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UN AIR D’AUSTÉRITÉ 
 
Ainsi, dans le respect des délais constitutionnels, M. Hariri a réussi, enfin, à produire un projet de budget pour 1998. Les dépenses y sont comprimées et les recettes augmentées de manière à limiter le déficit. Budget d’austérité. Il en a le nom, mais en a-t-il la rigueur? 
La même limite, exactement, avait été posée au déficit dans le budget de 1997, mais on n’a pu s’y tenir. Le dépassement est tel que le chef du gouvernement a fini par s’en alarmer. Il en était temps. Beaucoup de bons esprits le mettaient en garde depuis longtemps contre le gonflement de la dette. Il n’en tenait aucun compte. 
Or, le projet de loi de Finances pour 1998 était-il à peine adopté par le Conseil des ministres, que plusieurs membres du Cabinet se sont empressés de proclamer que leur département ne pourrait pas fonctionner dans ces limites. A commencer par le ministre des Travaux publics (sans compter celui  des «déplacés») qui réclame, déjà, une rallonge minimum de 40 milliards pour seulement l’entretien des routes, précise-t-il. Et il espère bien l’obtenir de la Chambre. Les députés, comme nul ne l’ignore, se partagent chaque année, les crédits d’asphaltage, de réasphaltage ou de rapiéçage de la chaussée pour plaire à leurs électeurs. 
Cela promet de belles empoignades au cours des débats parlementaires et l’on verra le bon M. Sanioura placer les députés devant leurs responsabilités et réclamer, pour les satisfaire, de nouvelles recettes, de nouveaux impôts. 
On connaît le scénario. C’était exactement le même il y a un an. Et l’on parlera encore d’une gestion plus rigoureuse, de discipline et de meilleure perception des impôts; on parlera encore de la réforme administrative... Et M. Hariri aura de nouveau beau jeu de souligner combien il est difficile de la réaliser à cause de sa politisation, c’est-à-dire des députés eux-mêmes. 
Le résultat en 1998  sera-t-il le même qu’en 1997? Comment pourrait-on en douter? 
Les mêmes causes produisent les mêmes effets... 
***

Le plus étrange en tout cela, c’est la facilité avec laquelle le gouvernement rejette toujours la responsabilité de ses échecs sur les députés sans jamais reconnaître sa propre responsabilité. 
Dans tout régime parlementaire fonctionnant normalement, un gouvernement qui échoue à tenir ses promesses, cède la place. Ici, il n’y a pas de sanction pour l’échec. 
Je me trompe, je refais les mêmes promesses, je continue et j’exige même des députés qu’ils me facilitent la tâche, alors qu’ils me la compliquent. 
Et les députés marchent. Ils prolongent le mandat du même gouvernement tout en continuant à le harceler... Donnant, donnant. C’est un bazar. 
Plutôt que de parler, à la manière de M. Sanioura, de responsabilité partagée, ne serait-il pas plus exact d’appeler ce système un régime d’irresponsabilité généralisée? Et de complicité? 
En vérité, nous nous payons de mots. Nous raisonnons sur des notions qui n’ont rien à voir avec les réalités. Appeler parlementaire le régime dont nous sommes dotés, c’est entretenir des idées fausses et produire cet état de découragement et de mécontentement où plongent ceux qui comparent la pratique parlementaire libanaise avec les notions qu’ils ont apprises à l’école. Le régime parlementaire repose sur l’alternance au pouvoir, conséquence du contrôle de la gestion de l’Exécutif. Ici, il n’en est pas question. Il n’y a, pour le comprendre, qu’à entendre les sermons périodiques de M. Hariri et de M. Sanioura aux députés. Ils se terminent  toujours par cette proposition: Aidez-moi et je réussirais. 
Or, les députés ne sont pas là pour aider, dans le sens où l’entend M. Sanioura, mais pour contrôler et sanctionner. A partir du moment où ils savent qu’ils ne peuvent pas sanctionner, ils sont fort aise de monnayer leur vote de confiance. C’est leur façon d’aider l’Exécutif à continuer dans la même voie, en fermant les yeux sur les abus après les avoir entrouverts juste assez pour faire peur. 

***

Mais qui a peur? La partie est jouée d’avance. Personne ne peut tromper personne. 
Les quelques députés qui s’obstinent dans leur vaine opposition et dans leurs véhémentes critiques, les Lahoud, les Wakim, Karamé et quelques autres entretiennent dans l’esprit public l’illusion d’un parlementarisme vivant: 
A tout bien considérer, c’est là un précieux service rendu à un gouvernement qui se montre toujours tellement soucieux de sa réputation aux yeux de l’étranger... 
... N’est-il quand même pas bizarre de présenter un budget d’austérité en continuant d’afficher des mines aussi épanouies? 

 
 
 

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