Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

L’ÉQUATION DU POUVOIR

Personne ne déteste Fouad Sanioura. Bien au contraire. On dit que c’est un convive des plus agréables, un véritable boute-en-train qui fait des vers et chante le “tarab” d’une voix bien timbrée. Pourquoi donc faut-il que ce joyeux drille, cet expert comptable hautement qua-lifié, se pose en visionnaire de l’économie, alors que les données modernes de cette discipline lui sont parfaite-ment imperméables?
Je ne sais à quelle époque de l’Histoire ou de la préhistoire remontent les connaissances de notre grand argentier par procuration. Disons, pour lui rendre justice, que sa plus récente vision des finances publiques ne va pas plus loin que le moyen-âge, du temps de la gabelle, de la taille, de la dîme et autres jambage et chevage. De ce temps béni où le serf travaillait pour le seigneur et le roturier pour le suzerain.
Imaginer que la Révolution française est venue supprimer les privilèges, relève d’une naïveté qui frise l’idiotie. A la place des suzerains de naissance, nous avons aujourd’hui la suzeraineté de l’argent et les seigneurs de droit divin n’ont disparu que pour céder la place à une nouvelle race de seigneurs, ceux du droit du plus fort.
Partant de là, l’équation, au regard de notre Sanioura national, est très simple: les dirigeants doivent être entretenus par les dirigés, les gouvernants et les possédants par les déplumés régulièrement plumés.
Le Premier ministre, qui ne semble voir les choses qu’à travers l’optique distordue dudit Sanioura et dont la fortune est “suffisamment confortable” pour le mettre à l’abri des fins de mois difficiles, pense sans doute, à l’instar de son éminence grise, que ceux qui ont la sottise de ne pas savoir faire de l’argent, doivent être pénalisés jusqu’au trognon.
Cependant, il faut avouer que M. Hariri et son chancelier de l’échiquier ont fait un effort méritoire pour comprimer le budget 98 jusqu’à l’implosion, mais ils ont beau jurer leurs grands dieux qu’il n’y aura pas de crédits additionnels, il n’en existe pas moins un trou énorme à boucher. D’où se procurer l’argent alors qu’on leur refuse le milliard de dollars qu’ils croyaient déjà dans la poche?
Majorer le bidon d’essence, il n’en est pas question, du moins pour le moment. Reste quelques broutilles à glaner dans des poches déjà raclées jusqu’à la trame. La première à passer à la moulinette est l’Université Libanaise. Plus d’un demi-million de surtaxes pour les étudiants. On dira que cette mesure frappe tout le monde et pas seulement les classes défavorisées. C’est faux. Car qui va à l’Université Libanaise? Ceux qui tiennent à élever le niveau intellectuel et matériel des leurs et qui pour ce faire se saignent aux quatre membres. Quant aux autres, ils vont en Polytechnique, à Cambridge, à Harvard, à Stanford.
Que rapporteront les nouvelles taxes? Dans le meilleur des cas 300 milliards, alors qu’il existe plus de 700 milliards de taxes déjà dues et qui ne sont pas collectées dans le domaine des impôts directs, de l’EDL, du service mécanique, du bâtiment.
A-t-on osé faire payer ceux qui jouissent de protections occultes, ceux qui menacent l’ordre public, ceux qui prêchent la désobéissance civile? Tous les dirigeants, présidents, ministres, députés, hauts fonctionnaires, leaders surprotégés, copains bien en cour, comparses, associés et prête-noms payent-ils leurs impôts, leurs taxes d’habitation, leurs notes de téléphone, d’électricité, leur mécanique?...
Il ne faut surtout pas oublier les accords de gré à gré pour des centaines de millions de dollars, les budgets dépassés au moindre prétexte, les pots-de-vin, les pourcentages juteux, les frais somptuaires, le délire de voyages aux frais de la princesse, les palais qu’on édifie à tour de bras pour tel président, tel ministre, tel tartampion.
Le tout à inscrire sur l’ardoise de ce cochon de payant qui doit passer à la caisse jusqu’à ce qu’il en crève (ce qui, de ce train-là, ne saurait tarder).
C’est un peu l’histoire de ce jeune garçon qui interroge son père la voix tremblante: “-Dis, papa, c’est loin l’Amérique?” Et le père furieux: “Tais-toi et nage!”
Pour nager, nous nageons. Reste à découvrir le moyen de surnager. 

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