Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

TOUT EST SONGE ET MENSONGE *

Alors que partout ailleurs, dans toutes les civilisations et toutes les religions, mentir est considéré comme un acte immoral, chez nous, le mensonge est l’un des beaux - arts, un symbole de virilité. Le proverbe libanais ne dit-il pas “le mensonge est le sel des hommes”? Et les machos, dans ce pays machiste jusqu’à la caricature, sont légion et, plus particu-lièrement, au pouvoir.
Ces messieurs ne prennent même plus la peine de déguiser la vérité sous d’habiles tournures de phrases qui ne veulent rien dire d’ailleurs. Ils vous regardent au fond des yeux et mentent tout simplement. De gros et gras mensonges, tout ronds. Et ils se fichent pas mal de savoir si vous les croyez ou pas.
Devons-nous évoquer la cascade de scandales qui s’est abattue sur le pays, aujourd’hui relégué dans l’oubli, sous prétexte que lesdits scandales sont aux mains de la justice, laquelle justice ne s’empresse de faire déclarations et diligence que lorsqu’il s’agit de traîner Samir Geagea de prison en Cour de Justice.
Parlerons-nous du ballet psychédélique qui tourbillonne autour de la MEA? Ce qu’on en laisse filtrer n’est que la partie visible de l’iceberg. Ce serait une OPA déguisée en opération anti-corruption que ça n’étonnerait personne. A qui le crime profite, comme disent les romans policiers? Elémentaire, mon cher Watson...
Qu’en est-il des milliards volés au ministère des Finances, avec deux meurtres à la clé, depuis plus d’un an déjà, sans que ni l’argent, ni les assassins aient été retrouvés et sans que plus personne n’en sache rien, comme si l’affaire n’avait jamais existé?
Et nos dettes qui s’élèvent à 15 milliards de dollars, comment nous sommes-nous débrouillés pour accumuler une telle somme? Pour le président Hariri, ces milliards - ou du moins une grande partie d’entre eux - représentent l’héritage empoisonné que lui ont légué les gouvernements précédents. Ce que dément, chiffres à l’appui, un Salim Hoss, pratiquement, fou de rage. D’un autre côté, le président Gemayel, interviewé par notre consœur Maguy Farah sur MTV, en direct de Paris, affirme que lorsqu’il a quitté le pouvoir (Salim Hoss était alors Premier ministre), la dette - intérieure et extérieure - du Liban s’élevait à 800 millions de dollars. Personne ne lui a opposé le moindre démenti. Nous sommes bien loin des 15 milliards sous lesquels nous croulons à l’heure actuelle.
Sans être un génie mathématique comme seul sait l’être M. Fouad Sanioura, nous savons quand même faire une soustraction et conclure que 800 millions ôtés de 15 milliards, reste 14 milliards 200 millions. Où diable sont-ils passés, alors que l’on sait que les projets réalisés ne couvrent même pas 20% de cette somme?
Autre fable dont on a commencé dernièrement à nous marteler le crâne: l’état de notre économie, l’assainissement du budget et la réforme administrative sont tributaires de l’élection présidentielle... Nous prend-on pour des imbé-ciles?
Qu’allons-nous élire en somme? Un successeur à Clinton? Un homme qui aura le doigt sur le bouton nucléaire? Le maître tout puissant de la seule super-puissance dans le monde, celui qui a le pouvoir de bouleverser Etats et continents et de changer la géographie et le cours de l’Histoire de la planète? C’est tout modestement un nouveau locataire pour Baabda qui aura aussi peu de pouvoirs que le locataire actuel.
De toute façon, ce n’est pas à ce niveau (au nôtre) que se traitent les problèmes sérieux, que s’oriente la politique et que se prennent les grandes décisions. On se souvient des trois initiatives prises par le président Hraoui au cours de son mandat: quelques amendements mineurs de la Constitution, une nouvelle loi électorale et la restitution aux émigrés de leur nationalité libanaise. Bien mal lui en prit. On lui fit remarquer qu’ouvrir la bouche, même pour bailler, sans avoir été programmé pour le faire, est un crime de lèse-décideurs. Et tout rentra dans l’ordre, c’est-à-dire dans le silence.
Dernier mensonge - mais certainement pas “le” dernier - l’harmonie règne entre Kraytem et Aïn-el-Tiné qui se sont mis d’accord et blablabla... alors que le pouvoir, dans notre taëfocratie, repose sur un équilibre d’anta-gonismes que représentent, à l’heure actuelle, le PDG du Holding Liban du Sérail et le proconsul de la place de l’Etoile, mus tous les deux par télécommande. Et ils prétendent qu’ils resteront tous les deux en place jusqu’après l’an 2000.
Seigneur, faites que ce soit un mensonge de plus! 

* Alphonse de Lamartine: Secondes Harmonies.


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