

LE “PROJET PROCHE-ORIENTAL”, LES USA ET ISRAËL
Notre interlocuteur commence par dénoncer la rencontre ayant
rapproché à Washington Mahmoud Abbas (Abou-Mazen) et David
Lévy, ministre israélien des Affaires étrangères,
près d’une semaine avant l’ouverture de la conférence économique
pour le Moyen-Orient et l’Afrique de Doha.
“Les pourparlers Abbas-Lévy étaient le fruit des efforts
déployés par Madeleine Albright, chef du département
d’Etat, à l’effet d’assurer le succès de cette conférence,
en laissant croire que les négociations de paix israélo-arabes
avaient redémarré; ce qui n’est nullement le cas.
“Si les accords d’Oslo constituent le cadre des pourparlers israélo-palestiniens,
le forum de Doha était considéré par les Etats-Unis
et l’Etat hébreu comme la base du projet proche-oriental, lequel
dans l’optique de Washington et de Tel-Aviv devrait servir les intérêts
israélo-américains et, partant, leur permettre d’exercer
leur hégémonie sur la région arabe et exploiter ses
ressources.”
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES ISRAÉLO-US
- Les Etats-Unis vous paraissent-ils dans une position embarrassante
entre les Arabes et Israël?
“Le moment est venu pour les Arabes de réaliser qu’il n’est
pas possible de compromettre la relation organique et les intérêts
stratégiques liant l’Etat hébreu aux USA. Les Etats-Unis
n’ont cessé de le prouver au cours de la dernière décennie,
partant de l’embargo économique imposé à l’Irak, de
la menace d’une opération militaire contre ce pays, du souci de
Washington d’entretenir le conflit entre les fractions kurdes rivales dans
le nord irakien et du pacte israélo-kurde signé sous les
auspices de l’Amérique. Sans perdre de vue ce qui se passe en Erythrée,
en Somalie et au Yémen, le tandem américano-israélien
projetant de faire mainmise sur la région de la mer Rouge et, aussi,
de déstabiliser des pays arabo-africains tels le Soudan, la Libye
et l’Algérie où la guerre civile continue à faire
rage.”
POUR UN SYSTÈME D’AUTO-DÉFENSE
ARABE
- Que sont censés faire les Arabes pour y faire face?
“Ils sont appelés à compter sur leur potentiel d’auto-défense,
afin de protéger leurs intérêts et de déjouer
les complots ourdis contre le monde arabe. Cela suppose l’assainissement
du climat au sein des Etats membres de la Ligue; le renforcement de la
confiance et la coopération entre leurs dirigeants, tout en réactivant
les divers rouages de l’organisation panarabe.
“De plus, il importe d’opter pour un système économique
susceptible d’attirer les capitaux arabes pour les besoins de l’exploitation
intérieure de chaque pays. Ceci assurerait la complémentarité
entre les Etats membres de la Ligue dans tous les domaines, abolirait les
barrières douanières, favoriserait l’échange de la
main-d’œuvre et de la technologie et la création du marché
commun arabe.
“Nous avons besoin, aujourd’hui, d’une décision arabe ferme
pour briser l’étau international imposé à certains
Etats frères, ce dont payent le prix nos peuples, notamment ceux
d’Irak et de Libye.”
ISRAËL VEUT LA CAPITULATION DES ARABES
ET NON LA PAIX
- Les négociations arabo-israéliennes, si elles devaient
reprendre, déboucheraient-elles sur un accord, en prévision
de la création d’un Etat palestinien ou sur le statu quo en ce qui
concerne le régime d’autonomie?
“Il est devenu clair que l’Etat hébreu s’emploie à obtenir
la capitulation des Arabes en les contraignant à souscrire à
ses propres conditions de paix. A cet effet, Israël s’ingénie
à affaiblir les rangs arabes, à empêcher la solidarité
des Etats frères, à multiplier les actions séditieuses,
à propager les maladies et les fléaux sociaux: sida, drogue,
prostitution, par l’intermédiaire de ses organismes spécialisés
(le Mossad et le Shin Beit). L’attentat manqué perpétré,
dernièrement, contre Khaled Machaal en Jordanie, en est une preuve.
“Est-il besoin de signaler les efforts que déploient les Israéliens
aux fins de normaliser leurs relations avec les pays arabes?”
- A qui profite le “projet proche-oriental” qu’Israël cherche
à réaliser avec l’appui des Etats-Unis?
“Il va sans dire que ce projet profitera à Israël. D’ailleurs,
les Israéliens ont déjà tiré profit des accords
d’Oslo, aux dépens des Palestiniens et des Arabes. De fait, il a
mis fin à la lutte armée palestinienne; à l’Intifada
(le soulèvement ou la “révolte des pierres) ayant prouvé
l’esprit combatif des jeunes Palestiniens; a éliminé le rôle
de l’OLP en tant qu’unique représentant légal du peuple palestinien;
a annihilé l’unité nationale palestinienne, réussi
à entraîner la délégation palestinienne aux
pourparlers de paix à signer un accord séparé, assénant
un coup dur à la solidarité interarabe. Enfin, Israël
a pu obtenir la reconnaissance par l’OLP de l’Etat israélien et
de la souveraineté israélienne sur l’ensemble de la Palestine,
en accordant aux Palestiniens une simple consolation sous la forme de l’autorité
autonome. Ceux qui croient que cette dernière est le prélude
à l’Etat palestinien se font beaucoup d’illusion.”
DE L’EUPHRATE AU NIL
- Comment imaginez-vous l’évolution de la situation sur la
scène palestinienne?
“Comme chacun le sait, Israël veut réaliser le projet expansionniste
du mouvement sioniste qui projette d’étendre les frontières
de l’Etat hébreu, de l’Euphrate au Nil. Si des entraves l’empêchent
d’atteindre cet objectif pour le moment, Israël ne renoncera pas à
la Palestine dans ses frontières actuelles. Il est enhardi et encouragé
par l’opinion mondiale qui ne réagit nullement face à ses
violations des résolutions de la légalité internationale.
En effet, Israël a rattaché la partie arabe de Palestine réservée
par le plan de partage aux Palestiniens. Puis, il refuse d’évacuer
les territoires occupés, comme l’exigent les résolutions
des Nations-Unies.
“Aucune pression n’est exercée sur Tel-Aviv. Au contraire, les
accords d’Oslo libèrent la communauté internationale de ses
engagements, les Palestiniens s’étant contentés d’une autorité
autonome, dans le cadre d’une souveraineté israélienne totale
sur l’ensemble du territoire palestinien.
“Puis, les visées expansionnistes de l’Etat hébreu ont
dépassé les frontières de la Palestine pour s’étendre
à la Syrie, au Liban-Sud et à la Békaa ouest, d’où
“Tsahal” refuse de se retirer. Pour cela, il faut assurer les deux tiers
des voix à la Knesset, ce qui ne se produira pas, pour la simple
raison que le Likoud et le parti travailliste ont conclu un pacte, aux
termes duquel ils s’opposent au retrait du Golan et du Sud libanais.”
PAS D’ÉTAT PALESTINIEN
- Y a-t-il une possibilité de créer l’Etat palestinien?
“En vertu du pacte écrit signé entre le Likoud et le
parti travailliste, la bande de Gaza et la Cisjordanie font partie intégrante
de l’Etat hébreu. Aussi, utilisent-ils le terme “redéploiement”
et non évacuation de leurs forces. De plus, ils tiennent à
exercer leur contrôle sur le port et l’aéroport de Ghaza,
parce que situés à l’intérieur du territoire israélien.
Même les importations et exportations palestiniennes doivent être
supervisées par les organismes israéliens qualifiés.
“L’entrée et la sortie des zones placées sous le régime
d’autonomie sont soumises à une autorisation israélienne
et le chef de l’Autorité palestinienne est tenu d’aviser les responsables
israéliens avant d’effectuer ses déplacements à bord
de son avion personnel. S’il se trouve en dehors des zones mentionnées,
il ne peut y retourner après 18 heures.
“Dans ces conditions, l’étape transitoire n’est qu’un leurre
et l’Autorité palestinienne continuera à s’exercer indéfiniment,
de la même manière, sous la souveraineté israélienne.”
PERTE DE TEMPS?
- Toutes les négociations sont-elles donc une perte de temps?
“Les pourparlers de Washington et ceux qui se dérouleront, ultérieurement,
du moins jusqu’à la fin de ce siècle, abstraction faite de
l’endroit où ils se tiendront, malgré tous les obstacles,
tourneront autour des 34 clauses restantes. Les Palestiniens qui ont signé
les accords (I et II) d’Oslo tentent, dans la mesure du possible, d’améliorer
les conditions du Pouvoir, en obtenant un plus grand nombre d’avantages
qui leur sont assurés par les accords de l’étape transitoire
concernant le port, l’aéroport, le redéploiement, la réquisition
des terres et les colonies de peuplement.
“Quant au gouvernement Netanyahu, il considère comme suffisant
ce qui a été acquis par les Palestiniens et tente de les
entraîner dans des négociations finales, autour de questions
pour lesquelles le “Likoud” est, en accord avec le parti du Travail, de
manière à ne pas s’opposer à la politique américaine.
Celle-ci s’aligne, d’ailleurs, sur la politique israélienne en ce
qui concerne le refus de l’Etat palestinien indépendant et souverain,
l’affirmation de Jérusalem en tant que capitale éternelle
d’Israël, le non-retour des réfugiés palestiniens à
leurs terres et maisons situées dans les zones d’occupation depuis
1948, le conditionnement du retour des réfugiés aux régions
relevant de l’Autorité palestinienne.
“Ainsi, si les Israéliens, appuyés par les Etats-Unis
sont unanimement en accord autour de ces questions, noyau du conflit palestino-israélien,
qui les obligerait à se rétracter? Les Palestiniens pourraient-ils
aspirer à autre chose qu’à un pouvoir autonome dans le cadre
des limites et attributions accordés par Israël? Ceci porte
à dire que la position du Likoud se renforcerait, sur le plan intérieur
et aurait pour effet de prolonger le régime d’autonomie.”
EMBARGO ÉCONOMIQUE
- Cela veut-il dire que le maximum que peuvent obtenir les Palestiniens
est le régime d’autonomie?
“Certains milieux importants du pouvoir palestinien considèrent
qu’ils tournent à vide sous le Cabinet Netanyahu. Ainsi, le maximum
qu’on puisse obtenir, est l’allègement de l’embargo économique
préjudiciable aux régions placées sous l’Autorité
palestinienne, l’autorisation à la main-d’œuvre de se déplacer
le long de la “ligne verte”, l’entrée et la sortie de la bande de
Gaza; enfin, le maintien d’un certain équilibre entre la demande
pressante d’Israël à l’Autorité palestinienne de liquider
le terrorisme représenté par l’opposition (Hamas et le Jihad
islamique, notamment), afin d’éviter cet affrontement palestinien
interne qui achèverait l’Etat et entraînerait l’intervention
jordanienne en vue d’arrêter le conflit.
“Pour cela, l’Autorité palestinienne tente d’éviter tout
heurt avec l’opposition, la mettant en garde contre les dangers des pressions
exercées par l’Etat hébreu qui, sous prétexte de réclamer
le maintien d’un état de sécurité dans les régions
de l’autonomie palestinienne, vise à provoquer un conflit inter-palestinien.”
ATTEINTE À LA DÉMOCRATIE ET AUX
DROITS DE L’HOMME
- Quelle est l’attitude de l’Opposition palestinienne à l’égard
de tout cela?
“Ceci explique les déclarations répétées
des chefs de l’oppositon palestinienne selon lesquels les forces
d’occupation israéliennes constituent le danger à combattre.
Partant de cette idée, l’Opposition adopte une attitude tolérante,
malgré les mesures de répression pratiquées par l’Autorité
et le dispositif de sécurité mis en place qui transgressent
les valeurs démocratiques et les droits de l’homme.
“La population, elle, souffre du chômage, de la cherté
de vie, de la pauvreté et de la famine, alors que les responsables
de l’Autorité pratiquent le gaspillage. Les aides américano-européennes
ne bénéficient qu’aux régions contrôlées,
par l’Autorité, celles-ci étant transformées en eden,
leurs habitants jouissant d’un niveau de vie supérieur.
“Devant cet état de chose, l’Opposition freine le mouvement
des masses, considérant que la lutte doit être dirigée
contre l’ennemi israélien et rend, de ce fait, un grand service
à l’Autorité.”
- Y a-t-il des éclaircissements à donner au sujet des
accords d’Oslo?
“Les accords d’Oslo ne mettront pas fin à la question palestinienne,
ni au conflit arabo-sioniste et ne favoriseront pas la paix. Aucun des
protagonistes n’admettra l’échec de ces accords ou n’y renoncera.
Nous resterons toujours au stade des négociations et il y aura des
litiges à régler au cours des étapes ultérieures.
De là, une question s’impose à tous les défenseurs
de la cause palestinienne: “Que faire”?. La réponse doit être
palestino-arabe, afin que la Palestine retrouve son contexte national”.
- Est-il possible d’engager un dialogue fructueux entre l’Opposition
et l’Autorité?
“L’idée exprimée par le secrétariat général
du Congrès national arabe à l’issue des réunions du
1/11/1997, constitue un prélude à la recherche d’une solution.
Elle suggère la tenue d’un congrès politico-scientifique
réunissant des penseurs et des politiciens pour débattre
de l’avenir du conflit arabo-sioniste.
“Cela aboutirait à l’élaboration d’une stratégie
arabe globale, partant du principe que les droits d’une nation et de ses
générations sont stables et ne peuvent être manipulés
par un commandement ou une génération.”