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LA GRANDE PEUR DES BIEN-PENSANTS |
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Le
titre est de Georges Bernanos; il exprime en peu de mots les réactions
d’une classe qui, depuis l’antiquité, a toujours eu bonne conscience
de son rôle à tous les niveaux. Rien ne l’atteindra de ce
brouil-lamini d’erreurs, d’abus et de violences accablantes qui sévissent
dans les sociétés contemporaines. Un pays a, certes, l’intelligentsia
qu’il mérite. A ce stade, le Liban est privilégié.
N’est-elle pas, en effet, le témoin qui ne le trompe jamais, réflétant
à chaque moment son génie créateur? Arrêtons-nous
donc de nous en prendre à cette élite dont l’existence seule
devrait nous aider à ne pas perdre courage. Le jour où nous
cesserons d’être un peuple de politiciens combinards et de buveurs
d’apéritifs, nous serons dignes de ce pays.
Bons maîtres à penser ou mauvais maîtres, car il en est de toutes les familles spirituelles, ils attestent que la fécondité de l’esprit n’est pas tarie encore, car rien ne prévaut contre les bienfaits que doit à cette élite le Liban entier, de prendre enfin conscience de ce qu’elle est, de ce qu’elle continue d’être. Mais, halte là! Si les intellectuels libanais n’ont actuellement aucun pouvoir sur la masse, ils tiennent au peuple par de profondes racines. D’autant que chez nous, la séparation fut toujours très marquée entre l’intellectuel et le politique. Pour d’aucuns, se mêler de politique, c’est se battre à propos de principes abstraits dont nos dirigeants interchangeables se sont toujours moqués comme de leurs portefeuilles. A quelques exceptions près, il n’y a jamais eu au Liban de communication entre les intellectuels et les politiques, bien que nos honorables représentants fussent loin d’être des illetrés. La véracité, la sincérité envers soi-même, ce qu’il y a de plus contraignant en politique, voilà aujourd’hui le vrai test pour reconnaître un authentique intellectuel. Ne croyons pas les fourbes et les envieux qui prétendent exiger des intellectuels un moralisme de confection; ne soyons pas les complices d’une politicardie qui, dans le grand désordre régnant, cherche à nous persuader qu’elle est indispensable à tous les égards. Après comme avant le marasme, les intellectuels, toute modestie mise à part, resteront les mentors incontournables, alors que les arrivistes de la dernière heure, nous induisent en erreur. Au Liban comme ailleurs, les intellectuels ont toujours codifié
objectivement les idées de l’époque, affirmant comme but
principal, l’égalité entre les hommes et la quête du
bonheur collectif, luttant contre les abus, œuvrant en faveur de l’Etat
de droit, celui garantissant les libertés publiques et le respect
des lois qui sont faites pour aider la raison, soutenir la liberté
et jamais pour notre avilissement et notre malheur. C’est à eux
qu’il incombe de transformer la société et d’inter-préter
ses soucis. Que penseraient les grands hommes qui ont été
à la tête des peuples les plus célèbres de l’histoire
antique et contemporaine, que penseraient Platon, Aristote, Ciceron et
tous les philosophes qui ont traité de politique, s’ils nous entendaient
dire qu’un Etat ne peut être heureux et florissant s’il ne fait pas
de bonnes affaires? Pour lequel, le lucratif est le nerf principal, l’arme
de toute politique, puissance supé-rieure à toutes les puissances,
raison supérieure à toutes les raisons?
N’est-il pas devenu somnolent d’écouter le discours politique
tout le long des débats monotones et fastidieux au sérail
comme à l’Assemblée nationale?
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![]() “Privé de parole, le bon peuple pour ignorant qu’il soit, sait bien qu’il existe une élite qui, malgré toutes les entraves et les défis, œuvre en sa faveur, prête à l’assister à tout moment.” Charles Corm
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