ÉNUMÉRANT LES PRINCIPALES RÉALISATIONS DE SON DÉPARTEMENT
FAROUK BARBIR:“LA VIE POLITIQUE AU LIBAN N’EST PAS SAINE CAR ELLE EST SOUMISE AUX TRACTATIONS DE DIX-HUIT COMMUNAUTÉS”

 
C’est, peut-on dire, le “soldat inconnu” du Cabinet, en ce sens qu’il œuvre dans la plus grande discrétion, contrairement à ses collègues dont les activités touchent des secteurs publics en contact direct avec les citoyens, les ministères dits des services.
En fait, la tâche du ministère de l’Enseignement professionnel et technique est autant importante qu’impérieuse et délicate. Il lui faut assurer les éléments requis par le monde du travail. Aussi, a-t-il conclu des accords de coopération sur le plan de l’emploi et d’échange culturel avec l’Unesco, la France, la Syrie, la Tunisie et l’Allemagne, dans le cadre de l’enseignement, de la formation professionnelle et de la réhabilitation du corps professoral.
Sa principale préoccupation se concentre sur l’élaboration d’un plan rationnel, basé sur des statistiques sûres, afin de pouvoir répondre aux besoins du marché local de l’emploi. Il reconnaît l’incapacité de son ministère d’entreprendre une telle opération, en raison de l’insuffisance de l’élément humain mis à sa disposition.
M. Barbir répond, sans réticence, à une question touchant à un domaine éloigné du sien: à son avis, la vie politique au Liban n’est pas saine, parce qu’elle est soumise aux pressions et aux tractations de dix-huit communautés. Aussi, aspire-t-il à voir notre pays échapper à l’emprise des leaderships confessionnels, pour être transposé au plan des partis politiques disposant de programmes et de plans de travail préétablis.

Farouk Barbir à Rania el-Hachem: “Je désapprouve 
la nomination des conseillers municipaux”.

SIX PRINCIPALES RÉALISATIONS
M. Barbir énumère, d’abord, les six principales réalisations de son ministère: réhabilitation et rééquipement des écoles, refonte des programmes, élaboration d’un système pour l’enseignement combiné (deux jours à l’école et trois jours sur le marché de l’emploi), recyclage des enseignants, projet de construction de quinze écoles, accords locaux et internationaux.
En ce qui concerne la réhabilitation des établissements scolaires, le ministère a équipé 326 écoles de computers. De plus, il a été décidé en vertu d’un accord conclu avec le CDR et la Banque Mondiale, de prélever une partie du prêt consenti par cette dernière, aux fins de procéder à la restauration de l’école hôtelière de Dékouaneh et à l’agrandissement de l’école professionnelle de Tripoli.
Le ministère a mis au point le cahier des charges en vue de l’équipement des installations de Bir Hassan (mécanique, industrie, topographie) et de l’achèvement de l’équipement de l’usine mécanique de Dekouaneh. Ce dossier a été transmis au CDR, qui le communiquera au délégué du ministère français des Finances qui assurera le financement de ce projet, suivant le protocole libano-français de 1995.
Le ministère a établi, en coordination avec des experts allemands, le cahier des charges pour la fourniture de l’équipement nécessaire aux écoles professionnelles s’inscrivant dans le cadre du projet de l’enseignement combiné. Il a affecté, à cet effet, 600 millions de livres, contre un montant équivalent de la part des Allemands. Il est procédé, actuellement, à une adjudication pour l’achat d’équipements à répartir entre quatre centres pour l’enseignement combiné.

PRÉPARATION DES PROGRAMMES
Le ministère a signé un contrat en vue de la préparation et de l’évolution des programmes de l’enseignement professionnel et technique avec une société pour les recherches scientifiques et la planification. Une commission a été constituée en vue de suivre la réalisation du projet. Des commissions formées de cinquante spécialistes ont, également, été chargées de superviser les travaux depuis avril dernier, ces derniers devant être terminés en février 98. On s’attend à la publication de la première copie des nouveaux programmes de BT au début de l’an prochain.
Le ministère est tombé d’accord avec des experts français et le CDR, en vertu du protocole général libano-français conclu en 1996, aux fins de mettre au point des programmes d’enseignement pour de nouvelles spécialisations et de doter les centres de formation de machines et d’équipements permettant aux étudiants de s’initier à de nouvelles techniques exigées par le marché de l’emploi.
En coopération avec des experts allemands, des commissions qualifiées du ministère, élaborent des programmes pour l’enseignement combiné. Ceux des première et seconde années ont été achevés, ceux-ci devant être appliqués dans quatre centres: l’Institut technique et professionnel de la Békaa, l’école de Saïda, celles de Tripoli et des arts et métiers de Dékouaneh.

RECYCLAGE DU CORPS PROFESSORAL
Le ministère a entrepris d’organiser des cycles de formation et de recyclage successifs à l’intention du corps professoral de l’enseignement technique et professionnel à l’Institut technique et pédagogique.
De plus, il a achevé les préparatifs pour les cycles d’été 97, en coopération avec des experts français en la matière.
Quant au projet relatif aux nouvelles écoles, les services qualifiés du ministère ont terminé l’étude des plans et devis de quinze écoles dont le Fonds arabe pour le développement social et économique (FADES) assurera le financement. Les études ont été communiquées à la Cour des comptes depuis plusieurs mois; elles s’y trouvent encore...

ACCORDS LOCAUX ET INTERNATIONAUX
Au plan local, le ministère a signé un accord avec le ministère du Travail et l’Institut national de l’emploi, à l’effet d’élaborer des programmes et des projets de formation et d’entraînement pour les différentes spécialisations dont a besoin le marché de l’emploi.
Un accord signé avec l’Unesco prévoit une collaboration dans les domaines suivants: élaboration de programmes pour l’entraînement du corps enseignant, établissement d’une carte pour l’enseignement professionnel et l’accueil d’experts de cet organisme spécialisé de l’ONU.
Un accord avec la République arabe syrienne comporte l’échange scientifique et technique entre les deux pays, des enseignants libanais étant appelés à participer à des cycles de formation en Syrie et vice-versa; des conférences seront données de part et d’autre. Dans ce cadre, le ministère de l’Enseignement professionnel et technique a pris part à l’ouverture de l’exposition des instituts professionnels à Damas début mai 1997, une aile de cette exposition ayant été réservée aux réalisations des instituts professionnels publics au Liban.
Des études et concertations ont lieu, actuellement, en vue de préparer un projet de prêt à contracter avec la Banque mondiale et l’Union européenne.
Une commission logistique a été formée de spécialistes choisis en dehors du ministère, à l’effet d’aider à l’exécution de projets, en coopération avec le CDR et la Banque mondiale.
Un accord de coopération a été signé avec la République tunisienne en vue de l’échange scientifique et des expériences dans le domaine de la réhabilitation professionnelle. Dans ce cadre, une délégation du ministère s’est rendue à Tunis aux fins de prendre connaissance des réalisations du département de l’Equipement et du Travail.

MANQUE DE STATISTIQUES MINUTIEUSES
- De quel nombre de techniciens et de professionnels le Liban a-t-il besoin?
“Le ministère manque de statistiques minutieuses sur base desquelles il peut planifier pour l’étape future, surtout en ce qui concerne le marché de l’emploi et son évolution. Nous disposons de certaines études autour des orientations économiques, des entreprises industrielles et des spécificités des forces ouvrières qui y sont attachées.
“En ce qui concerne le produit local, le secteur du commerce, de la restauration et de l’hôtellerie viennent en tête avec une proportion de 29%, suivis des services gouvernementaux (21%), les autres secteurs se répartissant le reste (9%).
“Quant à la répartition des ouvriers par secteurs, elle s’établit comme suit: industries alimentaires et agricoles, 21%; boulangeries et pâtisseries, 13,5%; industries métallurgiques, 13,5%; industrie des vêtements, 13,5%; industrie du mobilier, 16%.
“Ces chiffres donnent une idée des besoins du pays en techniciens et professionnels dans les différents secteurs. Cependant, bon nombre d’entreprises industrielles sont familiales, 70% d’entre elles employant moins de cinq ouvriers, la majeure partie d’entre elles ayant à leur service moins de vingt salariés.
“Il importe donc d’établir des statistiques minutieuses autour des grandes entreprises, pour se faire une idée exacte de leurs besoins en personnel spécialisé à l’avenir. Ceci est lié à la politique de l’Etat visant à encourager certains secteurs productifs.”

COORDINATION ENTRE LES TROIS MINISTÈRES DE L’ENSEIGNEMENT
- Jusqu’à quel point votre ministère dispose-t-il du droit d’élaborer une politique de l’enseignement autonome?
“On ne peut parler d’une politique de l’enseignement autonome, que ce soit au ministère de l’Enseignement professionnel et technique, au ministère de l’Education et au ministère de la Culture et de l’Enseignement supérieur, car l’éducation et l’enseignement constituent la structure fondamentale pour l’édification du pays aux plans économique, social et culturel.
“Les trois ministères précités œuvrent entre eux en parfaite coordination, preuve en est que lorsque les nouvelles structures de l’enseignement au Liban ont été élaborées, les commissions de planification et de supervision comprenaient des représentants du ministère de l’Enseignement professionnel et technique. De fait, on a transposé l’enseignement général à l’enseignement professionnel et technique et vice-versa.
“De même, il existe un accord sur une politique pédagogique unique par rapport à la généralisation de l’enseignement des langues arabe, anglaise et française, de même que du computer. Puis, certaines matières ont été introduites dans l’enseignement général ayant le caractère de l’orientation professionnelle, telle la matière de la technologie.”

ORIENTATION PROFESSIONNELLE
- On dit que le ministère de l’Enseignement professionnel et technique supervise les écoles dont les diplômés grossissent le nombre des chômeurs...
“Le contraire est plutôt vrai. En effet, les écoles de l’enseignement professionnel ne forment pas suffisamment d’éléments pouvant répondre aux besoins du marché de l’emploi.
“Toujours est-il qu’un problème se pose au plan de l’orientation, en ce sens que beaucoup de jeunes s’orientent vers les spécialisations des services et leur nombre excède souvent les besoins du marché. Il est nécessaire d’entreprendre des campagnes intensives à l’effet d’orienter les étudiants vers d’autres spécialisations.
“Ainsi, 2.103 étudiants ont opté pour les sciences commerciales et présenté les examens d’admission pour l’année courante, alors que 1.509 autres se spécialisent dans la programmation des comptes, 57 dans les spécialisations industrielles importantes, telle la branche du conditionnement de l’air, 131 pour la mécanique automobile.
“Il s’agit donc d’un problème de spécialisations et non d’enseignement professionnel.”

LE SOUS-DÉVELOPPEMENT REMONTE À 1943
- On dit que vous faites partie du Cabinet Hariri grâce au chef du gouvernement; que vous vous êtes opposé au relèvement du prix de l’essence et que vous auriez été évincé si M. Hariri avait pu remanier l’équipe ministérielle...
“Je voue respect et affection au président Hariri, mais je ne lui suis pas redevable de ma présence au gouvernement. Cela ne signifie pas que je sois un opposant. En réalité, je prends position en faveur de l’intérêt supérieur du pays.
“Quant au remaniement ministériel, c’est une question dépassée maintenant. Je suis persuadé du fait que la situation socio-économique ne peut être traitée par un remaniement du Cabinet, mais par un projet économico-socio-culturel et de développement, surtout concernant les régions négligées.
“Il y a lieu de préciser, à ce propos, que le sous-développement dont pâtissent la Békaa, le Akkar et d’autres régions n’est pas d’hier; il remonte à 1943 et avant cette date. Le gouvernement actuel ne peut donc assumer la responsabilité de la situation dans ces districts.”

- Vous êtes parmi les opposants au relèvement du prix de l’essence, bien que ceci soit à la base du projet élaboré par le président Hariri. Etes-vous contre ce projet?
“J’avais une attitude réticente au Conseil des ministres, à l’égard du “Plan du milliard”, dont le montant a été réduit à 800 millions de dollars. Toutefois, j’ai approuvé l’affectation de 200 millions de dollars à des projets de développement à réaliser dans les régions déshéritées de la Békaa et du Akkar et au processus du retour des déplacés. D’autant plus que 100 millions de dollars sont alloués au ministère de l’Enseignement professionnel et technique. Mais je me suis opposé à l’imposition de 5000 L.L. sur le bidon d’essence, ce chiffre étant élevé, le citoyen ne pouvant en supporter la charge.

NON AUX SURCHARGES FISCALES
“Un sondage d’opinion m’a révélé que les diverses catégories sociales s’opposent à cette augmentation. Par contre, j’approuve le relèvement du prix de l’essence à 3000 L.L., ceci constituant une source de recettes pour le Trésor. En approuvant le projet Hariri, je suis contre toute surcharge fiscale imposée aux classes moyenne et pauvre.”

- Que pensez-vous du gouvernement en tant que journaliste?
“L’action gouvernementale est le reflet de la situation générale du pays. En régime démocratique, il est rare de trouver une contradiction entre l’action gouvernementale, la situation politique et socio-économique. Malheureusement, la vie politique au Liban ne se fonde pas sur des bases saines. Elle est influencée par les divers courants représentant dix-huit communautés et conditionnée par les intérêts personnels. Cette situation dégradante s’accentue par l’absence des partis qui peuvent contribuer à réactiver la vie politique. Je préconise la reprise du rôle des partis politiques, - la plupart ayant été abolis durant la guerre - ou la constitution de nouveaux rassemblements qui, à l’instar des partis, contribueraient à réactiver la vie politique. Evidemment, il y a loin entre le rêve et la réalité.”

NON À LA NOMINATION DES CONSEILLERS MUNICIPAUX
- Le principe des nominations consigné dans le projet d’amendement de la loi sur les municipalités est au centre d’une vive controverse. Qu’en pensez-vous?
“Je désapprouve le principe de la nomination, car elle contredit le système démocratique qui doit être à la base de nos décisions. La loi sur les municipalités aura des conséquences négatives ou positives sur le pays qui a vécu vingt ans de guerre, accompagnées de déséquilibres politiques et socio-économiques.
“Nous ne pouvons pas dénoncer certains articles de cette loi, sans tenir compte de l’occupation israélienne, ni élaborer une loi exemplaire, sans que le processus du retour des déplacés soit achevé. Durant cette période transitoire, nous payons le tribut de la guerre.”

- Vous avez rencontré M. Abdel-Halim Khaddam, vice-président syrien. Quelle est son attitude envers nos conflits internes?
“La rencontre avec M. Khaddam m’a permis de passer en revue les questions tant locales que régionales. Dans sa vision des problèmes, le Pouvoir syrien agit selon une échelle  de priorités. Nos problèmes internes ne figurent pas parmi ses préoccupations. Mais certains problèmes doivent être réglés a priori par le Pouvoir syrien.”

- Un sommet libano-syrien serait-il imminent?
“En réalité, personne ne sait quand ce sommet aura lieu. Les pourparlers et la coordination se poursuivent à tous les niveaux entre les parties libanaise et syrienne. Le sommet se tiendra lorsque  les deux présidents le jugeront nécessaire.”

(Propos recueillis par RANIA EL-HACHEM)

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