Le
cabinet Hariri vient de boucler à l’arraché le budget de
l’année comptable 1998, mijoté, truffé, amputant entre
autres, quatre budgets non des moins importants tels que la Santé,
la Culture, les Travaux publics et les Affaires étrangères.
Les priorités fixées dans ce budget déficitaire, ont
fait l’objet d’un troc net et clair entre les chefs de l’Exécutif
et du Législatif pour que le bazar budgétaire soit conclu
de gré à gré. L’humeur du temps n’est sans doute pas
étrangère à ce chef-d’œuvre de combines.
Les Libanais ont longtemps vécu la politique du donnant-donnant,
qui nous rappelle en l’occurrence, la fable de la poule et du cochon. “Tu
sais, dit la poule au cochon, nous pouvons conclure un bon négoce
entre nous”. “Quoi donc, dit le cochon?” Sans hésiter, la poule
lui répond: “Des œufs au jambon”. Le cochon découvre que
pour mener à bien cette action commune, il doit accepter d’être
coupé en morceaux”. Morale de la fable: toute négociation
repose sur le donnant-donnant. Comprenne qui voudra.
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Les Libanais, anxieux, s’interrogent: Comment peut-on être rassuré
avec un déficit budgétaire de 8 milliards de L.L., dont le
service de la dette publique constitue à lui seul la moitié?
On leur dira que le Liban créateur de richesses, le Liban des
entrepreneurs, viendra au secours du Liban des temps difficiles, ceux des
petites gens qui s’accrochent à une bouée de sauvetage de
leurs acquis.
Toutefois, dans un monde qui roule à toute allure, où
tout change spontanément, il subsiste d’étranges permanences.
Le nouveau programme économico-financier établi par le tandem
Hariri-Sanioura, relève d’un certain “Keynésianisme” abâtardi
qui s’est soldé souvent par un échec fatal. Tout se passe,
en effet, comme si le couple mentionné tente de retrouver le climat
propice à faire basculer une économie déjà
éprouvée, en perte de vitesse incontournable, en essayant,
autant en emporte le vent, de maintenir un Etat monopoliste, végétant
dans un système libéral désuet, en proie à
toutes les démesures. Piètres qualités d’un mauvais
entrepreneur, laissant derrière lui des erreurs et des déficits
bloquant l’évolution d’une société dépourvue
du rôle qu’elle pourrait jouer, si jamais elle était appelée
à contribuer à des tâches productives.
Pour plus de maladresse et de confusion, on tient à appliquer,
vaille que vaille, un régime d’austérité budgétaire
au risque d’une dévaluation monétaire catastrophique à
tous les égards. Autant dire que c’est vouloir résoudre la
quadrature du cercle, car la simple annonce d’une telle mesure, entraînerait
aussitôt une fuite de capitaux pire que celle des malencontreuses
années de guerre.
Et l’opinion de clamer: existe-t-il encore une chance pour une planification
socio-économique façonnée cahin-caha à son
insu? Y a-t-il encore une marge de redressement pour une économie
en mauvaise posture, démunie de ressources matérielles et
financières, pour lutter contre une inflation galopante et permettre
une plus juste répartition de revenus de la croissance, s’il en
est une, indispensable à la qualité de la vie et l’efficacité
de l’économie nationale?
***
M. Hariri et consorts auront-ils élaboré un budget d’austérité
pour rétablir la confiance avec l’opinion ou s’agit-il d’une offre
plutôt politique dont devrait prévaloir la classe aisée,
au détriment des salariés et des laissés-pour-compte
qui sont en perte de confiance à l’égard d’un gouvernement
qui incarne à leurs yeux un système arbitraire farci de faux-fuyants?
Ce n’est peut-être pas M. Hariri en tant que tel qui est en cause,
mais le système qui laisse trop à désirer. Les Libanais
en ont assez d’être administrés d’en haut par les dirigeants
qui ordonnent et gaspillent aveuglément, d’encaisser les coups durs
d’un système qui appelle à l’optimisme quand tout s’en va
à vau l’eau. N’est-ce pas se moquer des gens que de les convaincre
que pareils sortilèges pourraient encore avoir une quelconque résonance?
Faut-il que les gouvernants soient aussi surpris par la médiocre
situation socio-économique pour s’en remettre aux hégémonies
étrangères et mettre à chaque instant de l’ordre dans
la maison et que nous soyons, en fin de compte, acculés à
mettre le doigt sur notre plaie qui se gangrène?
M. Hariri est-il en train de jouer à l’embuscade? Est-ce la
logique perverse d’un Exécutif tâtonnant qui a perdu l’équilibre,
en se blessant avec l’arme redoutable et sacrée de l’opinion qui,
au départ, lui a fait pleine confiance?
Les Libanais, dans la tourmente, s’interrogent: à quand la purge
d’un système dont l’impo-pularité éclate au grand
jour? Pour attaquer le mal à la racine, on ne se contente pas de
crier au loup. Quand on sollicite la confiance des gens sans l’obtenir,
même pas à l’arraché, il faut s’attendre à toutes
les conséquences, aussi lourdes soient-elles.
Reste enfin à savoir si, dans l’état où se trouvent
les Libanais, ils seront encore longtemps gouvernables?
Comment pourront-ils se réapproprier les lois et les règles
qui les protègent contre les abus et les outrecuidances des responsa-bles,
s’ils ne dénoncent pas, ouverte-ment, ceux qui, les enfreignant
sans vergogne, les détournent à leur profit aux dépens
de leurs desti-nataires, qui sont les contri-buables, puisqu’en définitive,
c’est en leur nom que les lois sont promulguées? |
“La manie politique de rebaptiser les
problèmes, au lieu d’œuvrer à les résoudre est un
symptôme de perpétuelle vieillesse capable de les faire éclater
tous à la fois.”
Michel Chiha
(Politique intérieure) |