Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

EMPOIGNADES ET BAVURES MADE IN USA

Depuis la fin de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique et leurs satellites, la politique étrangère américaine, perturbée par les bavures et les empoignades entre Maison-Blanche et Congrès, ressemble à une mauvaise pièce boulevardière, où le ridicule le dispute à l’inconsistant. L’opinion mondiale scandalisée s’interroge: où va l’Amérique clintonienne?
Frustrée par la décision française de soutenir la compagnie Total dans son investissement en Iran, l’administration américaine montre ses griffes, sommant d’appliquer l’étrange loi d’Amato (2) qui prévoit la pénalisation de toute entreprise américaine ou autre, investissant dans le secteur énergétique irano-irako-libyen. “Casus belli” s’écrie Madeleine Albrigt. “Les lois américaines s’appliquent à l’Amérique”, conteste Lionel Jospin, et Boris Eltsine de renchérir: “la Russie, la France et l’Iran, sont des pays indépendants et ne reçoivent des ordres de personne.”
Toutefois, l’affaire Total n’est qu’un incident parmi tant d’autres. Partout où l’on regarde, les bavures le cèdent aux controverses. Une fois la diplomatie américaine saute sur les mines antipersonnel après avoir annoncé “Urbi et Orbi” que “les enfants américains méritent de circuler en toute sécurité, à l’abri de tout danger d’où qu’il vienne”, Bill Clinton sous la pression de ses cassandres et de sa parentale politique refuse finalement de signer ledit traité. Quelques temps après, le même Bill Clinton déclare sans équivoque que les Etats-Unis sont prêts à payer les arriérés dus à l’ONU, ce qu’il avait déjà promis durant son premier mandat, promesse dit-on, jusqu’à présent non tenue. Dans les couloirs du Congrès américain, les phénomènes les plus étranges se manifestent au quotidien.
En voici quelques specimens:
Un congressman de New Jersey, ennemi juré de l’avortement, vient de tout bloquer, en ajoutant un amendement déniant toute aide américaine aux organisations soutenant l’interruption volontaire de la grossesse. On a vu, tout récemment, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, “l’atra-bilaire” Jess Helms, clouer le bec à ses collègues voulant auditionner le candidat de la Maison-Blanche au poste d’ambassadeur au Mexique, lequel ne cache pas d’ailleurs sa répugnance pour l’ONU. Pour sa part, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, lors de sa première visite au Congrès, s’est avoué stupéfait en écoutant les aveux paranoïaques de certains sénateurs. Encore ne s’agit-il ici que des ratés de circonstances. Car si l’on voulait citer toutes les incartades on n’en finirait jamais!
***

Au niveau de la zizanie, les Etats-Unis ont pratiquement troqué leur rôle de leader mondial contre celui de boss international, mettant le monde à sa remorque. Exemple récent de ce rôle de “boss”: l’élargissement de l’OTAN, la loi d’Amato et son équivalent pour Cuba, avalisées par la Maison-Blanche sans ignorer, bien sûr, l’éviction arrogante de Boutros Ghali à la tête de l’ONU.
Impérialistes, les Américains? Certains observateurs et non des moins avisés, comparent l’Amérique de cette fin de siècle à l’ancien empire britannique et à l’Allemagne de Bismark, jouant un jeu impérialiste, comme en Irak, ou dernièrement contre les Serbes de Bosnie, pour ne citer que ces deux cas; mais le plus souvent leur méthode est essentiellement “bismarkienne”, un système d’alliances multiples, visant à neutraliser toute coalition hostile aux Etats-Unis. Et la série noire continue.
Néanmoins, les Etats-Unis ont des moyens qui ne sont à la portée d’aucun autre pays, aussi puissant fut-il. L’influence politique, la suprématie de la monnaie, le contrôle des réseaux de communication, les technologies avancées, les industries les plus sophistiquées, etc... Si l’on calcule le Pentagone, Boeing, Coca-Cola, Microsoft, Hollywood, CNN, l’Internet, on est face à une stratégie de puissance insurpassable, clairement définie par l’administration Clinton en 1993. C’est une doctrine de l’élargissement des économies de marché.
De fait, l’Amérique clintonienne ne cesse de prôner et de promouvoir la politique libre-échangiste et le capitalisme made in USA; sa diplomatie commerciale est une pièce essentielle de sa politique étrangère, en partie égoïste, en partie parce qu’elle est persuadée de sa suprématie et de la supériorité de son modèle. La plupart des Américains croient que leur modèle capitaliste est la meilleure réponse aux problèmes dont souffre l’humanité, aujourd’hui et demain, alors qu’en dehors des Etats-Unis, on ne partage pas cette opinion. Si, toutefois, on est acculé à l’adopter, c’est parce qu’on n’a pas d’autre choix. Evidemment, pour détecter tous ces ratages spectaculaires et pouvoir les interpréter, il faut avoir du culot.

***

La démocratie américaine telle que pratiquée aujourd’hui, survivra-t-elle à l’an 2000? Poser la question, sonne comme une provocation. Nous avons toujours cru à la démocratie. Nous sommes persuadés qu’elle est le meilleur moyen pour régler l’horloge mondiale, à condition de limiter le pouvoir impérial qui refait surface, en multipliant les pôles régulateurs à l’échelle mondiale, en veillant surtout et d’abord, à éviter toute éventuelle collusion entre eux. Comprendre les règles du jeu du nouvel ordre mondial, c’est être en mesure non de lutter arbitrairement contre lui, mais de sauver ce qui peut et doit l’être de l’idée de liberté.
Si les Etats-Unis n’œuvrent pas dans cette direction, on voit mal comment ils garderont leur place privilégiée dans le concert des Nations, s’ils tiennent toutefois à rester les gardiens bénévoles de l’ordre mondial, plusieurs fois avorté, et assurer une paix désespérément attendue, sans toutefois abuser de la responsabilité qui leur a été confiée. S’il n’y a pas de solidarité mondiale, comment peut-il y avoir encore de démocratie? Les Etats-Unis se sont définis par leur vocation universalistes, ils ne peuvent renoncer à cette vocation sans se trahir. 

(1) Ancien doyen de “Sloane school”, la plus prestigieuse école de “management” des Etats-Unis.
(2) Sénateur d’Amato, auteur de la loi portant son nom.

 
 
“Ayant perdu l’autorité morale que leur confère leur rôle de dépositaires de la démocratie, manipulés par des intérêts malsonnants, les Etats-Unis sont de plus en plus soupçonnés de ne condamner les bavures et les corruptions que pour protéger ce qui leur reste de pouvoir.”

Lester Thurow (1).

 


Home
Home