Il
est apparemment entendu, aujourd’hui, que le régime de M. Saddam
Hussein est infréquentable et indéfendable. Il doit être
maintenu au ban des nations. M. Clinton va même plus loin: n’a-t-il
pas annoncé que les sanctions contre l’Irak (c’est-à-dire
contre le peuple irakien) doivent demeurer en vigueur, tant que M. Saddam
Hussein est au pouvoir? En somme, en termes vulgaires, il réclame
sa tête.
Deux porte-avions américains avec leur armada sont déjà
postés dans le Golfe. Une flotte britannique avec porte-avions,
apporte son appui en Méditerranée orientale. Il s’agit, finalement
de quoi? D’apprendre au peuple irakien, à coups de bombes, à
se débarrasser de son héros et à se doter d’un régime
démocratique? C’est admirable.
Tout cela est devenu si banal que personne ne s’en émeut plus
sérieusement. Les Etats-Unis se livrent à une démonstration
de puissance à l’usage de tous ces peuples qui possèdent
des richesses pétrolières. Qu’y a-t-il de plus naturel?
Deux ou trois avions bombarderont quelques sites irakiens et tout sera
dit? Ce n’est pas si sûr. La menace est plus sérieuse: détruire
l’Irak pour détruire Saddam Hussein? Aussi simple que cela?
***
M. Tarek Aziz, l’émissaire attitré de Bagdad auprès
de l’ONU, a posé cependant deux questions pertinentes qui n’ont
pas encore reçu de réponse:
1) L’Irak a produit, avant 1991, des armes chimiques, a-t-il dit. Si,
après les multiples inspections des experts de l’ONU et les destructions
nombreuses de stocks et d’usines qui les ont suivies, il reste encore quelques
stocks cachés, ne sont-ils pas devenus périmés depuis
sept ans qu’ils ont été fabriqués? On attend la réponse
des experts en armes chimiques.
2) Qui accuse l’Irak de dissimuler des armes? Les Américains.
Pourquoi faut-il qu’ils soient juges et partie? Parce que leurs experts
ont été désignés par l’ONU? Bagdad veut se
soumettre à toutes les résolutions du Conseil de Sécurité;
mais la composition de la commission d’inspection n’est qu’une modalité
d’exécution de ces résolutions. Pourquoi cette composition
ne pourrait-elle pas être revisée pour la rendre plus équilibrée?
Pour éviter une tragédie?
Tout ce qui émane de l’ONU est sacré?
Fort bien. Et quand les décisions de l’ONU concernent Israël?
On en revient toujours là!
Quand M. Netanyahu repousse systématiquement tout ce qui sort
de l’ONU, viole les accords d’Oslo et met en danger la paix régionale,
que fait M. Clinton?
Au lieu d’accorder une audience à M. Netanyahu en novembre,
lors de son passage à Washington, il le recevra en décembre.
“C’est une gifle”, s’exclament les commentateurs israéliens.
Et quelle gifle! Pendant ce temps, en fait de gifle, M. Saddam Hussein
(qui veut obéir à l’ONU mais pas aux Américains),
recevra des bombes lancées très légalement au nom
de l’ONU par des bombardiers américains.
Détruire un Etat membre de l’ONU au nom de l’ONU?
***
Vous avez dit: Bizarre?
Non. Dites plutôt que c’est la conséquence logique d’une
situation sans précédent dans l’histoire contemporaine et
peut-être même dans l’histoire de l’humanité: une grande
puissance, une très grande puissance, la seule grande puissance
actuellement sur terre (et dans l’espace interstellaire), cette unique
superpuissance a, à sa tête, un homme hésitant, louvoyant,
sans conviction et finalement faible. Et il veut frapper...
Pour les épaules de M. Clinton, les responsabilités à
l’échelle mondiale que les Etats-Unis veulent assumer, souvent sans
partage, sont une charge visiblement trop lourde.
Il serait vain de rejeter la responsabilité de certaines situations
troublées, de certains conflits apparemment insolubles, sur des
rivalités d’origine tribale ou ethnique. La vérité
est que le seul responsable de la persistance de ces conflits et de leurs
rebondissements périodiques, est celui qui a les moyens d’y mettre
fin; qui, à ce titre, s’est octroyé l’exclusivité
de la recherche des solutions, qui a imposé à ses partenaires
et à ses alliés ce monopole de l’autorité (ou d’un
prétendu arbitrage) et qui s’avère finalement impuissant
à l’exercer autrement qu’en brouillant les cartes et en mobilisant
ses forces armées là, précisément, où
cela paraît le moins justifié, le plus dangereux et, finalement,
le plus nuisible pour ses propres intérêts.
***
Entre la menace présumée que constituerait encore, aujourd’hui,
l’Irak et l’étalage de puissance militaire auquel se livre l’Amérique,
il y a une telle disproportion que cela en paraît ridicule quand
ce ne serait pas suspect et inquiétant.
Cependant qu’à côté, pour “punir” M. Netanyahu
de violer les résolutions de l’ONU et les engagements de son pays,
on se contente de lui imposer de faire antichambre à la Maison-Blanche.
Mais il sera, enfin, reçu et écouté.
L’Amérique n’a pas consenti seulement à entendre M. Tarek
Aziz qui se présentait au Conseil de Sécurité pour
expliquer la position de son gouvernement. Elle lui a fermé la porte
au nez. Et elle poursuit ses menaces militaires.
C’est le cas de rappeler ce mot célèbre de Thémistocle
arrêtant le bâton que levait contre lui le chef de l’armée
spartiate, Eurybiade, à la veille de la bataille de Salamine: “Frappe
donc, mais écoute!”
Il y a, hélas! des oreilles qui demeurent désespérément
bouchées. |
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