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![]() de ses “disciples non-violents”. |
C’est en ces termes que M. Jean-Marie Muller entame l’entretien. Une sorte de tirade où l’on n’a guère plus envie de poser des questions, mais d’écouter l’homme parler, indéfiniment sans jamais l’interrompre. Son verbe est facile et sa cause juste, il y croit. J.M. Muller appartient à une race d’hommes éclairés.
QUI EST-IL?
“Je suis un militant de la non-violence à temps complet, dans
le cadre du “Mouvement pour une alternative non-violente, (M.A.N.) créé
en 1974.
“L’objectif de ce mouvement français est de réfléchir
sur la non-violence, à la fois sur la philosophie et sur la stratégie
de l’action non-violente.
J’AI VU LES CONSÉQUENCES DE LA VIOLENCE
EN ALGÉRIE
“Nous sommes une confédération de groupes locaux en France
qui essayons de nous impliquer dans la société française
dominée, comme les autres d’ailleurs, par l’idéologie de
la violence nécessaire, légitime et honorable. C’est un fait
universel.
“Personnellement, j’ai commencé par étudier les maths;
puis, la philosophie. J’ai, ensuite, fait l’université buissonnière
avec Gandhi. J’avais été officier dans l’armée française
lors de la guerre d’Algérie, du côté des résistants
et non de l’armée et j’ai vu les conséquences de la violence
dans ce pays.
“Le non-violent se rend, parfaitement, compte de la violence mais veut
y remédier. Après avoir étudié Gandhi, j’ai
demandé à être objecteur de conscience (personne qui
refuse toute obligation militaire). Mais le loi ne permettait pas cela
à quelqu’un qui avait déjà fait son service militaire.
J’ai quand même refusé “d’obéir” et j’ai été
condamné à 5 ans de privation de droits civiques. Un non-violent
était un citoyen indigne, donc un lâche. J’ai interjeté
appel, mais le jugement a été confirmé. Je n’ai quand
même pas démordu, mais voyez la conception qu’on a de la non-violence!”
-Vous êtes auteur de plusieurs ouvrages de référence
“En effet, j’ai écrit “Stratégie de l’action non-violente”,
traduit en plusieurs milliers d’exemplaires en Pologne et en secret. “Gandhi
l’insurgé”: l’épopée de la marche du sel (Albin Michel)
et “Le principe de non-violence, parcours philosophique” (Ed. Desclée
de Brouwer).
LA CAUSE DE LA VIOLENCE EST-ELLE JUSTE?
- Que pensez-vous de la société actuelle?
“Notre société est dominée par la violence qu’on
cultive comme un jardin. On nous présente toujours le héros
comme celui qui est violent pour défendre les autres. Gandhi disait:
“Si le choix est à faire entre la lâcheté et la violence,
je conseillerai la violence.”
“La cause de l’opprimé est juste (exemple la cause palestinienne),
mais il faut savoir si la cause de la violence l’est aussi. Il faut passer
à un choix tripolaire: lâcheté, violence, non violence.
On a hélas! tendance à penser que les non-violents sont rêveurs,
utopistes et irresponsables. Or, à mon avis, être non-violent,
c’est prendre conscience que la violence est un échec de l’homme
qui l’empêche de construire une relation de respect mutuel avec l’autre,
même en cas de conflit.
“Car bien sûr, la non-violence ne nie pas les conflits: il n’y
a non-violence que, précisément, quand il y a conflit. La
résolution de ce conflit est dans l’établissement d’une relation
avec l’autre. Mais les violents n’en veulent pas; ils veulent éliminer
l’autre!
“Il faut rompre avec cette idéologie de la violence qui légitime
la violence, laquelle n’est jamais une légitimité; sinon,
on enferme l’homme et son histoire dans la fatalité de la violence.”
LA VIOLENCE, NÉGATION DE L’HUMANITÉ
- Comment croyez-vous qu’un pays agressé puisse recourir
à la non-violence pour défendre son peuple et son territoire?
“Vous avez, sans doute, vu la dernière défaite israélienne
au Liban-Sud. Je comprends que les Libanais fêtent une certaine victoire,
mais quel avenir de paix prépare-t-on avec une photo comme celle
où un combattant libanais tient par les cheveux la tête d’un
soldat israélien? La violence, c’est la négation de l’humanité
tant pour celui qui la subit que pour celui qui l’exerce.
“Pendant la guerre froide et jusqu’en 89, nous combattions contre l’arme
nucléaire. Nous ne voulions pas prendre le risque de nous détruire
pour nous défendre. Pour ceux qui subissaient l’oppression communiste,
la véritable alternative était la non-violence. D’ailleurs,
c’est la résistance non-violente des citoyens qui a détruit
le mur de Berlin et non l’arme nucléaire. Les observateurs l’ont
reconnu.”
- Que préconisez-vous comme mode de défense civile
et non militaire en cas d’occupation d’un pays par un autre?
“Là, l’union fait la force. S’il n’y a pas d’acteurs, hommes
et femmes, non-violents, je ne peux rééditer l’Histoire.
Si le conflit se situe dans l’affrontement de deux logiques de violence,
la violence l’emporte.
“Prenons l’exemple de la France sous l’occupation allemande. Ce qui
faisait la force des occupants, c’était l’obéissance des
fonctionnaires français. Les râfles des Juifs ont été
faites par la police française! En France, il y a eu une expérience
que j’ai étudiée où sept fonctionnaires de police
de Nancy ont refusé d’obéir aux Allemands et ont sauvé
des centaines de Juifs. Ils n’ont pas été tués. Seul
leur chef a été emprisonné pendant deux mois. C’était
un échec pour l’occupant . La logique du violent c’est de tuer avant
d’être tué. Le non-violent qui prend le risque de la non-violence,
a pour seule défense sa vulnérabilité. La non-violence
empêche l’adversaire de justifier sa violence et le met dans une
situation difficile.”
L’INTIFADA, UN SYMBOLE
- Concrètement, comment briser le cercle vicieux des agressions
quotidiennes au Liban-Sud?
“La résistance au Liban-Sud est-elle vraiment efficace? Je ne
suis pas convaincu que la résistance violente au Sud peut amener
la paix. La capacité répressive d’Israël est grande
et elle a été provoquée par la violence. Or, la possibilité
d’une résistance non-violente existe.
“On a analysé l’Intifada: le lancement de pierres est une violence,
mais la riposte féroce contre les Palestiniens a été
d’une plus grande violence aussi. L’Intifada n’était pas seulement
le lancement de pierres: c’était un symbole. Boycott, désobéissance
civile, refus de l’impôt par les Palestiniens pour l’Etat d’Israël,
voilà des solutions non-violentes efficaces.
“Revenons à l’Intifada: elle consiste à 95% en méthode
non-violente et en 5%, seulement, de violence. Or, ces 5% ont occulté
les 95% et l’Intifada a été considérée comme-violente
avec 95% de méthodes non-violentes! Etonnant non? J’estime qu’il
aurait été préférable d’offrir des rameaux
d’olivier. Cela s’est fait à Madrid; pourquoi pas en Palestine?
MONOPOLE US AU NIVEAU DE LA DÉCISION
“Pour le Liban-Sud, le problème ne se résoudra que par
un accord international et la résistance ne pourra pas peser de
manière assez efficace dans l’instauration de la paix. Il y a un
monopole américain au niveau de la décision et c’est inadmissible.
Je voudrais que le gouvernement français puisse avoir une plus grande
autonomie dans ce domaine.
“Dans toute situation, il y a toujours possibilité d’entamer
un processus de non-violence. C’est ce que font mes amis libanais de “Houkouk
an-Nas”. C’est, véritablement, l’espérance et il faut que
le citoyen exerce son devoir de citoyen”.
- Que pensez-vous,enfin, du confessionnalisme?
“Le pire, c’est que les religions ont apporté leur caution à
l’idéologie de la violence et c’est dramatique. Rien n’est pire
que de tuer au nom de Dieu. Si je me situe, d’abord, par rapport à
ma communauté religieuse et, l’autre, par rapport à la sienne,
on est déjà en position de conflit et de guerre sainte potentielle.
“Chacun peut avoir sa foi personnelle, mais sur terre, j’estime que
nous avons autre chose à faire que de nous entretuer au nom de Dieu.
Si Dieu existe, il n’en serait pas content.
RESTONS FIDÈLES À NOS TRADITIONS
“Le drame c’est que nous ne sommes pas différents; au contraire,
nous nous ressemblons par la culture de la violence.
“Il faut rompre avec tout ce qui justifie et honore la violence comme
une vertu de l’homme, y compris les doctrines religieuses de la guerre
juste, tant dans l’islam que dans la chrétienté.
“Il faut, cependant rester fidèle à nos traditions qui
enseignent la bonté, la dignité et le respect de l’homme
afin d’élaborer une valeur qui fonde l’humanité de l’homme
pour atteindre l’universel.”
- Ce n’est pas votre premier séjour au Liban. Y avez-vous
vu une différence?
“C’est mon quatrième séjour ici. En 1991, j’ai pu visiter
Beyrouth et voir le symbole parfait de l’absurdité de la violence.
Je déplore qu’on ait, aujourd’hui, effacé ces ruines que
nos et vos enfants auraient dû pouvoir visiter; elles montrent que
tous les Libanais ont perdu la guerre.
“Ce mouvement des droits humains veut une révolution culturelle:
nous voulons passer de la culture de la violence à celle de la non-violence.
Rousseau disait “L’homme est bon par nature, la société le
corrompt.” En fait il est les deux, mais quel aspect l’homme veut-il cultiver?
Là est la question!”