DU 6 AU 12 DÉCEMBRE L'ABBÉ PIERRE AU LIBAN
"MES AMIS! AU SECOURS!"

L’abbé Pierre et 35 représentants régionaux d’“Emmaüs Interna-tional” ont choisi le Liban, cette année, pour y tenir leur Commission administrative du 6 au 12 décembre 1997.
Leur arrivée est prévue ce week-end. Les compagnons de l’abbé Pierre et les délégués viennent des cinq continents.
L’Abbé Pierre est lauréat du prix “Humanité - paix - fraternité entre les peuples - 1991”.
 
 

“UNE FEMME VIENT DE MOURIR GELÉE CETTE NUIT...”
C’est le 1er février 1954, que l’abbé Pierre s’est imposé dans les studios de Radio Luxembourg au cours du bulletin d’information pour lire d’un trait à 13h10mn:
“Mes amis! Au secours! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures sur le trottoir du boulevard Sebastopol, serrant sur elle le papier par lequel avant-hier on l’avait expulsée (...) Il nous faut pour ce soir et au plus tard pour demain, 5000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques. Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie.”
Dans les minutes qui suivent, le standard de Radio Luxembourg explose; c’est le début du premier mouvement de solidarité en France, celui qui restera le plus spectaculaire et le plus efficace.
A vrai dire, l’appel avait été lancé cinq minutes plus tôt sur la radio française, lu par le rédacteur en chef au cours du “Journal parlé.” Il avait eu peu d’impact. Il fait particulièrement froid en France cette année - là.
Depuis le début de l’hiver, les Compagnons d’Emmaüs regroupés depuis 1949 autour de l’ancien député MRP Henri Grouès, connu dans la Résistance comme l’abbé Pierre, mesurent leur impuissance. Jour après jour, les journaux décomptent les morts de froid. L’abbé Pierre qui fut aumônier du Vercors, compagnon de la Libération, député de Meurthe-et-Moselle, lance en vain un appel aux autorités de l’Etat pour la construction des cités d’urgence. Les journaux, bien sûr, parlent de l’action d’Emmaüs. Mais les Français ne sont pas galvanisés. Ils ne seront vraiment électrisés, enthousiasmés que par l’appel poignant, le cri du cœur de l’abbé Pierre.

L’ABBÉ PIERRE DÉFIE LA PAUVRETÉ
La patronne de l’hôtel Rochester, près de l’Etoile, met à la disposition des sans-abri, les chambres libres de son hôtel 3 étoiles. Mais ce n’est pas assez.
A 13h30, c’est-à-dire 20 minutes après l’appel, il y a queue à l’hôtel Rochester. A 14h la rue de la Boétie est fermée à la circulation et les bus sont détournés. Le caissier de l’hôtel ne sait que faire. Les gens lui apportent des vêtements, lui tendent des billets, des bijoux. Ici, aussi, le standard explose.
A 18h30, ce même jour, l’abbé Pierre lance un autre appel: “Il faut assurer toutes les nuits le ramassage des sans - abri... Rendez-vous à 23 heures devant la tente de la montagne Sainte-Geneviève...”
A l’heure dite, des centaines de personnes affluent dans le froid au point de ralliement des Compagnons d’Emmaüs. C’est là que le mythe naît sous les flashes des photographes de presse: une silhouette qu’enveloppe une cape noire, jetée sur un blouson couvert de décorations et qui se tient debout sur un petit mur au pied du Panthéon pour haranguer la foule. 500 véhicules du vélo à la Buick, partent au secours des naufragés de la ville.
La police qui raflait auparavant les vagabonds obéit, maintenant, au mot d’ordre national. Dans les commissariats, on distribue grogs et cafés.
L’abbé Pierre lance un nouvel appel aux personnes disposant de locaux inoccupés pour loger des milliers de sans-abri, des travailleurs aux revenus modestes, victimes de la crise du logement. “Alors que des enfants sont morts parce que leurs parents étaient sans logis, la mauvaise utilisation ou la non utilisation des locaux est criminelle.”
L’opération “Débarras” est lancée et connaît l’adhésion populaire. On débarrasse les chambres de bonnes afin de faire place aux sans-abri et on récupère la brocante. 350 chambres de bonnes sont offertes, mais il y a encore des milliers de personnes à placer.

LE ROBIN DES BOIS DES FRANÇAIS
Né le 5 août 1912 à Lyon, Henri Grouès dit l’abbé Pierre a toujours été un frondeur. Entré chez les Capucins, il lutte comme résistant avec les “Français Libres” sous le nom de l’abbé Pierre qui lui restera.
Il écrit lui-même dans “Testament” paru chez Bayard:
“J’ai été l’instrument d’une succession de circonstances exceptionnelles qui, mises bout à bout, ressemblent à une bande dessinée: jeunesse turbulente d’un bourgeois entré au couvent; sept ans de vie cloîtrée chez les Capucins (...) le prêtre résistant et décoré-le curé député qui accueille dans sa maison un forçat assassin et qui, avec lui, commence à bâtir pour les sans-abri”!
Pressenti par les “Verts” pour faire partie de leur liste lors des dernières législatives françaises, il a refusé leur invite disant: “Ce serait comme si un soldat désertait...”
Un aveu qu’éclaire une autre confidence faite à Mgr Gaillot et relatée dans le “Testament”. L’évêque d’Evreux s’interrogeait sur la liberté que l’Eglise laisse au fondateur d’Emmaüs, alors que “moi dès que je dis un mot, on me tape dessus.”
Réponse bien sentie de l’abbé Pierre, fondateur d’Emmaüs: “Premièrement je ne suis pas évêque. Deuxièmement, je crois que le bon Dieu m’a donné une espèce d’instinct de l’insolence mesurée. Je sens jusqu’à quel point je peux gueuler. Au-delà, je me ferais plaisir, mais ça ne serait pas efficace, parce que ceux à qui je m’adresse ne sont pas prêts à entendre plus”.
C’est cet homme inclassable, audacieux, justicier, ayant pris le parti des SDF, du pauvre, de l’orphelin qui sera au Liban du 6 au 12 décembre. Puisse sa présence réveiller les consciences libanaises souvent égoïstes, oublieuses des problèmes d’autrui, les sensibiliser à ceux qui appellent “Aux Secours”.
Puisse, enfin, sa visite au Liban contribuer à une nouvelle solidarité!

MARY YAZBEK AZOURY

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