Membre parmi les plus représentatifs
du bloc parlementaire du président Nabih Berri, (celui de “la libération
et du développement”) M. Mohamed Abdel-Hamid Beydoun, député
du Liban-Sud, se distingue souvent par ses prises de position hostiles
au chef du gouvernement, qu’il accuse “d’appauvrir le peuple et croit pouvoir
faire endosser à ce dernier le financement de la reconstruction”.
“Depuis sa venue au pouvoir, dit-il,
le président Hariri a opté pour une politique irrationnelle,
favorable aux dépenses illimitées. Ceci a eu pour conséquence
de gonfler le déficit du budget.”
Puis, il s’en prend au Premier
ministre pour avoir accaparé toutes les affaires de l’Etat, qualifiant
son “plan de relèvement économique” de mirage, ne disposant
pas d’un programme précis, ni d’un ordre de priorité.
De plus, il dénonce le comportement
du Cabinet “qui œuvre en vue de servir des intérêts personnels
étriqués, aux dépens de l’intérêt national.” |
ENTRETIEN AVEC UN MEMBRE
DE L’ASSEMBLÉE
MOHAMED ABDEL-HAMID BEYDOUN:
“SELON LA LOGIQUE OFFICIELLE,
LE PAUVRE PEUPLE DOIT FINANCER LA RECONSTRUCTION”
LA VISITE D’ALBRIGHT
Invité à évaluer la récente visite proche-orientale
et au Liban de Mme Madeleine Albright qui a qualifié de “dangereuse”
la situation dans notre pays, M. Beydoun émet ces réflexions:
“En réalité, la tournée du secrétaire d’Etat
US englobait toute la région et était en rapport avec la
position américaine envers l’opération de paix.
“Il importe de souligner que les Américains se font une idée
erronée du Liban et de ce qu’il représente. George Schultz,
ancien chef du département d’Etat, avait dit que le Liban était
pareil à la peste. Notre pays a payé cher le prix de la politique
des USA qui ne s’engagent pas vis-à-vis des principes dont ils prétendent
assurer la défense...
“Mais cette politique a progressé d’un pas, quand Mme Albright
a levé l’interdit frappant les ressortissants américains
désireux de venir chez nous, tout en insinuant que le Liban demeure
une région dangereuse.”
Le parlementaire sudiste estime que la tournée du chef de la
diplomatie US n’a pas réussi, parce qu’elle n’a pas jeté
les bases pour la reprise des négociations de paix.”
“AMAL” TOUJOURS SUR LA BRÈCHE
- La visite d’Albright arrêtera-t-elle les agressions israéliennes
au Liban-Sud?
“Il va sans dire que la relance de l’escalade suscitait des inquiétudes,
d’autant que des responsables israéliens, Ariel Sharon notamment,
ont proposé l’élaboration d’un plan destiné à
frapper nos infrastructures, si la résistance libanaise ne mettait
pas fin à ses opérations.
“Si Mme Albright n’était pas venue dans la région, son
absence aurait été interprétée comme un feu
vert donné aux Israéliens pour perpétuer leurs agressions
contre le Liban. Ceci est, sans doute, l’unique point positif de sa visite.”
- On avait constaté, à une certaine période,
l’arrêt ou le ralentissement des activités de “Amal” et maintenant,
le mouvement revient en force...
“L’action de “Amal” ne s’est arrêté à aucun moment
sur le plan de la résistance à l’ennemi. Le mouvement tablait
plutôt sur la qualité populaire et non technique de ses opérations,
suite à l’exode des habitants dans les zones occupées. Toujours
est-il que nous avons accompli des opérations réussies et
les statistiques indiquent que les soldats israéliens ont le plus
pâti de ces opérations.
En réponse à une question relative aux changements qui
interviennent, de temps en temps, au sein du mouvement “Amal” sur le plan
structurel et du commandement, M. Beydoun déclare: “Notre mouvement
s’acclimate avec les développements qui se produisent sur le terrain
et fait évoluer ses capacités combatives selon les missions
exigées de ses cadres.”
NON À LA MAJORATION DES TAXES
- Vous avez suggéré au chef du gouvernement, depuis
peu, de s’endetter auprès des banques locales, entre autres moyens
d’obtenir le milliard de dollars nécessaires au financement de projets
socio-économiques. Maintenez-vous cette suggestion?
“Le président Hariri veut majorer les taxes, à commencer
par la surtaxe sur l’essence (de 5.000 livres pour les vingt litres) et
relever les taxes douanières dans une proportion de 5 pour cent.
Ceci vaudra au Trésor des rentrées de l’ordre de 800 milliards
de livres par an, que les classes laborieuses auront à payer.
“Or, nous pouvons emprunter un milliard de dollars de sources locales
et extérieures, ce montant pouvant être remboursé dans
un délai de vingt, vingt-cinq ou trente ans, selon les conditions
posées par le prêteur. Nous aurions ainsi besoin de 50 millions
de dollars tout au plus, annuellement. Aussi, le plan de relèvement
économique devrait-il être inclus dans le budget, lequel ne
sera pas grevé par une somme relativement réduite, soit 50
et non 500 millions de dollars par an.
“Nous nous opposons à la majoration des taxes et des impôts,
car le peuple n’est plus en mesure de supporter de nouvelles surcharges.
Le président Hariri veut financer la reconstruction par les classes
de condition modeste et à revenu limité. Ceci risque de provoquer
une vague de mécontentement et une anarchie au plan socio-économique
dont nul ne peut prévoir les conséquences.
“Tout le monde est d’accord sur la reconstruction, mais les moyens
de la finance et la répartition équitable des charges entre
les citoyens constituent autant de sujets de divergence. Puis, nous constatons
que notre pays est partagé entre deux mondes; celui des nantis et
le monde des déshérités. Et ceci nous ne pouvons pas
l’admettre”.
POLITIQUE IRRATIONNELLE
M. Beydoun dénonce, ici, la politique suivie par M. Hariri dès
son accession au pouvoir, la qualifiant de politique irrationnelle, n’ayant
pas établi un plafond pour les dépenses publiques. “Le précédent
Cabinet, rappelle-t-il, avait présenté un projet de budget
équilibré dont le chiffre global se montait à 1.700
milliards de livres. M. Hariri a porté ce chiffre à 3.400
milliards. Autrement dit, il a doublé le montant des dépenses
en un court laps de temps.
“Maintenant, il découvre qu’une telle politique a aggravé
le déficit du budget. Le président Hariri ne peut maintenir
le déficit à ce niveau, car cela porte atteinte à
son renom au double plan politique et personnel.
“Le gouvernement avait annoncé, l’année dernière,
que le déficit n’excèderait pas 37%, alors qu’il devait atteindre
51% l’année écoulée et il approche de 55% en 1997.
C’est pourquoi, le président Hariri est pressé de majorer
les taxes et impôts, afin de combler le déficit. Il s’est
donc réveillé après cinq années d’une politique
inconséquente.
“Précédemment, il faisait la sourde oreille aux critiques
et, aujourd’hui, il a l’air de reconnaître son erreur. Les citoyens
sont-ils donc obligés de supporter les fâcheuses retombées
de sa politique socio-économique?
“Les Libanais n’ont pas confiance dans ce gouvernement, car ils ne
sont pas sûrs que les fonds provenant des nouvelles taxes seront
utilisés sainement, aux fins auxquelles ils sont destinés”.
LES BANQUES PRIVÉES ET LES DÉPLACÉS
- Pourquoi votre suggestion relative à l’endettement n’a-t-elle
pas été retenue?
“En fait, la Caisse des déplacés n’a pas prouvé
qu’elle gère d’une manière saine les crédits mis à
sa disposition. Or, il est possible d’assurer le retour des déplacés
par le canal des banques privées, habilitées à une
telle opération. L’Etat a bien confié à ces banques
le soin d’octroyer des prêts aux citoyens pour les besoins de l’habitat,
les montants accordés aux bénéficiaires ayant totalisé
cent millions de dollars.
“On n’a entendu parler d’aucune affaire louche dans ce domaine, alors
que des rumeurs se colportent à propos de ce qui se passe à
la Caisse des déplacés, laquelle dilapide les fonds en les
distribuant à des personnes autres que les ayants-droit”.
M. Beydoun est persuadé que les banques de la place ont la possibilité
de financer le retour des sinistrés à leurs villages, d’autant
qu’elles disposent d’importants dépôts et voudraient bien
les investir dans des projets rentables. “Cette question devrait être
examinée avec l’Association des Banques, mais le gouvernement s’abstient
de le faire M. Hariri ne cesse de vanter le secteur privé, mais
refuse de traiter avec lui”.
- Croyez-vous que le chef du gouvernement ne tient pas compte de
l’opinion des organismes économiques et des membres de l’Assemblée,
préférant prêter l’oreille à ses conseillers
pour résoudre les problèmes socio-économiques?
“Le problème de M. Hariri réside dans le fait qu’il veut
accaparer toutes les affaires de l’Etat. Or, la répartition du travail
entre les institutions d’une manière saine, n’est possible qu’à
travers un système démocratique. Ceci n’a malheureusement
pas eu lieu jusqu’à ce jour. Ainsi, Hariri accapare les prérogatives
du Conseil des ministres et un homme quel qu’il soit, ne peut étudier
tous les dossiers, si important que soit le potentiel humain qui le seconde.
D’autant que la plupart de ses conseillers n’ont pas connaissance de la
conjoncture libanaise, car ils viennent de l’étranger; sont relativement
jeunes et inexpérimentés”.
OÙ SONT LES ORGANISMES DE CONTRÔLE?
- M. Sanioura n’est-il pas versé dans les questions économico-financières?
“Pas du tout, d’autant qu’il n’a pas de vision politique. En fait,
on a le plus besoin aujourd’hui, d’une refonte radicale des procédés
du travail, ce dernier devant être entrepris à travers les
institutions et non des personnes, lesquelles visent souvent à servir
des intérêts personnels.
“Puis, où sont les organismes de contrôle et pourquoi
n’a-t-on pas encore désigné le chef de l’Inspection centrale,
poste vacant depuis neuf mois? De même, la présidence de la
Caisse des déplacés est assumée par un ancien responsable
devenu député. Est-ce permis? Si le gouvernement est incapable
de nommer un président à ladite Caisse, peut-il assurer le
retour des déplacés?
“M. Hariri assume l’entière responsabilité de cette situation
déplorable, car il est au palais du gouvernement depuis cinq ans
et l’occasion lui a été donnée, avec le temps suffisant,
pour la redresser. Même les adjudications et les contrats d’entrepreneurs
sont entachés d’irrégularités. Le Premier ministre
se préoccupe du sort et des intérêts de sa coterie
et néglige les autres citoyens.
“Pour entreprendre le relèvement social et économique
dans des conditions saines, il faut instituer un dialogue national autour
des priorités. Or, le Cabinet Hariri a prouvé qu’il est incapable
d’engager et de soutenir un tel dialogue, ce qui nous conduit à
l’impasse”.
IL FAUT CHANGER DE CABINET
- Ne serait-il pas préférable de changer de Cabinet?
“A mon avis, le gouvernement est inexistant; il n’accomplit plus aucun
travail et ses membres se disputent entre eux et échangent les accusations.
Le Cabinet œuvre sans programme défini et sans vision futuriste;
il se préoccupe, uniquement, de réaliser des projets”.
- Que pensez-vous de la naturalisation des Libanais d’outre-mer
à laquelle certains s’opposent?
“L’affaire a été posée sous l’angle confessionnel
et a provoqué une réaction de même nature. Les émigrés
libanais qui désirent récupérer la nationalité
en ont le droit.
“Cependant, il importe pour nous de définir à quelles
catégories il faut l’accorder et de savoir ce qu’ils peuvent offrir
au pays.
“Il faut donc élaborer une politique de l’émigration,
d’autant que l’accord de Taëf préconise l’élaboration
d’une loi sur la naturalisation, afin de rendre justice à bien des
catégories. Le gouvernement n’a pas encore pris la peine de mettre
au point une telle législation, définissant les principes
de base permettant à l’émigré de reprendre sa nationalité”.
NON AUX MUNICIPALES SOUS L’OCCUPATION
- Qu’auriez-vous à dire à propos de l’arrêt
du Conseil constitutionnel invalidant les lois qui prorogent les mandats
des municipalités et des moukhtars?
“Nos traditions nous commandent de respecter les sentences des différentes
juridictions; que serait de la plus haute instance juridique? En fait,
notre loi sur les municipalités reste statique, alors qu’en France
elle a été révisée plusieurs fois.
“Toujours est-il que je voudrais émettre une observation fondamentale
autour de l’arrêt dudit Conseil, qui n’a pas tenu compte de ce que
10 pour cent des régions libanaises sont sous l’occupation. Ceci
étant, comment peut-on admettre l’organisation d’élections
municipales dans ces régions? Etant entendu que les législatives
ne peuvent être comparées aux municipales, celles-ci exigeant
du citoyen de voter dans son propre village.
“Nous ne pouvons admettre l’organisation d’élections à
l’ombre de l’occupation israélienne, car nous donnerions à
l’ennemi l’occasion de s’immiscer dans nos affaires intérieures”.
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