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“Le 10 septembre 1946, Jésus s’adresse à notre mère dans un train. Il lui parle de la soif immense et, surtout, des pauvres parmi les pauvres. Il lui demande de fonder cette congrégation pour être au service des pauvres parmi les pauvres. Dans sa simplicité, sa liberté, elle a compris ce que lui demandait Jésus et la prière de Marie qui lui demandait de faire ce que Jésus lui demandait. La mission de Mère Teresa était une mission d’amour rappelant à chaque personne qu’elle est précieuse et aimée de Jésus. “Ce que vous faites aux pauvres, vous le faites pour moi.” On possède tout, en possédant Jésus. “Priez pour nous pour que nous puissions poursuivre l’esprit et les œuvres de Mère Teresa.”
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C’est en ces termes que sœur Nirmala - qui depuis son élection à la tête de la congrégation des Missionnaires de la Charité, en mars dernier, a refusé le titre de “Mère” qui ne convient qu’à une seule, Mère Teresa - s’est adressée aux quinze mille invités qui ont assisté aux obsèques de Mère Teresa, au stade Netaji de Calcutta, au million de fidèles qui ont suivi le cortège, aux quatre mille membres de la congrégation soutenus par mille volontaires servant dans six cents institutions de cent vingt pays. Et, aussi, aux millions de téléspectateurs et sympathisants que la vieille femme, ridée, courbée, ramassée sur elle-même, décédée le 5 septembre, d’un arrêt cardiaque, à l’âge de 87 ans, avait remués au plus profond de leur cœur. Aussi, sœur Nirmala, une hindoue népalaise de la branche des brahmanes convertie au catholicisme (détentrice d’une maîtrise en sciences politiques et dotée d’une vaste culture) a-t-elle souhaité à Mère Teresa “bienvenue au paradis”. Son message, lors de cette cérémonie multiconfessionnelle, était suivi d’une série d’autres venant de l’archevêque de Canterbury, de l’église du nord de l’Inde, des religions hindoue et musulmane, des sikhs qui ont tous salué la mémoire de la “sainte de Calcutta” qui avait porté dans ses bras plus de trois mille morts.
FUNÉRAILLES D’ÉTAT À LA
“MADONE DES BIDONVILLES”
Quoique occultée quelque peu par les funérailles
planétaires de la princesse Diana, la mort de Mère Teresa
avait quand même provoqué une immense “onde d’amour” dans
le monde, suscité une profonde émotion à travers toute
l’Inde et mobilisé les hautes autorités du pays qui ont décrété
deux journées de deuil national. A l’annonce de sa mort, le Premier
ministre, Inder Kumar Gujral, a interrompu ses activités, pris l’avion
de New Delhi pour venir s’incliner devant sa dépouille à
la maison-mère des Missionnaires de la charité de Calcutta.
Son exemple a été bientôt suivi par les Indiens, toutes
catégories sociales confondues, attendant le long de files de plusieurs
kilomètres pour lui rendre hommage. L’afflux des visiteurs fut tel
qu’il devint impératif de la transporter en l’église Saint-Thomas
où, déposée dans un cercueil de verre, recouverte
de son sari blanc bordé de bleu, elle reposait pour l’éternité.
Des funérailles nationales réservées aux chefs d’Etat
et aux Premiers ministres furent décidées pour “la Madone
des bidonvilles”. Et l’armée qui a pris soin de la veiller et de
conduire son cortège, a déployé pour elle tous les
fastes de ce monde qu’elle avait toujours refusés. Tôt le
samedi 13 septembre, des soldats d’élite de l’armée indienne
ont porté son cercueil découvert sur un affût de canon
historique qui avait transporté en 1948 la dépouille du Mahatma
Gandhi et, en 1964, celle de Jawaharlal Nehru, remorqué à
un camion où avaient pris place des religieuses de l’ordre conduites
par Sœur Nirmala et des officiers de l’armée. Onze véhicules
militaires ont accompagné le cortège ayant suivi un parcours
de cinq kilomètres dans les rues de Calcutta, capitale du Bengale
occidental qui compte quinze millions d’habitants. La foule est dense,
disciplinée, rompant toutefois par moments les barrages en dépit
des onze mille policiers déployés. Dans ses rangs, tous les
laissés pour compte auxquels Mère Teresa a dédié
sa vie: lépreux, malades, handicapés, aveugles qui n’ont
pas eu droit de cité au stade Netaji où se déroule
la cérémonie funèbre. Dans ce stade, ont déjà
pris place: le président de l’Inde K.R. Nrayanal, le Premier ministre
Inder Kumar Gujral, le “Chief minister”du Bengale occidental le communiste
Jyoti Basu (l’un de ses meilleurs interlocuteurs), le président
de la République italienne, Oscar Luigi Scalfaro venu la veille
accompagné de la seule survivante de la famille de Mère Teresa,
sa nièce habitant la Sicile; le président albanais Rexhep
Meidani, les reines Sophie d’Espagne; Nour de Jordanie; de l’ancienne reine
des Belges, Fabiola; des présidents américain et français
Hillary Clinton et Bernadette Chirac, Sonia Gandhi, épouse de l’ancien
Premier ministre Rajiv, petits-fils de Nehru, l’épouse du Premier
ministre du Canada, Aline Chrétien, du Premier ministre du Bengladesh,
cheikh Hassina Khaled...
IL EST BIEN PLUS EXALTANT DE DONNER QUE DE
RECEVOIR
La messe des funérailles en anglais accompagnée
de chants et d’hymnes en bengali et hindia, est célébrée
par l’archevêque de Calcutta Mgr Henry D’Souza qui évoque
dans son oraison funèbre l’héritage de Mère Teresa,
suivi de l’archevêque de Bombay, Simon Pimenta lequel lit en anglais
le chapitre cinq de l’Evangile selon Saint-Mathieu et qui résume
le message de Mère Teresa. Le secrétaire d’Etat du Vatican,
le cardinal Angelo Sodano, délivre le message de Jean-Paul II qui
indique dans l’essentiel combien le don d’amour est supérieur à
tous les autres et qu’il est bien plus exaltant de donner que de recevoir.
“La sainteté, la bonté et l’amour”sont encore fort heureusement
reconnus dans le monde. A l’heure de l’offrande, une orpheline et un lépreux
s’avancent vers l’autel où sont inscrits ces mots: “Works of love
are works of peace.” A l’issue de la cérémonie qui a duré
deux heures, le convoi prend la direction inverse que celle du départ,
cette fois sous la pluie. Mère Teresa est inhumée à
la maison-mère des Missionnaires de la charité, tandis que
les Ghurkas, soldats d’élite de l’armée indienne, tirent
quatre salves de fusil et que quatre clairons entonnaient l’adieu aux armes.
Rien n’est fini. Tout recommence. Les Missionnaires de la charité
vont continuer à soulager les miséreux, les malades, les
mourants. La polémique au sujet du prosélytisme de Mère
Teresa qui n’a cherché qu’à “faire d’un musulman un meilleur
musulman, un Indien un meilleur Indien», de l’image désastreuse
qu’elle a donnée à Calcutta, son engagement contre l’avortement,
ses ressources manquant de transparence, pourrait s’apaiser ou se poursuivre.
Peu importe. Une sainte s’est rendue au paradis. Et son processus de canonisation
est en marche.