Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

LES SANGLOTS LONGS DES VIOLONS DE L’AUTOMNE*

Cette chanson douce que nous chantait notre Premier ministre depuis cinq ans, à propos de boom économique et de finances publiques super-saines, vient de se transformer en “sanglots longs des violons de l’automne.” 
Un lamento déchirant que module notre cigale des Finances qui, après avoir chanté tout l’été, se retrouve fort dépourvue - et nous avec, nous surtout - quand l’heure des comptes fut venue. M. Sanioura l’a avoué à la commission parlementaire des Finances: notre budget est moribond. Il souffre d’une maladie pernicieuse qu’on pourrait appeler le virus du trou. Non plus “des p’tits trous, toujours des p’tits trous”, mais un méga-trou qui menace d’engloutir à la fois ladite cigale, son chef d’orchestre et les trente instruments qui l’accompagnent. Et comme si la catastrophe n’était pas suffisante, voilà que les trente instruments en question se mettent à jouer chacun un air différent, bientôt couvert par une assourdissante cacophonie en provenance de la Place de l’Etoile où M. Berri fait des siennes. 
Un adage populaire libanais dit: “La misère engendre les disputes”. Et quelles disputes! A croire que le second et le troisième présidents en sont venus à vouloir transformer la peau l’un de l’autre, en parchemins de la Mer morte. Le crêpage de chignons s’est cristallisé autour de l’annexe NÞ9 au budget qui comprend la série des nouvelles surtaxes - toujours indirectes - préconisées par le gouvernement. 
Pour M. Berri, pas question d’inventer de nouvelles charges, ses “affamés” d’électeurs ne le lui pardonneraient pas. D’autant plus que le Sayed Nasrallah l’attend au tournant pour, à travers ses “affamés” à lui, damer le pion aux “affamés” du seigneur de Msayleh. 
“Affamés”, mon œil! semble penser le Premier ministre. Mais affamés ou affameurs, M. Hariri n’en a cure et n’en démord pas, au nom d’une stricte orthodoxie financière découverte, hélas! bien tard. Sa démarche est simple: vous supprimez l’annexe NÞ9 à vos risques et périls. Car, avertissement NÞ1: sans nouvelles surtaxes, le budget établi par le gouvernement, ne saurait être dépassé sous aucun prétexte. Avertissement NÞ2: aucun crédit additionnel ne sera consenti, quelles que soient les circonstances. Avertissement NÞ3: l’indexation du déficit du budget à 37% est la ligne rouge qui sépare le bord du précipice du point de non-retour. Et que chacun assume ses responsabilités! 
Reste à trouver, dans cette république, quelqu’un qui ait, ne serait-ce qu’une vague notion, du mot responsabilité. Comme en témoigne le rapport du contrôleur financier, chacun des pôles du pouvoir et des dirigeants de moindre calibre s’est précipité pour arracher son morceau de chair fraîche, y compris M. Berri. Tant et si bien que les dépassements de crédit dans le budget 97, se sont élevés à plus de 500 milliards. A cela, il convient d’ajouter autant en gaspillage et en non-paiements de taxes et de factures diverses par les privilégiés. Sans compter les crédits alloués au CDR, au Conseil du Sud, à la Caisse des Déplacés, au Plan Vert, au Conseil exécutif des projets de développement, qui échappent, eux, au contrôle du législatif. Et pour couronner le tout, les contrats de gré à gré, gras et juteux à souhait, qui font rage et ravage. Ne dit-on pas qu’un seul ministère a conclu, en un seul jour, 276 contrats d’adjudication dans ce style super-cool?!... 
Si l’on comptabilise ce déluge de milliards, on aboutit à un total qui, non seulement arrive à hauteur des 800 millions de dollars que M. Hariri s’enroue à réclamer en vain jusque-là, mais couvrirait une partie des services d’une dette publique dont personne n’arrive plus à stopper l’hémorragie. 
Tout n’est évidemment pas de la faute du chef du gouvernement. Chacun y avait trouvé son compte, depuis M. Berri jusqu’au ministre le plus opposant. Cependant, le Premier ministre devrait pouvoir, au moins, faire taire ses inconditionnels, bien conditionnés pour proférer des inepties. Entre autres, le roi de la bourde Omar Miskaoui. D’après ce Colbert de l’an 2000, doublé d’un Démosthène, le tout à la sauce de Gribouille, tout est de la faute des médias, audiovisuels et presse écrite. De vilains hibous, ces médias qu’on devrait assigner à résidence dans les plus lointains caroubiers où ils ne pourront même pas hululer à l’aise, puisque ledit Miskaoui se chargera de leur couper le sifflet. 
Quant à Fouad Sanioura, il trouve agaçant tout ce remue-ménage. “Une tempête dans un verre d’eau”, dit-il. Bien curieux verre que le vôtre, monsieur le Chancelier de l’Echiquier. Un verre qui laisse filtrer - sous votre nez, à vous en croire - un milliard de dollars. 

* CHANSON D’AUTOMNE de Paul Verlaine.


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