Les
thuriféraires du pouvoir, c’est normal, blâment les opposants
(parlementaires et extra-parlementaires) pour avoir remis au chef de l’Etat
italien des mémorandums consignant leurs griefs à l’égard
du Pouvoir, arguant “qu’il faut laver notre linge sale en famille”... Mais
lorsqu’une large fraction de la classe politique est marginalisée
et qu’on refuse de prêter une oreille attentive à ses plaintes
et réclamations dans les sphères gouvernementales, comment
peut-elle faire entendre sa voix?
Le geste est
tout à l’honneur du chef de l’Etat italien, d’autant qu’il a été
la première personnalité officielle à l’entreprendre:
il s’agit de la rencontre, qualifiée “d’instruc-tive”, du président
Oscar Scalfaro avec les représentants de l’opposition ayant eu lieu,
samedi dernier peu avant son départ de Beyrouth.
Le Premier Italien a conféré avec les porte-parole de
l’opposition extra-parlementaire au siège patriarcal maronite de
Bkerké et, avec les ténors de l’opposition parlementaire
- le “groupe des six”: MM. Husseini, Hoss, Karamé, Beydoun, N. Lahoud
et B. Harb - au domicile de l’ambassadeur d’Italie à Naccache.
Au préalable, S. Em. le cardinal Sfeir avait eu un tête-à-tête
avec M. Scalfaro.
“Entre les Libanais, a dit le patriarche maronite, il n’y a aucun désaccord;
ce sont les ingérences extérieures dans nos affaires qui
empêchent le retour à la normale”. Puis, Sa Béatitude
a dénoncé la mauvaise gestion des affaires publiques, “ce
qui a engendré une situation de déséquilibre et le
sentiment frustrant qu’il existe un vainqueur et un vaincu... car l’accord
de Taëf n’est appliqué que d’une manière sélective,
à la convenance de ceux qui assument les charges du Pouvoir: un
gouvernement d’union nationale n’a pas été formé,
les personnes déplacées tardent à réintégrer
leurs villages, comme le redéploiement des forces syriennes et leur
remplacement progressif par nos forces régulières.”
S’exprimant au nom de l’oppo-sition extra-parlementaire, M. Fouad Boutros,
dont l’objectivité ne peut être mise en doute, a insisté
également sur l’application sélec-tive de l’accord de Taëf,
“ce qui marginalise une large fraction de la classe politique.”
Il n’a pas manqué de relever la manière dont ont eu lieu
les législatives de 92 et 96 et les conditions conformément
aux-quelles elles ont été organisées.
“Le déséquilibre interne, a observé Me Boutros,
se traduit par un déséquilibre au plan des communautés
nationales”, en ce sens que certaines d’entre elles sont mieux représentées
que d’autres au niveau du pouvoir et de l’Assemblée nationale.
Les représentants de l’opposition extra-parlementaire ont abondé
dans le sens de l’ancien chef de la diplomatie, tout en déplorant
que “l’attention accordée au retrait de toutes les forces étrangères
du territoire national ait été insuffisante”.
Quels qu’aient été ses résultats, le dialogue
entamé par le président Scalfaro avec l’opposition libanaise
ne peut qu’être bénéfique. Le responsable italien,
tout en précisant que la politique étrangère de son
pays était tracée par le gouvernement, a présenté
son séjour au Liban comme “une visite d’amitié au peuple
libanais”.
Il va sans dire que le président italien, à qui les opposants
libanais ont remis des mémorandums consignant leur position et leur
point de vue quant à la situation interme, ne peut rien entreprendre
- si ce n’est une action amicale et personnelle - pour contribuer à
normaliser la situation dans nos murs.
Quoi qu’il en soit, il aura écouté les deux sons de cloche,
ce qu’aucun autre visiteur de marque n’avait fait avant lui. Ceci l’aidera
à orienter la politique italienne, en tenant compte de la volonté
de tout le peuple libanais, non d’une fraction déterminée
ayant tendance à occulter certains problèmes requérant
des solutions urgentes. |