LA MAISON DE LAMARTINE EXISTE TOUJOURS À ACHRAFIEH
CÉRÉMONIE AUTOUR D’UN “LIEU DE MÉMOIRE”

Le poète Alphonse de Lamartine (1790-1869) résida en cette propriété (septembre 1832 - avril 1833). Sa fille Julia y décéda le 2 décembre 1832”. On peut lire, désormais, ce texte sur une plaque apposée à l’entrée du Foyer des Sœurs Antonines, rue Mar Charbel, secteur des Sœurs de Charité à Achrafieh et qui a été officiellement dévoilée, le 15 septembre, par l’administrateur de Beyrouth, Nicolas Saba et l’ambassadeur de France, Daniel Jouanneau.
La cérémonie autour de ce “lieu de mémoire” s’est, également, déroulée en présence de l’ambassadeur de France à Chypre, Laurent Rapin; du général Dupas, du comité de surveillance au Liban-Sud; des conseillers de l’ambassade; de l’attaché culturel français, Jean-François Desmazières; du directeur du Centre culturel français, Jean-Claude Voisin; des religieuses Antonines; de Richard Chahine, à l’origine de l’événement.
Cet événement se situe dans le cadre du mois du patrimoine initié, pour la deuxième année consécutive, par le Centre culturel français.


Les Sœurs Antonines y ont aménagé un Foyer.    

DE LA RENCONTRE DE RICHARD CHAHINE ET J.-C. VOISIN
Depuis leur installation en 1950 dans ce qui fut l’école israélite acquise par le père Jéitawi, les religieuses Antonines savaient que Lamartine avait vécu dans leur espace actuel, désignant une des pièces par la “chambre Lamartine” et, un peu plus loin, un chêne “le chêne de Lamartine”. Elles évoluaient sur les mêmes dallages, sous des plafonds hauts à poutres de bois, contemplaient “la belle rade de Bayruth”, à travers une façade vitrée à trois arcades, celle-là même qui avait inspiré le poète et empruntaient les escaliers bordés de rampes en fer forgé et noyés sous une profusion d’arbres. Elles avaient pris l’habitude de coexister avec les souvenirs, dans l’intimité, sans faire de bruit.
En parallèle, un antiquaire passionné d’histoire, d’art, de sites et de paysages, entamait son second ouvrage: “Les Orientalistes au Liban” groupant 350 auteurs ayant écrit et illustré l’histoire du Liban. Parmi ceux-ci, figurait, naturellement, Alphonse de Lamartine dont il avait lu tous les livres. C’est ainsi qu’il apprit que l’auteur, après avoir débarqué au Liban, “avait loué cinq maisons sur les hauteurs d’Achrafieh, - la plus grande était une école israélite-, qu’il les avait jumelées par des escaliers extérieurs et qu’elles étaient situées sous un chêne”.
A l’époque, indique Richard Chahine, “il n’y avait ni routes, ni carrosses” et les fenêtres n’avaient pas de vitres. “La première à bénéficier de vitres fut Lady Stanhope en faveur de laquelle l’émir Bachir fit venir des vitres de Damas”. Lamartine relevait que “pour écrire en hiver il devait, ou bien fermer les volets et se contenter de la lumière de la bougie, ou les ouvrir et s’exposer au froid”.
Enfin, Richard Chahine acquit la certitude que la maison de Lamartine était l’ancienne école israélite et que celle-ci a cédé la place au Foyer des Sœurs Antonines. Il en parla à son ami Jean-Claude Voisin qu’il avait rencontré à la faveur de l’une de ses expositions (et qui lui  fournit depuis une aide précieuse dans la préparation des “Images du patrimoine” tome II, dernier-né de ses ouvrages) qui lui demanda de visiter les lieux. Le directeur du Centre culturel français en a par la suite informé l’ambassadeur. Ainsi, s’est précisée l’idée d’une plaque commémorative soumise aux religieuses qui l’ont accueillie favorablement.
 


L’ambassadeur Jouanneau et l’administrateur 
Nicolas Saba lèvent le voile de la plaque 
commémorative.
 


Une rue Lamartine se trouve à Beyrouth, 
secteur 75 nº60, au quartier du Fleuve.
 


Dans la cour du Foyer des Sœurs Antonines,
de gauche à droite: Mme Jouanneau, l
e premier conseiller près l’ambassade de France,
Richard Chahine dont l’ambassadeur a
souligné “l’opiniâtreté” et “l’engagement 
pour le patrimoine libanais”, Daniel Jouanneau, 
Jean-François Desmazières et Jean-Claude Voisin.
 


Richard Chahine a présenté, au CCF, 
“Images du patrimoine”, tome II, 
qui a fait l’objet d’une exposition au ministère 
du Tourisme (15-20 septembre) et se tiendra 
au CCF du 20 septembre au 3 octobre. 
Notre photo: MM. Desmazières, Voisin, 
Chahine et Mme Diana Fadel.

 

“CONSERVER NOTRE PATRIMOINE, PARTIE INTÉGRANTE DE NOTRE MÉMOIRE COLLECTIVE”
Fils de Abdallah Chahine, fondateur des maisons de musique au Liban héritées par ses frères, Richard Chahine, après avoir constaté qu’ils étaient en famille “trop nombreux pour la musique”, choisit ce qui constituait un hobby pour lui: meubles et objets d’art. Il y avait été sensibilisé dès son jeune âge par un père Jésuite, Louis Labry, “l’artiste du collège” qui en l’accueillant, ainsi que ses camarades, à l’infirmerie lui “faisait découper des photos et mettait à (ma) disposition des livres d’art.” “Je lui dois tout”, confie-t-il. Aussi se montre-t-il toujours disponible pour organiser des expositions dans les institutions scolaires “afin de prendre les jeunes au berceau” et de “les inciter à sauvegarder notre patrimoine, partie intégrante de notre mémoire collective”.
Ayant commencé en 1960 “son métier d’antiquaire”, Richard Chahine monte, progressivement, sa galerie pour enfin être surpris par la guerre. “La guerre m’a, en quelque sorte, libéré; j’ai fermé pendant dix ans la galerie et j’ai appris à manier l’ordinateur qu’utilisait mon fils, Jacques, qui préparait son génie à l’AUB et s’emballait pour les cours de computer science. Quand il est parti pour les Etats-Unis, il m’a laissé son ordinateur, l’un des premiers installés au Liban”.
Richard Chahine a ainsi mémorisé toutes ses connaissances, complétant son travail de recherches par ses multiples voyages à l’étranger. Le déclic qui l’a poussé dans le domaine de l’édition, a surgi un soir “par pur hasard” à la faveur d’un dîner offert à Bruxelles par l’ambassadeur du Liban. “Un dîner auquel je n’étais pas préparé et qui m’a mis en présence d’une dame qui connaissait le Liban et m’a confié qu’en organisant une exposition au profit de la Croix-Rouge libanaise, elle n’avait pas trouvé de dépliants concernant l’art au Liban. C’était la comtesse de Limbourstirum, fille du comte de Paris”.
Rentré au Liban, toujours bloqué par la guerre, Richard Chahine, détenteur de la plus grande collection de gravures au Moyen-Orient, s’emploie à la préparation et l’édition de “Cent ans d’art plastique au Liban” en deux volumes. Il est sur la bonne voie. Il édite ensuite “Les Orientalistes au Liban” et commence à réunir les “Images du patrimoine” en trois volumes. Le tome I (Edifices et équipements publics) est édité en septembre 1996. Le tome II (Habitat fortifié et architecture religieuse) vient de sortir en librairie. Le tome III (vieilles demeures et résidences privées) est prévu pour l’automne 1998.
La masse de ses documents mémorisés est impressionnante: 4.800 titres de gravures du Moyen-Orient dont 10% relatives au Liban, plus de 20.000 pages d’histoire, 3.165 sites touristiques, 1.710 peintres, 1.620 familles. Toujours aussi vive sa passion pour la recherche. Et encore plus vif son amour pour le Liban.
 
 

IMAGES DE BEYROUTH PAR LAMARTINE, 1832
Le 3 septembre à deux heures du matin: le capitaine du brick a reconnu les cimes du Mont-Liban. Il m’appelle pour me les montrer... Je levai, alors, les yeux vers le ciel et je vis la crête blanche et dorée du Sannine qui planait dans le firmament au-dessus de nous... C’est une des plus magnifiques et plus douces impressions que j’aie ressenties dans mes longs voyages et puis, c’était la terre où j’allais enfin faire reposer dans un climat délicieux, sur quelque colline verdoyante tout ce que j’avais de plus cher au monde, ma femme et ma Julia (ma fille).
“Bayruth. 6 septembre, neuf heures du matin. Nous étions devant Bayruth, une des villes les plus peuplées de la côte anciennement Béryte, devenue colonie romaine sous Auguste, qui lui donna le nom de Félix Julia, sa fille. Cette épithète d’heureuse lui fut attribuée à cause de la fertilité de ses environs, de son incomparable climat et de la magnificence de sa situation (...)
“7 septembre. J’ai loué cinq maisons qui forment un groupe et que je réunirai par des escaliers en bois... La maison est à dix minutes de la ville, on y arrive par des sentiers ombragés (...)
“La ville (de Beyrouth) occupe une gracieuse colline qui descend en pente douce vers la mer; quelques bras de terre ou de rochers s’avancent dans les flots et portent des fortifications turques de l’effet le plus pittoresque; la rade est fermée par une langue de terre qui défend la mer des vents d’est; toute cette langue de terre, ainsi que les collines environnantes sont couvertes de la plus riche végétation; les mûriers à soie sont plantés partout et élevés d’étage en étage sur des terrasses artificielles; les caroubiers à la sombre verdure et au dôme majestueux. Les figuiers, les platanes, les orangers, les grenadiers et une quantité d’autres arbres ou arbustes étrangers à nos climats, étendent sur toutes les parties du rivage, voisines de la mer, le voile harmonieux de leurs divers feuillages; plus loin, sur les premières pentes des montagnes, les forêts d’oliviers touchent le paysage de leur verdure grise et cendrée: à une lieue environ de la ville, les hautes montagnes des chaînes du Liban commencent à se dresser; elles y ouvrent des gorges profondes, où l’œil se perd dans les ténèbres du lointain; elles y versent de larges torrents, devenus des fleuves.
(Textes, illustration et portrait de Lamartine tirés de “Les Orientalistes au Liban”, édité par Richard Chahine)

 
 

ALLOCUTION DE DANIEL JOUANNEAU, AMBASSADEUR DE FRANCE AU LIBAN
Cette maison a accueilli au XIXe siècle l’un de nos plus grands poètes et l’un des hommes politiques qui ont contribué à changer en profondeur la société française. Lamartine est déjà un écrivain très connu lorsqu’il décide de venir au Liban en 1832.
“La publication de ses poèmes (Harmonies, Méditations) a eu un grand succès.
“Il a été élu à l’Académie française.
“Il est considéré, à 42 ans, comme l’un des maîtres de la jeune génération des écrivains romantiques occidentaux.
“Il vient au Liban pour deux raisons.
“L’attrait de l’Orient sera important pendant tout le XIXe siècle, sur les intellectuels français: Chateaubriand, Flaubert, Théophile Gautier, Loti, Renan, Nerval. Des liens existent déjà entre le Liban et la France: liens culturels (congrégations religieuses), liens consulaires (depuis François 1er).
“La maladie de sa fille Julia, âgée de 10 ans, atteinte de tuberculose et pour laquelle le climat du Liban pouvait être une chance de guérison. Hélas! c’est dans cette maison que Julia sera emportée par une dernière crise, deux mois à peine après son arrivée à Beyrouth.
“Lamartine habite Beyrouth de septembre 1832 à avril 1833.
“Les cinq maisons qu’il loue dans la campagne de Beyrouth (une seule subsiste) sur les hauteurs d’Achrafieh, constitueront autant de pied à terre pendant ses nombreuses courses à travers le pays. Il y loge avec sa famille, son personnel de service, une bibliothèque de 500 volumes, 14 chevaux...
“C’est plus qu’un voyage. C’est une véritable expédition qu’engage Lamartine.
“Ce voyage et ce séjour sont pour Lamartine: D’abord, un voyage romantique dans un pays dont le mystérieux oriental fascine les Occidentaux et qui sera pour l’auteur l’occasion de descriptions d’une très grande qualité littéraire: le coucher de soleil à Baalbeck, le récit d’une excursion dans la vallée de la Kadisha sont des morceaux d’anthologie.
“Ensuite, un voyage spirituel. Pour Lamartine, voyager en Orient, c’est faire un pèlerinage au berceau du christianisme. Mais c’est, aussi, aller à la découverte des autres religions qui constituent la richesse et la singularité du Liban.
“Enfin, un voyage vers les autres, en prise sur le réel, chez un homme qui possède au plus haut point le sens des échanges et des contacts humains. Tout l’intéresse: la vie quotidienne, les langues, les costumes, l’habitat, etc...
“Il écrit dans “Voyage en Orient”: “Il n’y a d’homme complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie.”
“Après son voyage au Liban, Lamartine jouera en France un rôle politique de premier plan.
“Février 1848: Après l’abdication de Louis-Philippe, Lamartine et six autres députés (dont Arago, Ledru-Rollin, Garnier, Pages) proclament la République et une série de réformes fondamentales: suffrage universel (le corps électoral passe de 240.000 à 9 millions), liberté de la presse, abolition de la peine de mort pour raisons politiques, abolition de l’esclavage dans les colonies.
“Avril 1848: Après les élections à l’Assemblée, Lamartine fait partie de la commission exécutive qui gouverne le pays jusqu’aux élections présidentielles de décembre (Lamartine sera candidat contre Louis-Napoléon Bonaparte).”

  Par EVELYNE MASSOUD  


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