COMMENT RÉACTIVER LE MARCHÉ LOCAL ET METTRE FIN AU MARASME ÉCONOMIQUE? 
Le plan de redressement nécessite des réformes radicales et urgentes
Réduire la facture sociale, opérer des réformes structurelles, diminuer le poids des dépenses publiques et retrouver une croissance saine, ces objectifs font l’unanimité, car il s’agit de relancer, rapidement, le marché intérieur.
Pourtant, les démarches à suivre suscitent encore la polémique; les uns approuvent, les autres désapprouvent.
Qu’en pensent les spécialistes?

 

 
 
 
 
DE QUOI SOUFFRE LE MARCHÉ LOCAL?
Ralentissement, essouflement, stagnation, c’est le jargon qu’utilisent les professionnels pour déterminer les maux dont souffre le marché local. Mais de quoi souffre-t-il, au juste? Leur diagnostic révèle plusieurs symptômes, dont la fermeture de certaines boutiques. Quelle en est la cause?
“Trois ou quatre ans passeront avant que la situation économique s’améliore. Elle est étroitement liée au processus de paix au Proche-Orient”, assure M. Samir Nehmé, président de l’Association des commerçants de Furn el-Chebback.
Le marasme dans lequel baigne le marché, actuellement, est dû à la concordance de deux facteurs majeurs: Primo, la pagaille qui caractérise le secteur commercial, conséquence normale de la guerre. Secundo, la crise économique provoquée par une hausse continuelle des impôts, accentuée par la politique financière menée par le gouvernement actuel, classant le Liban parmi les pays les plus chers.
“Non seulement le nombre des entreprises s’est accru, mais cet accroissement n’a été accompagné d’aucune politique règlementaire. Le Libanais a été subitement contraint à payer les taxes, explique M. Nehmé, le montant de ces taxes dépassant parfois son revenu. Ce qui se répercute sur son pouvoir d’achat”.

ÉCONOMIE ET RECONSTRUCTION
Ce point de vue, M. André Yared, ex-président de l’Association le partage. “Le malaise socio-économique, dit-il, résulte du déséquilibre entre les revenus et les dépenses. Après vingt ans de guerre, il est normal que certaines entreprises en crise financière ferment leurs portes. Mais il est inacceptable de laisser leur nombre s’accroître et rien ne laisse prévoir un changement.
“La relance du marché, ajoute Yared, nécessite une stabilité de la vie socio-économique, laquelle n’est assurée que par une économie productive. Or, la politique de reconstruction de l’Etat va dans le sens opposé, le gouvernement s’engageant dans des projets improductifs. Des sommes énormes sont dépensées sans qu’il y ait des revenus équivalents. Je ne renie pas l’importance des travaux en cours, mais il y a un ordre de priorité qu’il faut respecter”.

AUTRE SON DE CLOCHE
M. Anis Mrad, vice-président de l’Association des commerçants de Hamra, désapprouve ce raisonnement. “L’Etat, soutient-il, fait tout son possible. Sept ans auparavant, les infrastructures étaient détruites et sans elles il ne peut y avoir un relèvement. La reconstruction contribuera à la croissance des zones rurales et à la réduction de la pression sur Beyrouth. L’économie progressera au fur et à mesure que le Libanais s’habituera à un nouveau mode de vie. Il doit apprendre à assumer ses responsabilités envers son pays.”
Les experts se montrent optimistes. “La rectification du statut économique exige son maintien en état d’urgence durant trois ans”, estime Marwan Iskandar.
Comment opérer cette rectification?
“L’adoption de certaines mesures ajustant le déficit budgétaire répond à cette question, assure-t-il.
“D’ailleurs, le président de la Banque mondiale lors de sa visite au Liban en juin dernier a subordonné un prêt d’un montant d’un milliard 600 millions de dollars pour quatre ans, au règlement du déficit.”
M. Iskandar propose certaines mesures: maintien de la stabilité intérieure pour favoriser une décision ferme de redressement. A son avis, le ralentissement économique est dû en grande partie au tiraillement politique causé par la période préélectorale et la prorogation du mandat du chef de l’Etat, d’une part; les différends opposant le Premier ministre, Rafic Hariri au président de l’Assemblée, M. Nabih Berri (concernant les moyens d’assurer les fonds pour les déplacés et l’endettement en devises étrangères), d’autre part.

DÉFICIT INADMISSIBLE
“L’autorité libanaise, poursuit-il, réalise aujourd’hui que la proportion du déficit budgétaire (de 53% au lieu de 37%) est inadmissible, surtout que le déficit en 1995, 1996, 1997 a dépassé d’un tiers les prévisions.
“En outre, les indicateurs de la Banque du Liban ont enregistré une régression en septembre et octobre derniers. Cette perte de dynamisme est motivée par l’absence d’argent liquide, la hausse des taux d’intérêts sur les avances, ainsi que la limitation de celle-ci aux grandes entreprises. L’intention de créer une entreprise d’un capital de 50 milliards de livres libanaises pour financer les petites entreprises peut empêcher les“lock-out”.
Sans doute, il y a eu un retard dans l’exécution de ce projet, mais la Banque du Liban œuvre dans ce sens.
Cela, sans compter que l’action économique comptait, surtout, sur le secteur foncier. Saturés, les permis de construire ont régressé de 60%en 1995/1996 et de 30% en 1997, par rapport aux années précédentes. Mais entre-temps que faire?
Redresser, économiquement, le pays exige l’élaboration de réformes politiques. La réhabilitation du secteur commercial doit être consolidée par une politique financière souple.
“Imposer une taxe allant de 1000 dollars par an à tout commerçant, profitera au Trésor, estime Nehmé sans que cela affecte le Libanais moyen et à revenu limité”. La politique financière est, en quelque sorte, responsable de l’état actuel”.

LE “MOIS DU SHOPPING”
Par contre, le “mois du shopping” est apprécié par les commerçants. “C’est l’une des initiatives capables de revitaliser le marché”, affirme M. Yared. A part quelques fausses notes, ce “mois” a été un succès.
“Cette  année, des discussions ont été entamées avec le ministère de l’Economie et du Commerce, annonce M. Nehmé. La déclaration des soldes de 50%, trois mois à l’avance l’an dernier, a ralenti l’activité du marché qui n’a été vraiment démarré qu’en février. Les conséquences étaient désastreuses au plan des ventes.
“Cependant, les participants au mois du shopping, cette année, seront libres quant aux soldes qu’ils comptent afficher. Ceux qui désirent des escomptes (de 50%) seront amenés à informer le ministère et à présenter la liste des prix des articles concernés.
“Ces mesures sont destinées à empêcher la manipulation des prix. La non-déclaration de 50% n’influencera d’aucune façon les clients, en particulier les touristes. Ces derniers étant intéressés par les réductions des agences de voyage et des hôtels, le shopping venant en second lieu”.

POURQUOI PAS UN MARCHÉ COMMUN ARABE?
Bien que février soit réservé aux escomptes, le Libanais va en Syrie pour faire ses achats, les prix y étant moins élevés. C’est un phénomène qui s’amplifie et suscite le mécontentement des commerçants libanais.
“Le conseil économique supérieur libano-syrien s’en occupera”, espère M. Nehmé.
“En tant que commerçants libanais lésés par ce phénomène, nous demandons d’appliquer le principe de la réciprocité”.
M. Iskandar juge que la différence des prix doit forcer les commerçants libanais à réviser les leurs. “Le Liban et la Syrie, pense-t-il, sont invités à rejoindre l’OMC. La création même d’un marché arabe commun réanimera l’économie libanaise”.
Certes, des mesures protectionnistes sont à concevoir. Telle la règlementation de la main-d’œuvre étrangère, en prévoyant des taxes sur le permis de travail et les revenus, l’employeur devant faire bénéficier ses employés de la sécurité sociale”.
“En tout état de cause, dit M. Yared, accentuer le rôle de l’Etat reste le moyen le plus sûr, à condition que les mesures soient adaptées aux besoins de la société-libanaise. Comprimer les dépenses, consolider l’investissement dans des projets relatifs à la vie quotidienne s’avèrent nécessaires”.
“L’Etat Libanais n’use pas de tout son potentiel. Il faut qu’il gère ses ressources”, observe M. Iskandar. Quelques astuces seraient valables, tel d’assurer l’application de la taxe sur la mécanique dont les recettes seront de 100 millions de dollars, alors que les sommes recueillies par l’Etat ont atteint jusqu’ici 16% seulement.
“Il en est de même pour l’électricité, les recettes ne dépassant par les 35%. A ce niveau, des modifications doivent intervenir. Deux facteurs sont à prendre en considération: le coût élevé du courant au Liban et le paiement des factures, en réduisant de 20% le prix du courant, les factures devant être détaillées et non approximatives par rapport à la consommation. Les recettes pourraient totaliser quelque 120 millions de dollars”.
L’organisation de la circulation et l’implantation des métreurs pneumatiques réduisent, aussi, la perte. Imposer une taxe de 2% sur les ventes excepté les médicaments, les produits agricoles, les livres et les journaux. Une taxe qui représente au moins 120 millions de dollars par an.
Une dernière mesure à adopter: augmenter le prix de l’essence. M. Iskandar pense que le relèvement de 5000L.L. des prix de l’essence n’atteint pas les classes pauvres, car le citoyen de condition modeste utilise les moyens de transport.
Réactiver le marché à tous les niveaux est primordial.
En premier lieu, la désobéissance civile des affamés prônée par Cheikh Sobhi Toufaily risque de s’étendre si la “politique d’appauvrissement” persiste.
En second lieu, le pouvoir libanais ne peut plus tergiverser, persévérer dans la voie actuelle et subir la fureur des classes défavorisées.

(Enquête de M. A.K.)

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