VISE-T-IL À OCCULTER LES DIVERGENCES DU POUVOIR?
PAR LE PLAN DE REDRESSEMENT ÉCONOMIQUE, HARIRI CHERCHE À OBTENIR D'UNE MAIN CE QU'IL A PERDU DE L'AUTRE

 
 
Le président Hraoui.
 
 
Nabih Berri.
 
 
Michel Murr.
 
 
Fouad Sanioura.
 
 
Le “plan du milliard”, dont le montant a été réduit à 800 millions de dollars, lié à des projets de développement à réaliser dans les régions déshéritées, a été supplanté par un autre plan prévoyant un emprunt de deux milliards de dollars, sans être lié à aucun projet, son but étant, uniquement, de soutenir le budget général et de veiller à maintenir son déficit en-deçà de 37 pour cent.

Le premier plan avait reposé sur des impôts et des taxes (ou surtaxes) et, le second, sur des prêts à des conditions prétendûment avantageuses! Naturellement, s’il existe des parties disposées à les octroyer à longs termes... A ce moment, les comptes y seront et les gens du Pouvoir auront la possibilité de réaliser leurs projets. Ils prélèveraient sur le montant global de ce prêt, la somme de 380.000 dollars, à déposer dans une banque où elle doublerait avec les intérêts après trente ans, par rapport au prêt dans sa totalité, soit deux milliards de dollars.
Le reste du montant serait placé à la Banque du Liban, ses intérêts devant servir à réduire la proportion du déficit budgétaire.
Ceci du point de vue théorique. Sur le plan pratique, aucun expert ne s’est abstenu d’émettre des craintes face à cette initiative, en tête desquels des éléments versés dans les questions financières et économiques, plusieurs d’entre eux siégeant à l’Assemblée nationale, entre autres: le président Salim Hoss, MM. Sleiman Frangié, ministre de la Santé; Nassib Lahoud, Issam Farès, Zaher el-Khatib, Gebrane Tok, Moustapha Saad, sans oublier bon nombre d’experts ne faisant pas partie de la législature.
Ceux-ci ont unanimement abouti à la conclusion suivante: ce prêt (de 2 milliards) hypothèquera le Liban à l’étranger à plus ou moins brève échéance.
Le président Hoss y a relevé des positivismes et, également, des risques. “Si, demande-t-il, la parité de la monnaie nationale venait à baisser, comment les générations futures pourraient-elles y faire face?”

NÉGATIVISMES
D’autre part, il a ramené les négativismes à trois faits: Primo, l’endettement en devises étrangères, constituera un poids supplémentaire sur ces générations, surtout si ces devises venaient à suivre une courbe ascendante. Secundo, l’endettement en monnaies étrangères pourrait accroître les liquidités sur le marché intérieur, au moins à égalité avec le déficit budgétaire. Ceci est un phénomène inflationniste qu’il faut éviter à tout prix, car il menace de favoriser la “dollarisation” au sein de l’économie nationale. Tertio, l’Etat serait amené à supporter des taux d’intérêt élevés, ces derniers ayant tendance à gonfler proportionnellement l’accroissement de la dette extérieure. Ce qui éliminera, ne serait-ce que partiellement, l’effet positif, consistant en la réalisation d’économies dans le service de la dette, celles-ci résultant de la différence entre les taux d’intérêt sur les monnaies étrangères et la livre libanaise.
Alors que MM. Frangié et Tok estiment que cet emprunt hypothèquera le Liban vis-à-vis de l’étranger, M. Lahoud soutient que “l’endettement en devises étrangères n’est nullement la planche de salut”. Aussi, demande-t-il aux responsables d’y renoncer et au Conseil des ministres, “de siéger d’urgence, aux fins d’élaborer un plan de sauvetage complet.”
Expliquant, du point de vue économique, le mécanisme de l’endettement, le député du Metn précise que l’Etat ne percevra que 430 millions de dollars sur le prêt du milliard. Et ce, dans le cadre de l’emploi des bons du Trésor en monnaies étrangères, dont l’intérêt est retranché à l’avance, ce qu’on désigne sous l’appellation “Zéro Coupon”. Ainsi, l’Etat aura à acquitter l’intérêt du milliard de dollars dans sa totalité durant dix ans (terme du prêt) fixé à 7%; soit près de 70 millions de dollars ou 700 millions en dix annuités.
Cela signifie que l’intérêt effectif atteindra 10%. Il en arrive à soutenir qu’il existe une grande différence entre un prêt contracté en livres libanaises et un autre en monnaies étrangères, le dernier comportant beaucoup plus de risques que le premier, le plus dangereux résidant dans notre incapacité de contrôler la parité des monnaies étrangères.

ACQUITTER LES DETTES PAR D’AUTRES DETTES?
De plus, en cas de hausse des monnaies étrangères, la dette qui nous incombe s’alourdit. On peut en déduire, d’une manière scientifique, que l’économie qu’on en attend n’excèderait pas un pour cent du déficit, ce qui ne mérite pas toute cette aventure...
Quant à M. Issam Farès, député du Akkar, il a dit: “La controverse autour de “l’identité” des dettes est un non-sens. Car les dettes sont des dettes et ne peuvent être remboursées par d’autres dettes. L’endettement à l’extérieur vaut au pays des surcharges dangereuses à l’avenir, d’autant que le gouvernement insinuait, précédemment, qu’il n’y avait rien à craindre, parce que la majorité de la dette est intérieure, la dette extérieure étant dérisoire. Aujourd’hui, il remplace la dette intérieure par la dette extérieure. Le citoyen devient perplexe, ignorant dans quelle politique financière il doit avoir confiance.”
Et d’ajouter: “Le problème réside dans la mentalité ayant mené la situation économique là où elle a abouti. On cherche donc à gérer la crise économique à tout prix, alors qu’on devrait la régler au moindre prix.”

SAAD: LA TROÏKA RESPONSABLE...
De son côté, M. Moustapha Saad estime que “les rencontres présidentielles - celles de la troïka -  qui se déroulent dans le cadre des recherches visant à résoudre la crise économico-financière dans laquelle le Liban se débat, ont pour but, semble-t-il, d’anesthésier les citoyens et, aussi, d’ajourner les solutions à leurs problèmes. De fait, ces rencontres ont lieu en dehors des institutions constitutionnelles concernées par ces dossiers. Peut-on ne pas admettre que les  présidents eux-mêmes sont responsables de la situation si peu enviable dont pâtissent les citoyens?”, conclut le député du Liban-Sud.
M. Zaher el-Khatib, député du Chouf, pense que “l’endettement selon le système “Zéro Coupon” augmentera la dette publique et, partant, le déficit budgétaire.”
Les trois présidents s’étaient concertés, à ce sujet, à la faveur de rencontres-marathons auxquelles ont participé certains ministres et députés: MM. Yassine Jaber, Fouad Sanioura, Mohamed Abdel-Hamid Beydoun, Anouar el-Khalil, Khalil Hraoui, ainsi qu’un certain nombre d’experts.
Ceux-ci ont préconisé, en définitive, trois mécanismes pour résoudre la crise:
1) des projets de lois que le gouvernement transmettrait à la Chambre, visant à réduire les dépenses, à réorganiser la perception des impôts et taxes et à accroître les recettes du Trésor.
2) des propositions suggérant des modifications à la loi de finances, ce qui est du ressort de la commission parlementaire des Finances et du Budget.
3) Elaborer de nouvelles structures étatiques, tâche incombant au ministère de la Réforme administrative et aux organismes de contrôle.
Tous ces projets seraient transmis aux instances qualifiées pour étude.

VAGUE D’INDIGNATION POPULAIRE ET PARLEMENTAIRE
Il est apparu, par la suite, que le gouvernement cherche à contourner la difficulté. En effet, ce qu’il n’a pu obtenir en novembre dernier à travers le “plan des 800 millions de dollars”, et le relèvement du prix de l’essence (de 5.000 livres les vingt litres), il s’emploie à l’avoir d’une manière détournée.
Ceci a eu pour conséquence de susciter une vague d’indignation au double plan parlementaire et populaire, car les charges sous lesquelles ploieraient les citoyens, si le nouveau plan venait à être adopté, dépasseraient de loin celles initialement prévues par le “plan des 800 millions”.
Une source parlementaire émet ces réflexions: “Les divers blocs de l’Assemblée ont détecté la tactique suivie par le “plan présidentiel” et le président Berri s’est empressé de dire que “l’important est dans l’application de ce plan”, comme s’il pressentait, à l’avance, les obstacles auxquels il se trouvera en butte”.
Le chef du gouvernement, Rafic Hariri, a eu vent du mécontentement ayant affecté son propre camp - celui des membres du gouvernement - c’est ce qui l’a amené à ajourner, mercredi dernier, la séance hebdomadaire du Conseil des ministres. Ainsi, il s’est donné le temps de convaincre les ministres récalcitrants de la validité du plan. M. Hariri entreprenait, aussitôt, une campagne pour prouver que l’endettement en dollars sera bénéfique, en ce sens qu’il accroîtra les liquidités sur le marché local. Le Premier ministre soutient que le taux sur les prêts en monnaies étrangères sont plus avantageux pour une double raison: ils sont accordés à long terme et le taux d’intérêt est plus bas que celui exigé pour les prêts intérieurs...

DETTE EXTÉRIEURE EN HAUSSE
A ce propos, les milieux fiables, indiquent que la dette extérieure a augmenté au cours des dix premiers mois de l’année courante, de 542 millions de dollars, soit dans une proportion de 30,6%; elle s’est élevée à 2,311 milliards de dollars, fin octobre dernier.
En contrepartie, la dette intérieure est passée de 11,01 milliards de dollars à la fin de l’année écoulée, à 12,02 milliards en octobre 97, ceci ayant résulté de la tendance à recourir aux prêts extérieurs.
En chiffres, on peut dire que si la moyenne du taux de la dette intérieure est de 16% par an, la moyenne du taux d’intérêt de la dette extérieure se situant autour de 8%, soit la moitié du coût de la dette.
M. Fouad Sanioura, ministre d’Etat pour les affaires financières, a été chargé d’établir une étude comparative, destinée à mettre en relief les avantages de la politique d’endettement extérieur, mais l’opposition a déjà tiré les conséquences d’une telle politique qui ne prend pas en considération les problèmes se posant aux citoyens dans leur vie quotidienne, puisqu’elle donne la priorité à la crise financière.
Il y a lieu de signaler que le vice-président du Conseil, Michel Murr a dit, lundi dernier, à l’issue d’une entrevue avec le chef du gouvernement (à son retour de Damas); que “le plan de redressement économico-financier, est un accord politique  et financier entre les trois présidents, preuve en est, qu’il a eu des retombées positives sur le marché local”.
Mais M. Murr n’a pas dit que ce plan exige un long temps pour être mis à exécution, comme l’a reconnu M. Sanioura, en soulignant que “c’est un plan de longue haleine ne pouvant être concrétisé dans un bref délai”.

CAMOUFLER LES DIVERGENCES INTER-PRÉSIDENTIELLES?
En fait et d’après ce qu’en pensent des milieux renseignés, le “plan de redressement“ tend à camoufler les divergences inter-présidentielles qui avaient mis en danger les fonds de réserve de la Banque centrale qui a dû intervenir à plusieurs reprises en quelques semaines, à l’effet de stabiliser la parité de la monnaie nationale. La partie syrienne a dû presser les pôles du Pouvoir de mettre une sourdine à leurs différends, pour faire face à une conjoncture régionale peu rassurante.
Tout compte fait et ainsi que le souligne, à juste raison, le président Hoss, il importe de traiter le déficit budgétaire, en améliorant la perception des impôts et taxes, en mettant fin au gaspillage et en optant pour une politique d’austérité.
Le gouvernement qui a suivi une politique diamétralement opposée à cette tendance, est-il disposé à renverser la vapeur? Il s’agit, en définitive, d’une question de confiance.



Home
Home