tribune
 
OÙ NOUS MÈNE L’AMÉRIQUE?
 
Au moment où, à Washington, les négociations palestino-israéliennes, sous l’égide de M. Dennis Ross, échouaient, comme on s’y attendait, que faisait M. William Cohen, ministre de la Défense de l’Amérique? Il recevait son homologue israélien au Pentagone et lui annonçait qu’Israël recevrait, en 1998, pour deux milliards de dollars d’armements.
En plein processus de paix.
Un processus censé se conclure un jour par un accord général de réduction des budgets militaires de tous les pays de la région.
On croit rêver.
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Pendant ce temps, Washington menace l’Irak déjà exsangue.
La mobilisation réussie en 1990 par les Etats-Unis contre ce pays a, sans doute, permis de sauver le Koweït, mais elle n’a pas réussi à abattre le régime irakien. Saddam Hussein, à l’instar de Abdel-Nasser en 1956 et en 1967, rebondit après chaque coup.
Entre MM. Clinton et Saddam Hussein, tout se passe maintenant comme si le conflit n’était plus qu’une querelle personnelle de prestige. Le peuple irakien en est, jusqu’ici, la seule victime. En réalité, la pression combinée exercée par l’Amérique et par la Turquie sur l’Irak vise, de plus en plus, clairement à démembrer ce pays. En attendant, ce sont les compagnies pétrolières américaines et leurs associés de la presqu’île arabique qui tirent profit du blocage du pétrole irakien, empêchant ainsi une baisse brutale des prix sur le marché.
Mais au-delà de l’Irak et des sordides spéculations sur le pétrole, c’est toute la région du Proche-Orient qui se trouve menacée par cette politique de puissance que poursuit l’Amérique en s’appuyant sur la Turquie et sur Israël.
D’un côté, des pays arabes en ordre dispersé sollicitant en vain la paix promise, “juste et globale”, de l’autre deux puissances militaires régionales surarmées par l’Amérique et pesant de tout leur poids sur leurs voisins affaiblis. Ce déséquilibre n’est pas un facteur de paix. A Washington, on le sait bien. Alors, quel est le véritable but de la politique américaine?
Mais a-t-elle vraiment un but qui ne serait pas celui de ses deux principaux alliés, Israël et la Turquie?

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On a entendu M. Primakov, au nom de la Russie et en qualité de co-parrain du fameux “processus”, préconiser un plan pour instaurer la paix. A Washington, il n’a suscité aucun écho. Même pas poli.
On a entendu M. Chirac, au nom de la France, d’accord sur la nécessité d’obliger Bagdad à se soumettre aux inspections de l’ONU, s’opposer aux “méthodes brutales” pour y parvenir. M. Clinton a rétorqué qu’il n’y a plus rien à attendre de l’action diplomatique. Et pour recourir à l’action militaire, Washington n’entend pas être paralysé par les réticences de ses alliés européens et arabes. M. Clinton n’a-t-il pas annoncé qu’il ne reculerait pas devant une action unilatérale, passant éventuellement outre à un veto du Conseil de Sécurité? Il peut compter, en tout cas, sur la Turquie et Israël qui n’ont pas tant de scrupules pour ignorer l’ONU. Ne font-ils pas déjà école?
Officiellement, il s’agirait pourtant de forcer l’Irak à respecter les résolutions onusiennes.
Qui peut encore se retrouver devant tant de contradictions?
Etranges alliances que celles de l’Amérique. Les Européens qui ont fondamentalement les mêmes intérêts (et même un peu plus) que les Etats-Unis à la pacification et au développement du Proche-Orient, ne sont pas écoutés à Washington où ils suscitent même parfois la suspicion. La Turquie et Israël, qui poursuivent ouvertement une ambition d’hégémonie en Orient, pavent la voie à de graves bouleversements et reçoivent un appui total des Etats-Unis dont ils sapent l’objectif officiellement déclaré: la paix.
Est-ce que les Etats-Unis ont une vision claire de leur rôle dans cette région du monde? Est-ce qu’ils ont une politique? Ils ont exposé le Liban, en 1975, à la destruction en l’incitant à entreprendre une opération au-dessus de ses moyens: chasser les Palestiniens.
Ils exposent maintenant l’Irak à un démembrement qui peut ébranler toute la région. Est-ce là leur intérêt, dans la disparition progressive des Etats possédant les bases d’une structure laïque et capables de parvenir un jour à une véritable vie démocratique? Le Liban, la Syrie, l’Irak?

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Cela est devenu si banal que nul n’en est plus choqué. Et pourtant...
De tous les pays qui possèdent une représentation diplomatique au Liban, seule l’Amérique éprouve encore le besoin de protéger son ambassadeur, durant ses déplacements, d’un impressionnant convoi blindé, mitrailleuses montées sur tourelles, pointées dans toutes les directions. Monsieur l’ambassadeur se déplace-t-il en territoire ennemi?
Le Liban ennemi des Etats-Unis? Depuis quand? Pourquoi?
On touche là du doigt, en une seule image, tout le problème du parrainage américain du processus de paix: un tout petit pays, traditionnellement ami des Etats - Unis, fasciné même par cette Amérique où ses fils trouvent depuis plus d’un siècle et demi une seconde patrie, un tout petit pays accueillant, réputé pour sa généreuse hospitalité et son pacifisme, qui ne réclame que sympathie et protection, mais où l’ambassadeur de la plus grande puissance du monde ne se sent plus en sécurité pour se promener comme tout le monde.
Depuis quand? Pourquoi? Qui en est responsable? Qui a fait de ce pays une terre d’insécurité pour l’Américain?
On dira, bien sûr, le Hezbollah et derrière lui l’Iran. Mais pourquoi y a-t-il un Hezbollah? Et comment l’Iran en est-il arrivé à ce point d’hostilité?
Quant à la qualité de terroriste, faut-il rappeler que M. Arafat en était étiqueté jusqu’au jour où il a serré la main de M. Rabin sur la pelouse de la Maison-Blanche? Mais pour M. Netanyahu, cela n’a encore rien changé. A ses yeux, nous sommes tous nés terroristes.
On n’en finirait pas de remonter la chaîne des responsabilités...
... Jusqu’à Lord Balfour, jusqu’à Moïse, jusqu’à Abraham... et jusqu’à Dieu! Pour les épaules de M. Clinton, c’est un peu lourd. 

 
 
 

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