tribune
 
FIN DE RÈGNE 
 
Le 14 octobre, l’orage était passé. Le ciel était redevenu clair. Le président de la Chambre et le chef du gouvernement nous l’ont annoncé conjointement à leur sortie du palais de Baabda. Il leur a fallu quatre jours pour balayer les nuages. Nous pouvons respirer.
Qu’est-ce qui est arrivé? Mais c’est très simple: le chef du Législatif et le chef de l’Exécutif se sont mis d’accord, nous ont-ils annoncé, pour appliquer des décisions et des lois qui étaient censées être appliquées normalement, naturelle-ment, sans discussion et sans histoire depuis qu’elles ont été adoptées, c’est-à-dire depuis des années, mais qui ne l’avaient jamais été.
Pourquoi n’ont-elles jamais été exécutées?
On ne nous le dit pas.
Pourquoi le seront-elles désormais?
Parce que le chef du Législatif et le chef de l’Exécutif se sont mis d’accord là-dessus. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt?
Ils en ont discuté entre quatre murs et ils se sont entendus.
C’est “le régime démocratique”, ont proclamé à tour de rôle les deux excellences sur le perron de Baabda.
M. Berri, se substituant à tout le parlement, a exercé une pression publique sur M. Hariri et a obtenu de lui, dans l’intimité de Baabda, des engagements.
M. Hariri, se substituant à tout le gouvernement, a cédé et a pris des engagements qui (pour ce qu’on nous en révèle) ne lui coûtent, en réalité, rien puisqu’il s’agit de décisions et de lois depuis longtemps adoptées et qu’il a des excuses pour ne les avoir jamais appliquées.
Maintenant, les choses suivront leur cours sous un ciel pur. Et les excuses invoquées jusqu’ici ne le seront-elles pas de nouveau dans un an?
***

Est-ce bien cela “le régime démocratique”?
On pourrait proposer aux  étudiants de la Faculté de droit le sujet suivant de travaux pratiques: à la lumière des déclarations de MM. Berri et Hariri du 14 octobre, définissez le régime politique libanais et décrivez son mode de fonctionnement.
M. Berri et M. Hariri, de leur côté, devraient prendre la peine de clarifier un peu mieux ce qu’ils entendent par démocratie parlementaire. Ils aideraient peut-être à refaire l’éducation du citoyen libanais et à faciliter la tâche des professeurs de Droit constitutionnel.
Mais, à tout bien considérer, est-ce bien nécessaire? Il n’y a qu’à lire les journaux qui, tous les matins, depuis ce fameux 14 octobre (et depuis toujours) remplissent leurs colonnes d’explications et de spéculations concernant la querelle et la réconciliation des premiers personnages de la République.
Cela n’a évidemment rien à voir avec le fonctionne-ment d’un régime de démocratie parlementaire. Apparemment, personne ne croit que l’Etat libanais fonctionne réellement sur cette base.
Qui, MM. Berri et Hariri, croient-ils tromper en voulant placer leurs combinaisons dans le cadre des règles de la démocratie?
La transparence de la gestion gouvernementale, le débat public dans l’enceinte parlementaire sanctionné par un vote libre, tels sont quelques principes de base auxquels, dans le système en vigueur depuis sept ans, on a substitué une sorte de partage des responsabilités, une véritable complicité, en fait, entre les chefs des deux pouvoirs. Pour fonctionner, ce système a besoin continuellement de combinaisons de caractère personnel, précédées chaque fois de pressions, de tiraillements, de secousses. Les ententes finalement conclues dans le secret des sérails, personne n’en connaît vraiment les tenants et les aboutissants. Les spéculations ont, alors, libre cours et M. Hariri s’en étonne et les juge empoisonnantes.
Appeler cela un régime démocratique, c’est se moquer du monde.
Si on ne cherchait qu’à dégoûter les Libanais de la démocratie, pour leur faire admettre, en définitive, une forme de pouvoir personnel, autoritaire et répressif, on ne s’y prendrait pas autrement.

***

La crédibilité. Voilà exactement ce que le Pouvoir au Liban a perdu durant ces sept dernières années. Si les détenteurs de ce Pouvoir ne sont plus capables d’en prendre conscience, on s’achemine vers des situations de crise de plus en plus graves.
Cette crédibilité, il ne suffit pas de la rechercher dans la réalisation de grands travaux d’infrastructure. Le béton n’est pas un certificat d’autorité morale. Loin de là! Or, c’est d’une autorité morale dont l’Etat a besoin. Et cela, c’est une affaire politique avec un grand P.
Equilibre sur le plan national. Justice indépendante. Justice sociale et équité fiscale. Administration au service du citoyen sans passe-droit et sans pot-de-vin. Contrôle financier transparent. Reconstitution des autorités locales par des élections libres, etc...
Ressasser ces principes élémentaires d’une véritable paix civile, en promettre périodiquement le respect, les passer aux oubliettes un moment après... puis, recommencer et prétendre conserver une autorité morale, être crédible, c’est quoi? Une naïveté? De l’inconscience? Du cynisme?
Mais pourquoi se poser encore des questions? Ne sommes-nous pas déjà en ce qu’on appelle “fin de règne”? 

 
 
 

Home
Home