L’ÉTERNEL RETOUR |
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Que
les nostalgiques des années 70 et 80 se rassurent, la vie est un
éternel retour. Qui, ayant dépassé la trentaine, ne
se souvient encore de la voix rassurante et combien amicale de Charif Akhawi,
sur les ondes de Radio Liban, murmurant à l’oreille de chacun d’entre
nous, comme un aveu d’amour, “Aamné wa salké”, (sûre
et praticable). Il s’agissait alors, de nous indiquer une route que les
artilleurs et les francs-tireurs, des deux bords, n’avaient pas encore
découverte.
C’était l’époque faste des milices. Le temps où une demi-douzaine de coqs présélectionnés et dûment télécommandés, chacun dressé sur son fumier, interdisaient la circulation entre les régions et morcelaient le pays en autant de zones de haine. Nous attendions, alors, la paix des braves pour sortir de nos abris. Il n’y eut en fin de compte que celle des pleutres, signée sous la contrainte à Taëf et violée depuis, tous les jours. Aujourd’hui, 22 ans après 75, nous nous retrouvons face à un nouveau genre de francs-tireurs, sans personne pour s’interposer, aux carrefours, entre nous et le danger. A croire que Charif Akhawi était le dernier bon Samaritain du Liban. Et il l’était. Dieu ait son âme. Qui prétend pouvoir jouer ce rôle à l’heure actuelle? Certainement pas M. Michel Murr qui paraît dépassé par les événements. On dira que cheikh Sobhi Toufayli n’est pas un milicien dans le style de ceux de jadis. Chez lui, les RPG ont cédé la place aux haches et les francs-tireurs aux lanceurs de pierres. Il n’est plus question d’assassiner des gens sur la foi de leur appartenance religieuse. L’ennemi n’est plus le chrétien pour les uns ou le musulman pour les autres. L’ennemi, c’est le système et ceux qui y sont inféodés: députés, ministres, etc... De toute façon, il n’est pas question de les tuer - jusqu’à présent du moins - mais de leur flanquer une bonne fessée. Ce qu’ils n’ont pas volé. Il n’en demeure pas moins que sous l’impulsion - disons impulsive - de cheikh Sobhi et après la multitude de fausses promesses du gouvernement, Baalbeck-Hermel est bel et bien en train de faire sécession. Et l’on ne voit nul Lincoln à l’horizon pour mettre fin à ce genre de désastre. Bien sûr, le ministre de l’Intérieur a agité, devant les caméras de la télévision, un doigt menaçant. Nous avons essayé jusqu’au-jourd’hui, a dit en substance M. Murr, de traiter l’affaire par la patience, le calme et la diplomatie. Mais ça suffit comme ça! A partir de maintenant, les choses vont changer, qu’on se le tienne pour dit! Cela signifie-t-il que l’Etat, qui semblait avoir emprunté aux légionnaires romains d’Astérix, camouflés en arbustes, la consigne d’avoir “l’air le plus végétal possible”, s’est enfin décidé à sévir contre les émeutiers? Rien n’est moins sûr. Non seulement les rodomontades du ministre de l’Intérieur n’ont effrayé personne, mais l’adversaire n’est pas un phénomène purement local sans aucune autre connotation. Tout porte à croire que cheikh Sobhi Toufayli ne joue pas en solo. Son mouvement a - à en croire certains observateurs politiques - des implications régionales. Autrement dit, il serait soutenu par l’Iran, lequel Iran est l’allié stratégique et incontournable de la Syrie. Le reste se passe d’explications. Pour d’autres analystes, il représenterait un avertissement aux formations locales qui se croient tout permis ou à certains responsables qui s’imaginent pouvoir secouer ne serait-ce que partiellement certaine tutelle. Quant au ministre Omar Meskawi, il ne craint pas de déclarer qu’il y a de l’Israël là-dessous. Quoi qu’il en soit, la décision de l’affronter ne se prendra ni à Baabda, ni à Koraytem, ni à Aïn-el-Tiné, ni nulle part au Liban. Alors? Alors, rien du tout jusqu’à ce que tout le monde soit rentré de Damas. En attendant, les invectives continuent à s’entrecroiser dans le vide sidéral - et sidérant - de l’Etat libanais, chacun traitant l’autre de fou insensé. Qui l’est au juste? En fait, dans cette affaire où l’on s’ingénie à brouiller les cartes et où les joueurs locaux semblent avoir perdu leurs repères, il est bien difficile de le dire. Car, en politique, rien ne distingue un fou d’un sage, sauf l’idée que chacun se fait de la raison. Laquelle raison, en Orient, est une notion tout à fait relative. |
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