Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

LA FRANCOPHONIE DANS L’ENTIÈRE ACCEPTION DU TERME

Le choix du Liban pour la tenue du 9ème sommet de la francophonie est, certes, une réussite. Il est grand temps que ce pays plébiscité comme un haut lieu de l’esprit, retrouve sa place dans le concert des Nations.
La francophonie a, certes, ses institutions, ses associations, ses sommets et son histoire. Cependant, qu’est-ce que la francophonie? Que cache-t-elle? Les 52 pays qui ont le français en partage, le partagent-ils réellement?
Le mot francophone est certes né avec le géographe Onésime Reclus en 1880, pour désigner un ensemble géographique défini par l’usage de la langue française. Depuis, la notion de francophonie s’est considérable-ment enrichie, pour devenir un concept et une réalité en plein développement.
Si dès 1962, Léopold Senghor donna rigueur et éclat à la francophonie en l’assimilant à un humanisme intégral qui se trame autour de la planète, la comparant à une symbiose des énergies dormantes de toutes les consciences, de toutes les cultures qui se réveillent à leur chaleur complémentaire, Charles Hélou en 1972, étant à la tête de la francophonie devait rappeler éloquemment et sans équivoque, “que l’important n’est pas de parler une langue commune mais de parler un langage commun”. Paroles que le président François Mitterrand allait répéter à l’ouverture de la dixième session du Haut Conseil de la francophonie le 22 mars 1994. Il faudra attendre jusqu’en 1986 pour qu’un nouveau compromis permette la tenue à Paris de la première conférence des chefs d’Etats et de gouvernements des pays ayant en commun la langue française et c’est précisément cette diversité géopolitique qui fait l’intérêt de la francophonie. Riche de cette diversité multiple, elle est en quelque sorte un microcosme où les francophones peuvent découvrir, observer, étudier dans la langue qu’ils maîtrisent, presque tous les aspects de la réalité planétaire et des relations internationales. Elle se veut notamment comme un laboratoire de la coopération Nord-Sud. Facilitée par l’usage d’une même langue, la coopération francophone met à la disposition des pays membres les moins avancés, des moyens financiers, techniques et humains dans tous les secteurs du développement: éducation, formation, démocratisation, état de droit, industries de la culture, de la langue, de la communication, agriculture, énergie, environnement, pour ne citer que ces domaines.
***

La francophonie qui se conçoit elle-même un modèle de pluralité solidaire est, sans doute, appelée à jouer par la voix de son secrétaire général Boutros Ghali, un rôle important sur l’échiquier mondial. En élisant une personnalité d’envergure internationale, la francophonie devrait saisir une nouvelle chance de s’imposer et de faire entendre une autre voix que celle de l’Amérique sur la scène mondiale. Cette révolution culturelle aura plus d’importance qu’on ne lui en prête actuellement dans les médias, à l’heure où le français est menacé au sein même des instances européennes, supplanté par l’anglais en Afrique, où les Etats-Unis multiplient les ouvertures d’universités; à travers le monde la francophonie devrait retrouver sa dimension planétaire aussi élevé que puisse en être le prix. S’agit-il de vaines espérances? Certes non!
Forte actuellement de ses 52 Etats membres, elle représente près d’une voix sur quatre dans l’Assemblée générale des Nations-Unies, ce n’est pas peu. Cependant, comme toutes les communautés internationales, la francophonie qui n’a effectivement que dix ans d’âge, est encore à la recherche d’un équilibre difficile à trouver entre solidarité et concurrence. Puisse-t-elle y arriver de sitôt. Le génie d’Onésime Reclus d’avoir pressenti la possibilité d’une communauté culturelle et politique d’envergure, devrait servir d’école.
C’est aux esprits les plus éclairés du monde francophone, la France en premier, de ne pas subir les diktats d’où qu’ils viennent, fussent-ils culturels, économiques ou politiques. Il est fondamental que le monde francophone s’entende non seulement sur certains principes, mais sur leur application, afin d’aborder le troisième millénaire avec une énergie renouvelée à tous les égards.
Dans un monde où beaucoup de peuples souffrent des méfaits de l’hégémonie anglo-saxonne, la francophonie apparaît pour eux comme un espace de liberté et de qualité.
En fait, ce qui gène les Anglo-Saxons, c’est plutôt la latinité, cette autre vision pertinente de l’homme, de sa dignité et de sa valeur transcendante.
Pour réussir cette entrée dans le XXIème siècle, la francophonie devrait être à l’écoute des autres, tout en étant capable de répondre, également, sur le plan de la culture, de la technologie et du développement, à une demande impressionnante, capable surtout de répondre à la mondialisation des aspirations démocratiques, n’en déplaise au séparatiste Désiré Kabila qui, à son “clanisme” défendant, a boycotté le sommet de Hanoï.
En effet, la chance de la francophonie se trouve au cœur même des valeurs et des idéaux à partager. Imaginons ce que la culture française a apporté dans chaque pays francophone et ce que les pays francophones ont apporté à la littérature française. A ce stade enrichissant, le Liban a toujours servi de modèle et d’avant-garde.
Les pays francophones n’ont aucun intérêt à être américanisés, à subir de façon excessive l’univers de la consommation à l’américaine, non plus l’avilissement suscité par le fondamentalisme à outrance. Les valeurs défendues par la communauté francophone se veulent des valeurs de tolérance, d’humanisation, si importantes pour les fondements des sociétés et des dialogues des cultures. Bref, la francophonie de demain doit être, surtout, et d’abord une réalité plurielle qui aura l’avantage de vivre à la fois, l’unité et la diversité, ce qui au fil du temps lui permettra d’élaborer une vision du monde bien différente.
Que les francophones, sachent également, profiter de l’expérience française, assemblage privilégié de réalisations et d’inventions depuis plusieurs centenaires, véritable espace d’aspirations civilisatrices et humaines. Que la francophonie sache profiter à son tour de l’expérience de toutes ses composantes, de ces nombreuses nations avec qui elle doit entretenir des relations étroites, afin de créer avec elles de nouvelles synthèses, de nouvelles créativités promotrices et ambitieuses.
L’un des défis du XXIème siècle pour cet espace francophone, consiste donc à s’unir autour de la culture française, qui protègera d’abord et stimulera, ensuite, le développement des langues et des cultures franco-phones. N’est-ce pas de l’unité que jaillira la diversité enrichissante? Plus nous serons curieux, plus nous réussirons notre entente au troisième millénaire et au delà, car la réussite ne passe pas par un repli sur soi-même, mais s’accompagne au contraire d’une reconnaissance mutuelle de l’universalisme dans le respect des spécifités de chacun et de sa culture. Il y va de notre raison d’être et de notre survie dans un monde en perpétuelle mutation. 

 
 “L’important n’est pas seulement de parler une langue commune, mais de parler un langage commun”.

Charles Hélou
 

 

 


Home
Home