ALBERT JACQUARD: "UN APPEL LÉGENDAIRE AUX PRINCES DE DEMAIN"

 La salle Ernest Renan du salon “Lire en français et en musique” s’est transformée, ce mardi 4 novembre, en une véritable salle de classe: Albert Jacquard, célèbre mathématicien biologiste et auteur de plusieurs ouvrages sur la vulgarisation de la philosophie, dans l’éternel rôle du professeur et l’auditoire, jeune pour la plupart, métamorphosée en groupe d’élèves studieux.

Invité par la librairie “Sélection” afin de présenter son dernier ouvrage “La légende de demain”, il a préféré s’adresser “à ceux qui préparent leur vie”, tout en “demandant pardon” aux autres.
Au programme, des matières, comme les mathématiques, outil suprême pour l’étude statistique des populations; la biologie, pour aborder le thème d’actualité qu’est le patrimoine génétique, ou encore, l’Histoire, mais pas n’importe laquelle, puisque c’est l’histoire de l’évolution qu’Albert Jacquard a parcourue, celle qui ne remonte pas à moins de 3 milliards d’années.
En une heure de temps, il a remonté le temps, traversé l’espace, révisé toutes les découvertes scientifiques, pour, enfin, situer notre époque - “révolutionnaire” et mettre le point sur la complexité de l’homme, principale source de richesse du monde de demain.
Discours plein d’images et de simplicité mais, surtout, d’humour, puisque visant un public de jeunes.
Extraits d’une leçon... A retenir.
Rompre avec les traditions, tel est le thème de “La légende de demain”. Et qui dit traditions, dit héritage du passé. Passé qu’Albert Jacquard a retracé, afin de pouvoir situer notre époque et de la qualifier de “révolutionnaire”, puisqu’elle assiste à la transformation d’un grand nombre de choses. “Les jeunes d’aujourd’hui, affirme-t-il, ont la chance de vivre dans une telle période”.
Période où toutes sortes de choses sont révisées, redéfinies: “L’électron qui était présenté aux élèves de mon temps, comme étant un grain de sable est, aujourd’hui, défini comme un paquet d’ondes”.
Nouvelles découvertes, nouvelles techniques et nouveaux mots mais, aussi, nouveaux concepts, revus et corrigés, au fur et à mesure de l’évolution du génie de l’homme, tel le temps, autrefois défini comme étant “une sorte d’horloge suisse sur les genoux du créateur”, réduit “au nombre de tic-tac qui s’écoulent pendant la durée d’un événement” et qui se retrouve complètement bouleversé par la découverte de la relativité, en 1905, par Einstein. La notion de temps perd, alors, son caractère absolu et devient, “indissociable des mouvements de l’espace”.
Plus tard, Einstein affirmera que le temps diminue au fur et à mesure qu’on approche d’une masse.
Ne perdant toujours pas le fil de ses idées, l’auteur poursuit, en précisant l’importance du “Big Bang” et les conséquences qu’a eues cet événement sur le même concept du temps, en introduisant la notion du temps “créateur”, puisque ce “dernier n’existe que parce que des événements ont lieu”. Avant le Big Bang, “Rien n’existait”, affirme-t-il.
Albert Jacquard prononce, alors, le mot-clé de sa conférence: “Complexité”, “puisque tout se fait par un élan de complexité”, explique-t-il, avant d’illustrer son idée par un exemple des plus schématiques, ne manquant pas d’humour, celui du noyau d’Hélium.
“Un noyau d’Hélium ne sait rien faire à lui tout seul. Mais avec l’apparition des forces et des interactions subtiles, un pouvoir inattendu peut naître lorsque trois noyaux d’Hélium se réunissent. C’est l’apparition de l’atome de carbone qui sait tout faire”.
Cette idée de la complexité, Albert Jacquard la développe de nouveau, en racontant “l’histoire de l’A.D.N”, cette structure “hyper-complexe”, née il y a des milliards d’années qui “respire”, “digère” et “vit”.
Que veut dire vivre et être vivant?, s’interroge-t-il avant de répondre: “Rien. Il y a une continuité entre l’inerte et le vivant”.
Et c’est justement cette absence de barrière entre l’inerte et le vivant qui provoque, ce que Albert Jacquard appelle: “la vision d’un monde fait de complexité”.
Complexité qui est à la base de l’événement avec un grand E: la procréation. La production sexuée ainsi introduite, il se lance dans une tirade des plus amusantes. “Quelle drôle d’idée de se mettre à deux pour en faire un troisième” sur le hasard génétique.
Calcul de probabilités à l’appui et formules statistiques (10 300 Log 2 spermes par être humain), tellement chères à ce diplômé de l’X (Ecole polytechnique), nous voilà arrivés à la naissance du “chef-d’œuvre de l’Univers”, “champion de la complexité”: L’être humain (“Moi”! plaisante Albert Jacquard).
Puis, passant aux choses non moins sérieuses, il affirme que les deux plus grands exploits de l’être humain sont la science, ultime outil de libération et la création d’un réseau d’interaction et de mise en commun avec les autres qu’est le langage.
“Le monde de demain ne doit pas ressembler au monde d’aujourd’hui”, explique-t-il, car il faut comprendre que notre terre est limitée et qu’il ne faudra pas la détruire”.
“Ceci est possible en changeant la vision de l’homme, en changeant son regard sur l’autre. Cet autre qu’il doit regarder, non comme un obstacle, mais comme une source de richesse et d’échange. La compétition est suicidaire!”
Puis, se reprenant, il avoue: “C’est utopique, oui! mais je continue à croire qu’il est possible de changer le monde, grâce à chacun de nous, à travers  sa construction d’un tissu sans fin avec l’autre”.
Et il conclut par une citation de Machiavel: “Prince, si tu veux la révolution, fais-la”, avant d’ajouter: “Nous sommes les princes de la terre”.
Superbe leçon d’optimisme. En attendant que les princes - têtes couronnées ou pas - écoutent l’appel..

Rosine Makhlouf
 
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