Saturnale

Par MARY YAZBECK AZOURY  
“LE BAL DES VOLEURS”
Non pas celui de Jean Anouilh, mais celui organisé par l’Etat libanais, pour dévaliser le citoyen.
Ailleurs, entendons-nous, dans les pays civilisés, une allocation est prévue en septembre, pour aider les parents à faire face à nombre de dépenses supplémentaires occasionnées par les rentrées scolaires et universitaires.
Au Liban, c’est l’inverse. Non seulement rien n’est prévu, mais les factures pleuvent et des factures faramineuses que rien ne justifie: eau, téléphone, électricité, municipalité (on ne sait d’ailleurs trop pourquoi) à voir la saleté, les moustiques, les insectes, sans compter la poussière.
Serait-ce trop demander soit à la municipalité, ou si elle n’en a pas les moyens, aux propriétaires des chantiers, de faire arroser la nuit ou à l’aube tous les chantiers qui poussent et aveuglent tout le monde, sauf les responsables qui, eux, roulent en voiture blindée, vitres fumées, climatiseur, etc...?
Autrefois, on apprenait aux jeunes écoliers en premier lieu les verbes “avoir” et “être”. Aujourd’hui, il serait plus approprié de changer de répertoire.
Avoir? On n’a plus rien.
Etre? Ou ne pas être? Voilà la question.
Le verbe “voler” serait plus opportun!
“Je vole”, “tu voles”, “il ou elle vole”, “Nous volons”, “Vous volez et tout le monde vole”, sauf ceux qui ne trouvent rien à voler.
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POÉSIE ET THÉÂTRE FRANCOPHONES
Faisons un rêve...
A l’occasion des journées du livre français, le Liban organiserait en même temps, des spectacles des chefs-d’œuvre de la littérature française.
On pourrait assister aux pièces de Corneille, Racine, Musset, Claudel, Péguy, Cocteau, etc...
On pourrait entendre déclamer Lamartine, Vigny, Musset, Baudelaire, Verlaine et La Fontaine!
Dire qu’aujourd’hui au Liban, les élèves, au programme bâtard, ni tout à fait libanais, ni tout à fait français, ignorent les plus beaux vers de la langue française.
Bien sûr qu’ils peuvent vivre “sans”... Mais cela serait certainement mieux s’ils vivaient “avec”... Tout comme les fleurs, on peut vivre “sans”, mais c’est tellement plus beau “avec”.
Et surtout qu’on ne nous rabâche pas l’histoire de la guerre... C’est une page tournée, dont les séquelles ont été vite effacées quand il s’est agi de faire de l’argent, du commerce.
Les véritables séquelles de la guerre?
C’est dans le domaine culturel, que cela se ressent le plus. Et non seulement en français, mais dans toutes les autres langues enseignées au Liban.

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TRAVAIL ET ESCLAVAGE
Au Liban on est heureux de se considérer travailleur.
Travailleur, c’est-à-dire que les écoles affichent un programme six jours par semaine, que les employées de magasins travaillent souvent entre 42 et 45 heures la semaine, que de nombreuses secrétaires aussi ont une semaine de plus de 42 heures... sans compter les ouvriers qui, eux au moins, sont payés à l’heure.
En France, les écoles, pas toutes, sont heureuses d’avoir les semaines de quatre jours: lundi, mardi, jeudi et vendredi. Les mercredi, samedi et dimanche sont consacrés au sport, à la musique, au théâtre, à différents loisirs et à la détente.
Au Liban, sous prétexte de rattraper le temps perdu, nombreuses sont les écoles et quelques universités qui ont repris le travail du samedi. Et comble de sadisme, ils programment des tests, des examens pour le samedi, de manière à obliger parents et enfants à respecter le samedi-travail. Idem pour les magasins, bureaux, ministères, etc...
Sommes-nous pour cette raison de travail forcené, plus cultivés, plus savants, meilleurs qu’ailleurs?
Non pas, les Nobel, les prix, les cerveaux, les virtuoses, les Van Gogh, les Mozart, n’y sont pas plus nombreux... En fait, ils n’existent pas du tout...
Ni les Mère Teresa, ni les Abbé Pierre ne foisonnent, ni, ni,ni...
On pourrait continuer longtemps l’énumération.
Alors, pourquoi toutes ces heures de présence qui ne sont même pas des heures de travail? Le corps est là, mais la tête alourdie, souvent abrutie par des trajets odieux et on ne pense qu’à dormir, se reposer, sortir de cette galère. Plus d’organisation, moins de travail, plus de rendement. A quand tout cela?

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À QUAND LA RÉVISION DU CODE DU TRAVAIL?
Alors que nos politiciens se chamaillent et vont chercher un arbitre sur les bords du Barada, il serait grand temps de revoir le Code du Travail au Liban.
En France, on négocie les 35 heures de travail par semaine. Au Liban, on ne sait plus où l’on en est!
C’est le désordre le plus absolu avec un code disparate, qui est un amalgame de lois datant de la Seconde Guerre mondiale amendées à la va-vite, qui ne satisfait ni employeurs, ni employés.
Il est insensé qu’on aborde le troisième millénaire avec des lois du début du second millénaire accommodés au gré des besoins, des crises, des grèves.
Aujourd’hui dans les pays évolués, on ne s’occupe plus de majorations de vie chère. Les gouvernements se contentent de fixer un salaire minimum et laissent à la négociation collective, par secteur, le soin d’adapter les augmentations de vie chère. Pourquoi cela ne pourrait-il se faire chez nous?
Au Liban, le Code du Travail, dans son article 2 (je crois) parle de salaire minimum. Mais il distingue entre «salaire minimum vital» et “salaire minimum légal”. Et il précise que “le salaire minimum vital, ne peut pas être inférieur au salaire minimum légal”.
Or, on défie n’importe quel gouvernement de pouvoir faire la distinction entre un salaire minimum vital - défini comme “celui qui doit satisfaire aux besoins du salarié et des membres de sa famille à charge” et un salaire minimum légal.
Dans ces conditions, on ne voit pas trop comment on peut s’en tirer! Et quand on pense que le salaire minimum ne suffit même pas à couvrir les notes d’eau, d’électricité, du téléphone, sans compter les autres frais, on peut se demander: où va-t-on?

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FRANÇAIS ET VERTIGE
De nombreux lecteurs s’étonnent non du foisonnement des revues, hebdomadaires, mensuels de langue française - ce qui est une richesse étant donné les conditions de vie au Liban - mais du choix de la langue employée. Souvent des phrases tortueuses, alambiquées, à double sens qui font penser à Sacha Guitry quand il écrit: “Quand une phrase alambiquée, tortueuse, ambiguë, à double sens vous donne le vertige, rappelez-vous que ce qui donne encore mieux le vertige c’est le vide...”


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