Tel est l’auteur de “Les gens de Misar” (Prix des Quatre-Jurys), “La
disgrâce”, “Dans les jardins de mon père” (autobiographie),
“L’impératrice” (Sissi en l’occurrence) et de tant d’autres dont
un essai:”Taisez-vous, El-Kabbach!”, écrit avec son époux
Jean-Pierre El-Kabbach.
Présente au “Salon Lire en français 97”, présidente
du jury du Prix Phénix pour cette année, elle a signé
au stand de la Librairie Stéphan, son roman: “Une personne déplacée”,
paru aux Editions Grasset. Elle y raconte la fuite d’une jeune fille, Eva,
de Prague, qui vient d’être envahie par les chars russes.
Elle débarque en France, pays dont elle parle la langue. Heureuse
d’être libre, elle commence sa “vie française” par des heures
de ménage, rencontre des copains, un petit ami qui la déçoit...
Entre-temps, les événements de mai 68 se déclenchent,
les esprits bouillonnent, l’esprit étincelle et Eva se retrouve
bien installée dans sa nouvelle vie de romancière. C’est,
alors, seulement, qu’heureuse elle connaît les affres de l’exil.
POURQUOI LE THÈME DE L’EXIL?
- Pourquoi ce choix du thème de l’exil?
“Si j’ai choisi la Slovaquie, c’est parce que c’est un pays qui n’a
presque jamais eu son indépendance et le rêve de mon héroïne
est la liberté.
“Pour ce qui est du thème de l’exil, ce n’est pas quelque chose
que j’ai ressenti en moi-même, puisque ce n’est pas mon cas; mais
je pense qu’écrire c’est, aussi, s’inventer d’autres vies. Je me
suis inventée cette histoire d’Europe divisée qui essaie
de se réunir.
“Au-delà de l’histoire de l’Europe divisée, l’expression
de “personne déplacée” serait applicable à toutes
les femmes du XXème siècle, parce que nous avons, nous les
femmes, beaucoup évolué. Nous avons fait un trajet rapide,
passionnant, mais nous sommes toujours inscrites dans une société
faite par les hommes et sommes donc un peu “déplacées”. C’est
pourquoi, dans mes livres, les personnages qui se taillent une part importante,
sont les femmes; je les trouve plus intéressantes parce qu’elles
ont mené leur combat.
“Elles n’avaient pas de positions acquises dans tous les domaines.
Elles ont dû tout construire. Cela ne va pas sans angoisses, mais
c’est cela qui est intéressant.
“Quand on est écrivain, on est aussi une “personne déplacée”,
entre plusieurs espaces et plusieurs temps.
“Un écrivain doit s’imprégner de tout, sans jamais adhérer
totalement; il est donc forcément déplacé.
“C’est le cas de tous les artistes.”
POUR UNE ÉGALITÉ DE REPRÉSENTATION
- Les femmes sont-elles parvenues à tous leurs droits?
“Bien sûr que non. La représentation politique des femmes
en France reste tellement minoritaire. Il y a, actuellement, une revendication
sur ce point dite “parité”, ce qui signifie qu’on exige qu’il y
ait égalité de représentation - entre les hommes et
les femmes, mais on en est encore très loin par rapport aux pays
scandinaves. De plus, on a très peu de femmes chefs d’entreprises.”
- Pourquoi avoir choisi mai 68 comme fond de décor?
“C’était plutôt 1968 en Tchécoslovaquie où
les chars russes ont envahi le pays. L’héroïne vient d’un pays
tombé sous l’autorité russe, dans un Paris en pleine explosion.”
- Vous racontez l’exil dans ce livre avec une grande pudeur, sans
en énumérer les misères. Pourquoi?
“C’est parce que mon héroïne n’a que 20 ans. Or, il y a
des choses qu’on supporte mieux au début de son âge. Elle
va choisir la France, parce qu’elle parle le français. C’est pour
elle le moment où tout est possible. Pour elle, l’exil sera plus
sensible, ensuite. Quand on a choisi de partir, on rêve de réaliser
sa vie, dans l’instant, avec la liberté comme toile de fond. Mais
c’est quand tous ces problèmes sont résolus et qu’on s’est
réalisé que la nostalgie revient.
“Eva, ressent l’exil après la réunification de l’Europe,
parce qu’elle n’est plus la même et ne peut plus réintégrer
son pays: comment reprendre les habitudes d’autrefois? Cela lui semble
impossible.
“Je crois que ce problème s’est aussi posé pour la femme
libanaise qui, elle aussi, a connu l’exil.”
- Vous connaissiez le Liban?
“J’y étais venue en 1972, avant la guerre. Déjà,
on sentait les choses “monter”. Je n’étais pas encore écrivain.
C’est doublement émouvant pour moi, car c’est ici que j’ai reçu
un coup de fil de mon éditeur me disant que mon premier livre: “Les
gens de Misar” allait être publié.
Et elle ajoute aimablement avec un grand sourire. “Je puis donc dire
que je suis devenue écrivain au Liban.”