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Qui veut la peau de Bill Gates ?

William Henry Gates troisième du nom est un scientifique. Et en cela un pragmatique. Impitoyable homme d’affaires, Gates a construit son empire à force de talent, de persévérance et de... monopole. S’il est une chose dans laquelle il excelle, c’est cette volonté d’omniprésence et, osons le terme, d’omnipotence. L’idée lumineuse de Gates est que dès le départ, il a concentré ses efforts sur le logiciel (software) au détriment du matériel (hardware) domaine aléatoire et en ces temps (les années 80) dominés par des géants tels Big Blue (IBM), apparemment indétrônables. Non seulement Gates bat tous les grands de l’industrie de la micro-informatique sur leur propre terrain mais il est l’un des rares sinon le seul survivant de la crise qui a relégué ces Goliaths au rang de dinosaures dépassés. Dès 1981, Bill Gates se focalise sur le système d’exploitation (l’intermédiaire entre l’homme et la puce). Ainsi naîtra le MS-DOS, pour MicroSoft Disk Operating System. L’ancêtre de Windows voit le jour et équipe rapidement toutes les machines IBM, puis compatibles. Le succès ne se fait pas attendre et Microsoft est rapidement présent dans toutes les entreprises ; puis dans tous les foyers munis de PC. Gates ne s’est jamais aventuré dans le domaine du hardware, préferant laisser ces guéguères à d’autres. Son terrain de prédilection est le software et il compte en rester le maître absolu. Bill Gates est un rêveur en défi perpétuel avec lui-même. Mais ses songes prennent des allures de cauchemars pour ses concurrents. Début 1990 quand Jim Clark fonde Netscape avec le génial Marc Andreessen, ils détiennent rapidement 80% du marché des browsers. A cette époque, Willy néglige le Net et y voit une mode, non seulement sans intérêt, mais – ultime erreur d’appréciation – éphémère. Pour une fois, Bill Gates se trompe. Ce ne sera pas son unique revers. Qu’à cela ne tienne il prendra sa revanche. Cependant, concernant le champ de bataille qu’est devenu le Réseau des réseaux, Microsoft reste l’éternel second. Jusqu’à quand ? Lorsque Microsoft annonce le retrait de Java dans ses applications professionnelles – prétextant un gain de vitesse jusqu’ici non démontré – c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Non seulement Microsoft fait de la concurrence déloyale mais en plus il tente de limoger ses concurrents. Cela ne peut plus durer, crient les compétiteurs et le département de la justice de saisir l’affaire. C’est le début de la deuxième cuisante défaite de Gates. Ses ennemis sont aujourd’hui nombreux. Outre l’incontournable Netscape qui se bat sur le terrain global qu’est l’Internet, il y a Larry Ellison, fringant PDG d’Oracle qui espère imposer son Network Computer en se passant du duo Wintel (Windows et Intel). Sa place au sein du conseil d’administration d’Apple a permis à Ellison l’utilisation de MacOS comme noyau de ses NC. En coalition, on trouve également Scott McNeilly, patron de Sun Microsystems et inventeur du langage universel Java. Le cas de Sun pose un problème délicat, car Java peut parfaitement se passer d’un O.S. puisqu’il est codé de la même manière sur toutes les machines. Langage autonome et universel, Java se place face à Windows et peut, le cas échéant, devenir une alternative efficace. Mais ce ne sont que quelques noms sur la longue liste de la ligue anti-Microsoft. Parmi les gourous ralliés – bon gré mal gré – à la cause de sir Bill, Steve Jobs, le bien nommé fondateur d’Apple. Chassé comme un malpropre puis retourné aux sources pour sauver (à nouveau) son bébé, il accepte amicalement les 150 millions de dollars que Gates versera. L’intérêt que suscite Apple chez Bill Gates n’est pas innocent. En effet, ses parts dans la firme à la pomme lui autorisent à prescrire son IE dans la huitième mouture de Mac OS, ainsi que le développement de logiciels pour Macintosh. Vous avez dit hégémonie ? La législation est claire : Gates est dans son droit tant qu’il innove et propose des produits performants. Par contre, s’il utilise sa force dans le domaine des systèmes d’exploitation pour poursuivre sa domination, il serait en train d’enfreindre les lois antitrust.

Microsoft est accusé de se servir de l’implantation mondiale de Windows afin d’imposer son Internet Explorer au détriment des autres navigateurs. Un arrangement ultérieur avec le ministère de la Justice stipulait que Microsoft n’utiliserait pas sa puissance pour “forcer” les constructeurs à inclure IE. Bill Gates a changé d’avis. La peine est tombée. Le procureur général Janet Reno a annoncé que Microsoft doit faire face à une astreinte quotidienne d’un million de dollars pour avoir violé les termes d’un accord antitrust. Cette somme devra être versée pour chaque jour de manquement à la loi, tant qu’il imposera l’utilisation d’Internet Explorer en échange de la gratuité de Windows aux constructeurs. Le gouvernement a également demandé à la Cour d’exiger que Microsoft notifie ses clients utilisant Windows 95 qu’il ne sont pas dans l’obligation d’utiliser IE et même de leur donner les instructions pour la suppression éventuelle de ce navigateur. L’affaire prend une ampleur jamais vue. La mobilisation de part et d’autre se fait à grands coups d’annonces publiques et par avocats interposés. Bill Gates semble cerné mais il ne faillit guère. Il déclare : “Je suis prêt à me soumettre aux vœux de la Cour plutôt que de payer un cent.” La firme de Seattle poursuit sa défense, arguant que le Web fait désormais partie intégrante du système d’exploitation. Avec 85% du marché mondial des O.S. et plus de 50% du marché des logiciels professionnels, Bill Gates fait peur. A juste titre. Il n’envisage certainement pas de s’arrêter en si bon chemin, mais bien d’étendre son monopole. C’est là qu’intervient Ralph Nader. Le grand croisé des droits des consommateurs aux Etats-Unis, est aussi en guerre contre les pratiques illégales de Microsoft. Ce Libanais d’origine est un avocat de grand renom, devenu un des plus redoutables adversaires de Microsoft. Nader rappelle que l’entreprise de Gates n’a jamais été connue pour ses innovations mais plutôt pour ses emprunts. Windows 95 en est le meilleur exemple, inspiré du Finder de Macintosh, il est aujourd’hui au moins aussi convivial. Selon Nader, la puissance de Microsoft est telle qu’elle empêche le progrès, forçant les jeunes entreprises à s’auto-censurer. Celui-ci estime pour sa part qu’une telle situation n’est pas saine pour la pratique concurrentielle. Le problème affirme le défenseur des droits des consommateurs, est qu’ “il y a des gens qui aiment les produits Microsoft et d’autres pas. Mais on en arrive à un point où, qu’on les aime ou non, leur utilisation devient obligatoire.” Et ceux qui s’aventurent à le concurrencer, Gates “en fait des partenaires, les rachète ou propose un produit similaire au leur... gratuitement.” Les temps changent et aujourd’hui, Netscape ne détient plus que 63% du marché des browsers (10% de moins que l’année dernière) et Microsoft se hisse au deuxième rang avec 32%, soit 10% de plus qu’il y a un an. Accusé de suprématie, Microsoft se défend d’imposer IE4. De la même manière qu’un antivirus et des utilitaires pour disques durs livrés en standard n’ont nullement affecté ces deux marchés respectifs. L’argument de Microsoft est le suivant : faciliter l’accès à Internet pour les utilisateurs de Windows. Il n’en est rien. Personne ne s’est jamais plaint de l’installation – simplifiée à l’extrême – des actuels navigateurs. Microsoft maintient son idée que l’intégration d’IE4 n’est nullement destinée à contrer l’avancée de Netscape. Supposons. Mais, mercredi dernier, en plein procès, un témoignage accablant d’un responsable de Compaq (fabricant de micro-ordinateurs) fit sensation. Cet homme a déclaré au Département de la Justice que Microsoft l’a forcé à remplacer Netscape Navigator par Internet Explorer. S’il ne se soumettait pas à cette règle, Microsoft l’empêcherait d’installer Windows 95 sur ses machines. Un cas pareil, où l’Etat se voit obligé d’intervenir, pourrait bien inverser les rôles et placer Microsoft dans une position de victime qui ne pourra lui être que bénéfique. Car, le prix à payer par Microsoft n’est pas seulement financier. Il en va de sa réputation, de son image désormais entachée et de sa notoriété internationale. “Microsoft utilise illégalement son monopole pour se protéger et étendre cette domination tout en sapant le choix des consommateurs.” a affirmé le ministre de la Justice des Etats-Unis, Janet Reno. “Le décret statue que Microsoft est autorisé à intégrer de nouvelles fonctionnalités au système d’exploitation qu’elle livre aux constructeurs. Tous les fournisseurs de logiciels sont habilités à améliorer leurs produits et ce rapidement”, riposte William Neukom, vice-président des affaires juridiques chez Microsoft. Des études révélant que le marketing des deux logiciels (Windows et IE) sont effectués en tant que deux produits distincts, contredisent les assertions des responsables de Seattle. L’intégration dont Microsoft est accusé, n’était censée entrer en vigueur qu’en 1998, date à laquelle le Windows nouveau sera livré avec son mode Active Desktop, qui fusionnera le browser dans l’O.S. Joel Klein à la tête de la division antitrust du département de la Justice rappelle : “tout le monde sait que le navigateur et le système d’exploitation sont deux produits différents.” La joute oratoire semble partie pour durer. Le problème qui se pose va bien plus loin que le seul Internet. Supposons que demain Microsoft décide de concurrencer la firme Adobe sur le terrain des logiciels de retouche d’image. Il lui suffira d’inclure un programme du calibre de Photoshop à l’O.S. et le tour est joué. Rusé non ? En somme, aucun domaine n’est à l’abri. Et les exemples ne manquent pas. Depuis peu, Microsoft s’est intéressé de près au commerce en ligne. Pourquoi acheter chez une boîte X puisque la boutique Microsoft est à portée de souris ? Mieux, Bill Gates a récemment passé un accord avec Time Warner et Disney dont les sites requièrent IE4. Microsoft nie détenir l’exclusivité de cette offre mais affirme avoir été choisi car sa technologie est supérieure. De fait, WarnerBros propose un service de divertissements appelé “Entertaindom” à base de jeux, musiques et animations pour les enfants. L’utilisation de Netscape renvoie le message suivant : vous y êtes presque, vous devez d’abord télécharger Internet Explorer 4.0. (Sic!) Un exemple parmi tant d’autres de la politique agressive que mène Microsoft à qui ose se trouver sur son chemin. Alors, qui veut la peau de Gates ? Ou bien est-ce le contraire ? Where do you want to go today ? Traduction francisée : Jusqu’où irez vous ? Avec un slogan pareil, c’est une question qu’on est en droit de se poser...