RENCONTRE AVEC CHEIKH NAÏM KASSEM: "LES BRIGADES DE LA RÉSISTANCE SONT L'EXPRESSION D'UNE ÉVOLUTION NORMALE SUR LA SCÈNE LIBANAISE", NOUS DIT LE #2 DU "HEZBOLLAH"
Par Nelly Hélou  

Suite à l’annonce faite, il y a trois semaines, par le “Hezbollah” de créer les brigades libanaises de la résistance contre Israël, nous avons voulu en savoir plus sur ce projet.
Au cœur de la banlieue-sud, à Haret Hreik, nous avons rencontré le NÞ2 du “Hezb”, cheikh Naïm Kassem, secrétaire général-adjoint de ce mouvement. L’entretien a eu lieu à son domicile. Tout d’abord, nous nous sommes rendus, le photographe et moi-même, au bureau d’information du “Hezbollah” toujours dans la banlieue-sud, d’où on nous a amenés chez lui dans une Range Rover aux vitres fumées.
La banlieue-sud grouille toujours de monde et d’embouteillages dans ses rues étroites. Il ne faut pas croire que toutes les femmes portent le “tchador”. Pas du tout. On côtoie de jeunes filles cheveux au vent, jupes courtes et d’autres bien couvertes.
Originaire de Kfarfila (Iklim At-Teffah), cheikh Naïm Kassem a fait une licence en chimie, en français à la faculté de pédagogie de l’Université libanaise, tout en poursuivant en parallèle une formation religieuse. Après avoir enseigné la chimie dans les écoles secondaires pendant un bon laps de temps, il décide de se consacrer pleinement à l’action religieuse et occupe la fonction de secrétaire général-adjoint du parti depuis six ans et demi.
L’entretien portera sur la formation des brigades et les questions
de l’heure.
 
EN HARMONIE AVEC NOS CONVICTIONS
- Quelles sont les raisons ayant amené le “Hezbollah” à créer, en ce moment précis, les “Brigades libanaises de la résistance contre Israël”, (B.L.R.C.I) ouvertes à toutes les communautés?
“Dès le départ, notre conviction était que tous les Libanais devraient faire de la résistance contre l’occupant israélien. En tant que parti présent sur la scène libanaise, nous avions créé la “résistance islamique”. Il était normal que par sa pensée, son appartenance et sa spécificité, cette formation fût en harmonie avec nos convictions et les thèses que nous défendons.
“Voyant que de nombreux Libanais souhaitaient faire de la résistance, nous avions appelé les partis, forces et groupes à remplir leurs rôle et devoir, leur exprimant notre disponibilité à coordonner avec eux. Il y a eu une réponse limitée. La scène libanaise est demeurée dans le besoin d’un cadre adéquat capable d’aider les Libanais qui le souhaitent à rejoindre les rangs de la résistance. D’où l’idée des brigades.”

- Pourquoi ce timing précis? Y-a-t-il eu un changement dans  la politique du “Hezbollah”, dans la conjoncture locale ou régionale qui vous ont amenés à lancer ces brigades?
“En fait, il n’y a pas eu de changement dans notre politique, mais plutôt dans l’intérêt manifesté par les Libanais dans leur ensemble vis-à-vis du rôle et de l’action de la résistance contre l’occupant. Cette transformation remarquable dans ses dimensions et interactions nationales, s’est produite avec l’attaque israélienne d’avril 96. Ce qui nous a incités à rechercher de nouvelles modalités, afin de donner l’opportunité à tout Libanais qui le souhaite d’exprimer ses convictions.
“L’élément de changement et d’évolution s’est opéré donc au niveau du peuple. Nous n’avons fait que l’accompagner, afin de l’intégrer et de le traduire dans une formule concrète.”

- L’éloignement de la solution au conflit régional est-il une raison de plus pour renforcer la résistance?
“Déjà avec Rabin, la solution était ardue et compliquée. Que serait-ce avec Netanyahu? Nous sommes convaincus que la solution est encore plus difficile et très éloignée à atteindre.
“Ajouter à cela que la solution préconisée ne s’harmonise pas avec les droits du peuple palestinien et des peuples de la région; elle ne sera ni stable, ni solide, ni bien enracinée. La région demeurera à l’état incendiaire; le problème sera permanent avec Israël qui viole les droits.
“Il était normal qu’on fasse évoluer les modalités de la résistance contre Israël et nos potentialités.”

UNANIME APPUI POPULAIRE ET POLITIQUE
- Fallait-il absolument obtenir la bénédiction de l’Iran et du président Khatimi avant de lancer votre projet?
“L’Iran n’a rien à voir avec la création de ces brigades. L’idée existait chez nous depuis six mois. Elle a mûri et fut proclamée lors du “huitième” du martyre de Sayed Hadi Nasrallah, fils du secrétaire général du “Hezbollah”.
“L’idée n’est donc pas nouvelle et nous ne prenons pas nos directives de l’extérieur. Nous sommes des Libanais, avons nos problèmes à traiter et agissons selon nos convictions. Certes, nous sommes fiers de l’appui de l’Iran et de son soutien à la libération de notre terre et nous aurions souhaité que tous les pays en fassent autant.”

- N’empêche que la création de ces brigades a été proclamée après la visite effectuée par Sayed Hassan Nasrallah en Iran où il a rencontré le président Khatimi?
“Pour rectifier vos informations, l’idée a été proclamée lors du huitième de Hadi Nasrallah avant la visite du secrétaire général à Téhéran.”

- Mais la conférence de presse, au cours de laquelle le projet a été présenté, a eu lieu après sa visite!
“La conférence de presse n’était que l’enchaînement normal de la proclamation antérieure et de notre engagement devant l’opinion publique.
“Il est certain que Téhéran a accueilli avec satisfaction un tel projet qui exprime un besoin réel. De même, sur la scène libanaise, nous avons eu un appui unanime au double plan populaire et politique.”

- Quelle sera la structure de ces brigades?
“Elles auront leur spécificité propre et des normes leur permettant de répondre aux souhaits de ceux qui veulent s’y rallier.
“Par exemple, celui qui s’y enrôle, n’aura pas à être un pratiquant respectant le jeûne, comme c’est le cas au sein de la “résistance islamique”. Il lui suffit d’avoir une croyance globale dans le Créateur et les messages célestes en tant que doctrines véridiques. Il peut être pratiquant ou non selon ses convictions.
“En deuxième lieu, il doit croire en l’adversité d’Israël et du danger de son projet sioniste pour le Liban et la région. En troisième lieu, ne pas être suspecté d’avoir des rapports avec les services d’espionnage de l’ennemi; enfin, avoir les capacités physiques requises.”
 

APPELS CONTINUS PAR CENTAINES 
- Qui dirigera ces brigades? 
“Actuellement, vu que nous avons appelé à leur  formation, il est de notre devoir de leur assurer l’encadrement et l’entraînement adéquats. Par la suite, lorsque les éléments auront acquis la formation, l’entraînement et la compétence nécessaires suivant leur évolution, ces brigades pourront prendre en charge leur propre responsabilité et direction.” 

- Lors de la conférence de presse, Sayed Hassan Nasrallah a donné des numéros de téléphone pour que les personnes intéressées puissent vous joindre. Avez-vous reçu des appels? 
“Les appels par centaines ne s’interrompent pas, croyez-moi. Ils ont commencé dès la fin de la conférence de presse et les trois lignes téléphoniques furent encombrées jour et nuit. Nous avons dû fixer un temps d’appel de 8 à 12 heures et de 14 à 18 heures, afin de pouvoir contrôler la situation et ne pas être débordés.  
“Un rendez-vous est fixé à chaque personne en un lieu précis pour un entretien en tête-à-tête avec l’un des “frères” qui s’informe de sa situation personnelle, de ses aptitudes, de toutes les données nécessaires sur le plan de la sécurité, de ses activités antérieures et présentes, etc... Une enquête est menée à son sujet et lorsque son dossier est prêt, on lui donne une réponse: on lui fixe le lieu et la date de sa participation à une session de formation militaire ou de recyclage, si elle manie déjà les armes.” 
- Peut-on savoir d’où proviennent les appels et des rencontres  
ont-elles déjà eu lieu? 
“De toutes les communautés, confessions et régions du pays. Mais nous préférons ne pas donner pour l’heure ni des chiffres, ni des noms. Nous voulons que l’information suive nos actes et non le contraire.” 

- Les effectifs de ces brigades, seront-ils payés? 
“Il s’agit de volontaires militant à leurs heures libres. Pour cela, ils ne reçoivent pas d’indemnités. Bien sûr, on leur assurera tous les besoins en armes, munitions, habits de combat, nourriture et sommes prêts à recevoir les dons, à cet effet. 
“Pour l’instant, on ne voit pas la nécessité d’avoir des gens disponibles à plein temps. Peut-être cela serait-il envisagé plus tard, en fonction du développement de la situation.” 
 

Le problème à Baalbeck-Hermel  est d’ordre social et non sécuritaire                  Tout Libanais peut adhérer aux  “brigades de la résistance”        

 NOUS NE VOULONS ÉLIMINER PERSONNE
- Les effectifs du “Hezbollah” touchent pourtant un salaire?
“Ceux qui sont engagés à plein temps, oui. Les autres mobilisés en cas de besoin, ne touchent pas d’indemnités.”

- Peut-on connaître le nombre de vos résistants à plein temps?
“C’est l’un des secrets qu’on ne révèle pas.”

- Pourquoi tout ce halo de mystère pour le recrutement des brigades: appels téléphoniques, des rendez-vous en des lieux différents, etc?
“Désigner des lieux précis de recrutement faciliterait la tâche d’observation aux agents de l’occupant. Ils pourraient repérer et photographier tout élément. Or, nous voulons protéger ces recrues, le résistance étant une action secrète.”

- Accepterez-vous des éléments des Forces libanaises?
“Celui qui se repent, renonce à collaborer avec Israël et le  prouve concrètement, est le bienvenu, une fois qu’on en a l’assurance.”

- Les F.L. ne sont pas les seules à avoir collaboré avec Israël. Il y a eu des éléments de tout bord et de toute confession qui l’ont fait?
“Si le repentir est sincère et qu’on a confiance en leur attitude, ils sont acceptés, quelles que soient leurs appartenance et antécédents.”

- D’autres fractions que le “Hezbollah” font de la résistance au Sud: “Amal”, le PSNS, les communistes,... Cherchez-vous à les placer toutes sous votre aile?
“Nous sommes disponibles pour coordonner notre action avec tout parti et toute fraction qui le souhaite. La création de ces brigades ne signifie nullement une mainmise ou une appropriation des éléments des autres fonctions, ou des fractions elles-mêmes. Il s’agit d’un projet cohérent pour intégrer des jeunes qui ne se réclament pas d’autres courants.
“Nous sommes prêts à collaborer avec les autres, non à les éliminer et proposer un modèle d’action dont le peuple libanais a besoin.”
 

“L’élément de changement s’est opéré au niveau
du peuple. Nous n’avons fait que le traduire concrètement.“

LA RÉSISTANCE ISLAMIQUE, SUJET DE FIERTÉ 
- Cherchez-vous des acquis politiques, afin qu’on dise un jour que c’est grâce à votre action qu’Israël s’est retiré du Sud? 
“L’action de la résistance islamique au Sud est, en elle-même, pour nous un sujet de fierté, d’honneur, de dignité. Il nous permet d’en cueillir les fruits, sans avoir besoin de constituer ces brigades. La résistance est une action dangereuse et il ne viendrait pas à l’esprit d’utiliser la vie des gens, comme objet de marchandage. 
“Les brigades que nous voulons créer n’ont pas pour objectif de résoudre un problème politique d’avenir; elles sont l’expression d’une évolution normale sur la scène libanaise et démontrent notre ouverture aux autres; on nous appréciera davantage pour cela.” 

- Quid de l’action militaire des réfugiés palestiniens au Liban? 
“Il est de leur droit de mener une action contre l’occupant. Nous sommes opposés à toute forme de parade et d’action en dehors du cadre de la cause palestinienne. Mais nous appuyons, bénissons et encourageons toute action menée en faveur de cette cause.” 

- Y-a-t-il une coordination entre le “Hezbollah” et “Hamas”? 
“Pratiquement, non: Hamas a son domaine, nous avons le nôtre et chacun de nous a ses spécificités. Vu l’éloignement géographique, la coordination militaire est difficile. Nous avons un contact politique, car Hamas a un représentant au Liban.” 

- Avez-vous un représentant auprès d’eux? 
“Non, car nous ne traitons pas encore directement avec le pouvoir palestinien en place. Leur situation interne est complexe: ils n’ont pas un Etat stable et, bien sûr, il y a un refus de notre part de la façon d’agir de Yasser Arafat.” 
 

Cheikh Soubhi Toufayli a sa méthode d’action, nous avons la nôtre                        Nous nous soucions en permanence de préserver Jezzine et sa population

PAS DE POLÉMIQUE AVEC TOUFAYLI
- Venons-en au mouvement de cheikh Sobhi Toufayli. Approuvez-vous ses méthodes d’action?
“Cheikh Sobhi Toufayli a son point de vue, sa façon d’agir et les exprime à sa manière. Nous ne sommes pas une police et nous ne distribuons pas de rôles pour empêcher certains d’agir et permettre à d’autres de le faire. Il y a différentes forces dans ce pays  et chacune s’exprime à sa façon.
“La nôtre est claire et connue de tous. On préfère ne pas entrer dans une polémique avec cheikh Sobhi et son mouvement.”

- Fait-il toujours parti du “Hezbollah“, tel qu’il l’affirme?
“D’un point de vue pratique, sa façon d’agir est différente de la nôtre.“

- Il dit, qu’il vous met au courant de ses décisions!
“Ses décisions proviennent de ses convictions et nous avons les nôtres.“

- Qu’avez-vous à dire de la décision du Conseil des ministres de confier à l’armée libanaise la sécurité à Baalbeck-Hermel pendant trois mois?
“Il n’est pas juste qu’une région telle que Baalbeck-Hermel soit négligée; puis, qu’on prenne envers elle des mesures de sécurité. Les promesses traînent et le résultat est un déploiement de force. Il est regrettable que cette région soit un bouc émissaire et que le prétexte sécuritaire serve de couverture à des privations bien enracinées.
“Nous ne sommes pas à l’aise face aux mesures adoptées par l’Etat que rien ne justifie. La solution ne peut pas se faire à travers une parade militaire.
“La région de Baalbeck-Hermel est en train de payer la facture de l’arrêt de la culture du haschisch et du pavot en vertu d’une décision internationale. Il faudrait trouver les solutions adéquates aux problèmes socio-économiques auxquels elle est confrontée et ne pas se contenter d’y déployer l’armée.“
- Y aura-t-il un amendement des statuts internes du “Hezbollah“ pour permettre la réélection pour un troisième
mandat de l’actuel secrétaire général?
“La modification des statuts internes à l’effet de permettre l’élection pour un nouveau mandat du secrétaire général, est quasiment tranchée.“

- A quand les élections?
- “Elles seront annoncées en leur temps.“

- N’êtes-vous pas candidat?
“Sayed Hassan Nasrallah demeure le candidat apte à ce poste.“

- Le “Hezbollah“ a-t-il participé à la grève décrétée par la C.G.T.L. le 13 novembre?
“Nous n’avons pas été mis au courant des données et dimensions de cette grève et il n’y a pas eu de coordination avec nous sur cette question.“

POURQUOI JEZZINE?
-Vous voulez créer des brigades à caractère national et, en même temps, vous continuez à vous acharner contre Jezzine. N’est-ce pas contradictoire?
“Je refuse qu’on parle d’attaques contre Jezzine. Car nous avons toujours cherché à protéger cette ville et ses fils. Preuve en est que les Lahdistes et les Israéliens essayent de s’y cacher et de l’utiliser comme base. Avec cela, nous ne bombardons pas Jezzine et nous épargnons sa population. Ce qui est demandé, c’est de tuer les Israéliens et les collaborateurs.
“Les faits prouvent que nous considérons les habitants de Jezzine comme étant des nôtres; leur présence sur place est en soi une défense et une participation à l’action de la résistance. Ce qui s’est produit, est que nous avons tué un nombre de collaborateurs connus.“

- Il y a eu quand même des victimes parmi les civils?
“Ces civils ont été les victimes de charges piégées posées par les Israéliens pour susciter une réaction de la région de Jezzine contre nous.
“Tout le tapage qui a eu lieu, à un moment donné, était déplacé et visait à faire prévaloir la thèse de “Jezzine, d’abord.”
“Grâce à Dieu, ce nuage sombre est passé.“

D’AUTRES ÉCHECS SUIVRONT...
- A quoi vous attendez-vous après l’échec de la conférence de Doha?
“D’autres échecs suivront au niveau de l’action américano-israélienne visant à normaliser les relations d’Israël avec les Arabes, à cause de l’attitude incohérente d’Israël. S’il a déjà bafoué les accords conclus avec Arafat, que serait-ce des autres?“

- Une opération militaire de grande envergure pour débloquer la situation est-elle à envisager?
“Les circonstances ne s’y prêtent pas, surtout avec les complications intérieures auxquelles Israël doit faire face. Mais il faut être prudent, suivre l’évolution de près et évaluer chaque donnée.“

- Quelle est votre attitude face au conflit opposant Bagdad à Washington?
“Il faut établir une différence entre notre attitude, d’une part, vis-à-vis de Saddam Hussein, les massacres qu’il a perpétrés et la nécessité de sa chute et, d’autre part, des sanctions imposées au peuple irakien qui en paye le prix. Son infrastructure économico-sociale est détruite et il n’est pas juste qu’il fasse les frais de considérations américano-israéliennes.
“Pour cela, nous compâtissons au sort de ce peuple frère, à ses besoins alimentaires et autres, sa soif d’être libre, de planifier son avenir et nous refusons l’attitude américaine et son agression permanente contre l’Irak.“


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