question fait l’objet de discussion au sein du parti. Devons-nous accepter un portefeuille ministériel, s’il nous est proposé, ou pas? En fait, quand l’Etat procède à la formation d’un gouvernement, il ignore le “Hezbollah”. Notre participation au pouvoir dépend de ce que notre parti aura réalisé au plan national, car nous ne voulons pas y participer de n’importe quelle façon. Nous ne voulons pas être de faux témoins et aider à réprimer les libertés aux dépens de notre peuple. “Si notre présence au sein du Pouvoir est dans l’intérêt de ce peuple, contribue à le prémunir contre l’injustice et à consacrer les libertés, nous n’hésiterons pas à assumer nos responsabilités. “Mais si le futur Cabinet était à l’image de l’équipe ministérielle actuelle, je ne crois pas que le “Hezbollah” accepterait d’en faire partie”.


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