Chronique


De RENE AGGIOURI

 

LE BEAU GÂCHIS
Le ministre français des Affaires extérieures, M. Hubert Vedrine a dit tout haut ce que tous les gouvernements en Europe pensent tout bas: la politique de M. Netanyahu est catastrophique. “Elle a cassé la paix”. Il était bien entendu que M. David Levy ne pouvait passer sous silence cette grave accusation au moment où M. Netanyahu et Mme Albright, à l’unisson, rejetaient la responsabilité sur les terroristes et sur M. Arafat. “C’est inacceptable”, a-t-il envoyé dire à M. Vedrine qui a aussitôt répliqué: “Ce que j’ai dit reflète une opinion largement répandue.” Cet échange d’aménités se produisait pendant que Mme Albright prenait, sur le terrain, la mesure de la dégradation et de la difficulté de la tâche qu’elle devait affronter après de si longues tergiversations (lesquelles sont, aussi, une des causes de cette dégradation). “Je ne suis pas une magicienne”, s’est-elle plu à souligner à plusieurs reprises. Mais qui donc lui demande de jouer les fées?... Il lui suffirait, au nom de la très puissante Amérique qu’elle représente, d’élever la voix et de dire fermement à M. Netanyahu: “Assez!” En somme, de parler comme M. Vedrine avec cet avantage qu’elle dispose, elle, de tous les moyens pour se faire entendre. Mais voilà: le Congrès américain est sous influence sioniste et M. Clinton est soucieux de préparer la campagne électorale de son vice-président Al Gore, qu’il destine à sa succession pour continuer sa politique. Et voilà encore comment on expose une région aussi vitale que le Proche-Orient au risque de guerre et de chaos et les intérêts américains eux-mêmes à tous les dangers. De cette folie, l’Histoire se souviendra comme de Munich, par exemple.

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Pour permettre à Mme Albright de sauver la face avant son retour à Washington, M. Netanyahu a fait un geste timide de conciliation: il a levé les barrages entre les villes autonomes, débloqué une partie des fonds dus à l’Autorité palestinienne et interdit la construction des maisons juives dans un quartier arabe de Jérusalem. Mais les colons ont aussitôt occupé les lieux en utilisant une “procédure légale”, admet M. Netanyahu!... On souligne, à ce propos, que l’homme est coutumier des retours en arrière, tant il est vrai que son but ultime est d’en finir avec les accords d’Oslo. Le danger d’une conflagration générale existe donc toujours, ne serait-ce que parce que M. Netanyahu est acculé à une fuite en avant. Ce danger, on le voyait venir depuis longtemps. Seule l’Amérique, forte du contrôle militaire qu’elle croit pouvoir exercer longtemps dans le Golfe persique et en Méditerranée orientale, se refuse à en admettre l’imminence. Mme Albright, à Gaza, a dénoncé avec passion les adversaires de la paix, le Hamas, du côté palestinien, qu’elle accuse de terrorisme. Mais elle ne paraît pas voir que le gouvernement même de M. Netanyahu comprend les adversaires les plus coriaces des accords d’Oslo - et que M. Netanyahu est prisonnier des associations de colons les plus fanatiques et non moins terroristes. On a reproché à Arafat d’avoir donné l’accolade au chef du Hamas. M. Netanyahu, lui, siège à la table du conseil des ministres avec les adversaires de la paix. Et cela ne fait pas ciller Mme Albright. Lui-même s’il veut la paix ne la conçoit que comme un diktat. Enregistrons pour l’Histoire, la réponse aux condoléances qu’il lui présentait, de cette mère juive qui avait perdu sa fille de 14 ans dans l’attentat du 4 septembre à Jérusalem: “Ce gouvernement fait tout ce qu’il peut pour détruire la paix. Je n’ai pas de critiques particulières à l’encontre des terroristes du Hamas, c’est nous qui les avons fabriqués. Côté palestinien, il n’y a pas une famille qui n’ait été atteinte par la mort que sème Israël. Tout ce que nous faisons dans les territoires, c’est de produire quelques kamikazes potentiels de plus. Ils sont notre miroir.” A M. Netanyahu qui, croyant la consoler, dénonçait “la bestialité des assassins palestiniens”, elle a répliqué: “Non, Bibi, c’est toi, c’est ta politique qui l’a tuée”. Mme Albright, qui ne veut pas placer sur le même plan “la construction de maisons et les attaques terroristes”, a-t-elle entendu cette voix tragique d’une mère juive? Cette mère n’est pas une terroriste; c’est Mme Peled Elckanan, fille du général Matti Peled qui fut l’initiateur du dialogue avec l’O.L.P. dès 1976.

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C’est de courage que la diplomatie américaine et européenne a besoin aujourd’hui. De courage, d’esprit de décision et de coordination. Laisser aller les choses comme le prétend Mme Albright parce qu’elle n’a pas envie de s’impliquer dans “des querelles tribales” ou de perdre son temps en navettes comme son prédécesseur, M. Christopher (du moins, c’est la réation qu’on lui a prêtée au bout de sa visite à Gaza et à Jérusalem), c’est courir à la catastrophe. On en a déjà les prémices avec la menace de nouveaux attentats en Israël et les agressions contre le territoire libanais où M. Netanyahu veut “punir” l’armée libanaise d’avoir fait son devoir. C’est le début de l’escalade. Elle se produit au moment où Mme Albright quitte la région où elle était venue rouvrir la voie de la paix. Beau résultat. Mais M. Al Gore pourrait être réélu.

 
 
 


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