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L’ÉTRANGE COMMÉMORATION 
 
Il y a cinquante ans, le 29 novembre 1947, l’assemblée générale des Nations Unies votait la résolution 181, mettant fin au mandat britannique sur la Palestine et partageant ce pays en deux Etats: Palestine arabe et Israël. Le premier n’a pas encore vu le jour. Le second fêtera le 15 mai prochain (date du retrait britannique de la Palestine) son cinquantenaire. Mais cet Etat n’est pas, aujourd’hui, celui que l’ONU octroyait aux juifs; en cinquante ans et à la faveur de plusieurs guerres, il s’est agrandi. Et jusqu’à ce jour, il se refuse encore à se fixer des frontières définitives. Son territoire actuel est le résultat de conquêtes militaires. Il n’est pas conforme au plan de la résolution 181. De même, il repousse, systématiquement, toutes les résolutions votées par l’ONU depuis 1947.
L’étrange est que cet Etat, proclamé officiellement le 15 mai 1948, a commémoré ce 29 novembre 1997, modestement certes mais tout de même, officiellement, par une réception au ministère des Affaires étrangères et par une fête populaire à la mairie de Tel-Aviv, le cinquantenaire d’une résolution que les partis de la coalition gouvernementale actuelle avaient refusé en 1947 (traitant de “munichois” M. Ben Gourion qui l’acceptait). Israël n’a jamais reconnu cette résolution comme étant à l’origine de sa création. Mieux encore: cette résolution 181, dont Israël commémore maintenant le cinquantenaire, prévoyait aux côtés de l’Etat hébreu, un Etat palestinien que le gouvernement Netanyahu refuse catégoriquement et une administration internationale pour Jérusalem et Bethléem dont Israël ne veut plus entendre parler.
Alors, qu’a-t-il commémoré, exactement, ce 29 novembre? Une résolution vidée de toute signification comme pour narguer les puissances qui l’avaient votée et les Palestiniens qui l’avaient rejetée?
Et bientôt, célèbrera-t-il, aussi, la résolution de l’ONU qui condamne l’annexion de Jérusalem?
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A l’occasion de ce cinquantenaire, une question vient tout de suite à l’esprit: à voir où en est aujourd’hui l’application des accords d’Oslo et le processus de paix en général, est-ce que les Palestiniens n’auraient pas mieux fait, en 1947, d’accepter la résolution 181 et de créer aussitôt leur propre Etat à l’exemple des juifs?
Les choses n’étaient pas si simples.
D’une part, la population palestinienne à l’époque n’était pas psychologiquement préparée à se voir dépouillée d’une partie de son territoire; elle espérait encore conserver une patrie unifiée où les juifs auraient trouvé une place de communauté minoritaire. La grande illusion.
D’autre part, qui pouvait, à ce moment-là, représenter, valablement, cette population et parler en son nom? La Ligue arabe s’était saisie du problème et, à l’égard des Palestiniens, une lutte d’influence sans concession se développait entre l’Egypte et la Transjordanie du roi Abdallah.
Le souverain hachémite, en pleine négociation avec l’Agence juive, espérait parvenir à un arrangement pour créer un royaume dont le noyau aurait été  formé par l’union de la Transjordanie et de la Palestine pour absorber, ensuite, la Syrie, le Liban et sans doute l’Irak; en somme le rêve du roi Fayçal, son frère et de Noury Saïd, avec une autonomie pour les juifs. Tout en poursuivant la négociation, Ben Gourion estimait alors qu’un Etat palestinien en Cisjordanie “serait moins dangereux que l’annexion de ce territoire par la Transjordanie et peut-être plus tard par l’Irak.” Pendant ce temps, sur le terrain, les actions terroristes de l’Irgoun de M. Menahim Begin et du groupe Stern poussaient les Palestiniens à la fuite et créaient des “faits accomplis”, bouchant ainsi toute perspective de paix.
Face aux ambitions du roi Abdallah, le grand mufti de Jérusalem, Hajj Amine El-Husseyni, réfugié au Caire, formait un gouvernement provisoire, siégeant en théorie à Gaza que venaient d’occuper les Egyptiens. Le souverain hachémite lui opposait aussitôt une assemblée de notables palestiniens pour contester sa légitimité.
Sur ce jeu de puissances se greffaient déjà des affrontements armés et l’entrée en guerre effective des armées arabes. Ce fut un véritable enchaînement d’occasions râtées et de fatalités dont on n’est pas encore sorti.
Dès lors, la question de savoir si, en 1947, les Palestiniens n’auraient pas mieux fait d’accepter ce qu’aujourd’hui ils réclament en vain (et au rabais) devient parfaitement inepte.

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Mais puisqu’on en est aux évocations, il n’est pas inutile de rappeler ce qu’était la position idéologique des dirigeants juifs de 1947 et de la comparer à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. On peut méditer, à ce sujet, sur trois textes:
1- La proclamation, le 15 mai 1948, de l’Etat d’Israël. Ben Gourion y promet “un Etat fondé sur la liberté, la justice, la paix... la complète égalité des droits politiques et sociaux à tous les habitants quels que soient leurs religion, conscience, langue, éducation et culture... la sauvegarde de tous les lieux saints... la fidélité aux principes de la Charte des Nations Unies ...une représentation proportionnelle de tous les citoyens au sein de l’Etat...”
Mais, en même temps, il annonce “un Etat ouvert à l’immigration juive” sans limite, ce qui signifiera très vite l’expulsion des Arabes, la confiscation de leurs terres, la négation, en définitive, du précédent appel à la cohabitation. Quant à la “fidélité aux principes de l’ONU”, on sait ce qu’il en est aujourd’hui...
2- Après l’assassinat de Bernadotte et à la veille d’une session de l’ONU qui doit examiner la candidature du nouvel Etat, Ben Gourion, délibérant avec ses ministres sur diverses alternatives (rupture de la trêve militaire ou action diplomatique) conclut en ces termes: “Si nous avions la possibilité d’avoir le minimum par un accord avec les Arabes, je le ferais, car je crains la militarisation de la jeunesse dans notre pays. Je la vois déjà dans l’âme des enfants. Je n’ai pas rêvé d’un tel peuple et je n’en veux pas.”
Cinquante ans après, c’est bien ce peuple que nous voyons.
3- Enfin, un témoignage d’Yitzhak Rabin. En juillet 48, l’armée juive attaque Lydda et Ramleh et expulse 50.000 habitants forcés de faire 20 kilomètres à pied dans le désert; beaucoup y succomberont. “Les militaires qui ont participé à cette action, ont grandement souffert, écrit Rabin. La brigade qui a effectué l’opération, comprenait des soldats qui venaient des mouvements de jeunesse où on leur avait inculqué des valeurs de fraternité internationale et d’humanisme. L’expulsion allait au-delà des concepts auxquels ils étaient habitués.”
Depuis, que de chemin parcouru! Les soldats de M. Netanyahu qui dynamitent des maisons ou bombardent Cana ne se font pas plus de scrupules qu’un général, Ariel Sharon, qui supervise le massacre de Sabra et Chatila.
Tel est l’Etat militarisé dont Ben Gourion ne voulait pas mais qu’il a bien contribué à bâtir. 

 
 
 

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