EN NOTRE ÂME ET CONSCIENCE |
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Depuis
qu’un soir, avec ses couettes blondes et ses grands yeux innocents, elle
est entrée, à travers les caméras de la télévision,
dans chacun de nos foyers, Nathalie Debbas n’est plus qu’un nom dans les
colonnes d’un journal ou sur les lèvres d’un speaker du petit écran.
Le plus bouleversant dans ce drame n’est pas seulement la vision insou-tenable
de cette enfant - presque un bébé - livrée sans défense
à un animal répugnant c’est, surtout, son absence d’un débat
dont pourtant elle est le centre. On l’a tout simplement oubliée.
Elle n’apparaît plus que comme une abstraction, un sujet de polémique,
un simple argument dont se servent des manipulateurs au service de leurs
thèses et de leurs intérêts.
Je n’ai pas vu de larmes dans les yeux qui fixaient les caméras. Je n’ai pas observé ce genre de mutisme qui traduit la douleur mieux que les cris ou les sanglots. Je n’ai entendu que des rumeurs fantaisistes, certaines malveillantes, d’autres stupides, la plupart mensongères. N’existe-t-il plus la moindre décence dans ce pays? Il ne viendra évidemment à l’idée de personne de prétendre que l’opinion publique aurait dû, par pudeur, faire le silence sur cette tragédie, ni demeurer indifférente devant un crime aussi abominable. L’indignation et la colère qui ont soulevé toutes les couches de la société, n’étaient que des réactions, somme toute, naturelles et légitimes. Même si chaque Libanais s’est auto-transformé, d’un seul coup, en partie, juge et justicier à la fois. Mais doit-on pour autant pointer un doigt accusateur vers tout ce qui bouge? Faut-il condamner le père sur la base de simples présomptions? Peut-on rendre l’école responsable, comme la mère de la petite Nathalie s’est complue à le faire, sans le moindre discernement et sans réflexion, au cours d’une interview télévisée? Ce qui vicie l’atmosphère et ajoute à la confusion générale, c’est en grande partie les rapports médicaux contradictoires établis, le premier par le pédiatre et le gynécologue de l’hôpital Saint-Charles (où la petite avait été transportée); le second à la demande de la famille, à l’hôpital Rizk. D’après les médecins de St Charles, les sévices sexuels - à plusieurs reprises - remontent à un certain temps. Pour ceux de l’hôpital Rizk, le viol ne remontait, au plus tard, qu’à 24 heures avant la mort. Partant de là, où l’enfant s’était-elle trouvée durant ces 24 dernières heures? A la maison; puis, à l’école. A l’école, plusieurs témoins affirment qu’elle avait assisté, fraîche et dispose, au cours de cathéchèse, comme en témoigne un film sur cassette vidéo pris à cette occasion. Cela se passait entre 10h45 et 12 heures. A 12h05, elle s’évanouissait et mourait en quelques minutes. Ces cinq minutes ont-elles suffi au violeur? Et où le viol a-t-il pu avoir lieu? Qui a eu l’occasion et le temps de commettre un tel forfait sans que personne n’en sache rien? Question pour le moins troublante. Plus troublant, encore, l’écran de fumée qui semble se déployer pour brouiller toutes les pistes. Car non seulement cette atmosphère nébuleuse complique le travail des magistrats instructeurs, mais ce qui est encore plus grave, cela développe chez les gens, livrés aux suppositions et aux rumeurs les plus alarmistes, une dangereuse psychose d’hystérie collective qui risque de se transformer rapidement en un monstrueux phénomène de société. Le bestial individu, capable de ce genre d’infâmie, doit être démasqé rapidement et sa culpabilité prouvée sans l’ombre d’un doute. Reste à savoir, alors, s’il sera châtié avec toute la rigueur qu’il mérite. On peut, hélas! en douter. Car sur le chapitre des crimes sexuels et même de pédophilie, les lois libanaises sont scandaleuse-ment permissives. On a vu des violeurs et des pédophiles s’en tirer, après quelques petites années de détention, libres de continuer à se livrer à leur sport favori. En effet, il a été prouvé que les pervers sexuels sont à 90% des récividistes ou des candidats à la récidive, comme en témoignent les études et les statistiques établies partout en Europe et en Amérique. Il faut, absolument, par des lois adéquates, mettre ces bêtes malfaisantes hors d’état de nuire. La petite Nathalie qui a été confrontée à l’horreur avant de perdre sa première dent de lait, la petite Nathalie qui ne sera pas là à son prochain anniversaire, qui ne montera jamais sur l’estrade pour recevoir son diplôme universitaire, la petite Nathalie qu’on ne verra pas un jour en robe de mariée, cette petite est un peu notre fille à nous aussi. Elle a des droits sur nous. Personne ne peut jouer les Ponce Pilate et s’en laver les mains. Nous portons tous Nathalie en notre âme et conscience. Ce dont elle a été victime n’est pas seulement l’affaire de la justice. C’est l’affaire de toutes les mères, de toutes les femmes du Liban. |
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