L'AVENIR DE LA MEA EN JEU?
S'ACHEMINE-T-ON VERS LA PRIVATISATION?

Depuis qu’a éclaté au grand jour l’affaire “louche” de la location de trois “Airbus” à la “Singapor Airlines”, une même question s’impose d’elle-même: “quel avenir pour la MEA”?
Fierté du Liban, dont elle porte les couleurs aux quatre coins du monde en véritable ambassadrice, ayant résisté aux épreuves de la guerre, la compagnie nationale d’aviation s’est retrouvée depuis la “pax taéfienne”, au cœur d’une lutte d’influence entre les principaux pôles du pouvoir.
Les uns ont une “folle” envie de la racheter, de la privatiser, alors que d’autres, faute de pouvoir le faire, essayent de la contrôler de l’intérieur. D’où un gonflement excessif d’effectifs improductifs, nommés pour des considérations de clientélisme politique et de trafic d’influence. Ce qui n’a fait qu’alourdir les pertes subies par la société.
Aujourd’hui, alors que l’enquête touche à sa fin, tout concorde à dire que la balle est dans le camp de la Banque Centrale, laquelle possède 99,3% des actions de la MEA, dont le présent capital est de 125 millions de dollars.
La BDL va-t-elle pouvoir se “cramponner” à la compagnie, pour lui donner un nouvel élan, ou se résignera-t-elle à la vendre au secteur privé au plus bas prix?
Après un mois d’investigations, le seul élément concret reste la désignation de M. Khattar Hadathi comme PDG par intérim de la MEA jusqu’au 10 janvier.
Cette mesure provisoire a été annoncée par le PDG, Khaled Salam, au cours de la réunion du conseil d’administration tenue sous sa présidence le samedi 13 décembre, affirmant dans un bref communiqué qu’il cédait, provisoirement, ses prérogatives au directeur des Relations publiques. Il a justifié sa décision par le fait qu’il était trop pris par le déroulement de l’enquête.
D’ici au 10 janvier, M. Hadathi aura à gérer les affaires courantes. Mais la délégation de pouvoirs (de M. Salam à M. Hadathi) n’a pu être enregistrée auprès du tribunal de commerce, car la MEA qui doit 20 millions de livres à la Caisse nationale de Sécurité sociale n’a pu obtenir le quitus nécessaire pour un tel enregistrement.
 Sur ces entrefaites, le gouverneur de la Banque Centrale demandait le mardi 16 décembre au conseil d’admi-nistration de la MEA, de convoquer l’assemblée générale pour élire un nouveau conseil d’administration dans le délai d’un mois.
 
 
Riad Salamé, gouverneur de la BDL,  
appelle à de nouvelles élections. 
 
 
Khaled Salam, a-t-il signé  
le contrat à sa seule responsabilité? 
 
 
Khattar Hadathi: homme-clé  
jusqu’au 10 janvier. 
 
L’accord conclu entre la MEA et la “Singapor Airlines”, en vue de la location de trois avions de type “Airbus”, pour une durée de cinq ans, aurait pu être une opération de simple routine. Ce fut le contraire! Le contrat de bail signé le 4 juin dernier, par correspondance entre le PDG de la MEA M. Khaled Salam et le directeur de la Singapor  Airlines, M. Mathew Samuel, a déclenché une véritable crise au sein de la compagnie d’aviation nationale. Certaines informations étaient parvenues à la Banque Centrale, principal actionnaire de la MEA et contrôle, à ce titre, les finances de la compagnie, faisant état de pots-de-vin qui auraient été touchés lors de cette transaction.
L’information qui a mis la puce à l’oreille se rapporte au coût de la location des trois appareils qui s’élève à 39 millions et 600.000 dollars US. Ce prix a été jugé excessif, car les avions sont usagés et ont, par ailleurs, été vendus peu de temps après à 45 millions de dollars, prix dérisoire comparé à celui de leur location.

LA JUSTICE SE SAISIT DE L’AFFAIRE
Le Parquet décide de se saisir de l’affaire pour savoir si des commis-sions auraient été versées dans ce mar-ché, d’autant que le contrat comporte plusieurs clauses désavantageuses pour la partie libanaise. M. Adnane Addoum, procureur général près la Cour de cassation, confiait le dossier au chef de la brigade criminelle, le brigadier Béchara Salem et l’enquête occupe depuis un mois le devant de la scène juridico-politique.
De longues journées et des heures interminables d’audience ont eu lieu, plusieurs personnes ayant été entendues en vue de tirer l’affaire au clair. Le brigadier Salem a recueilli les dépositions à plusieurs reprises, en premier lieu du PDG de la MEA, Khaled Salam, à la tête de la compagnie depuis septembre 95; du directeur général, Youssef Lahoud, qui est à la MEA depuis 37 ans. Il a interrogé des membres du Conseil d’administration, dont M. Hussein Kanaan, le premier à dénoncer “l’irrégularité” du contrat; Mahfouz Skayné, PDG de la Intra; des techniciens, des ingénieurs, ainsi que Salim Salam, fils de Khaled Salam, afin de clarifier s’il a joué un rôle dans cette transaction et, dans l’affirmative quel est-il?
Dès l’ouverture de l’enquête, Marwan Bardawil, propriétaire de la “Bardawil offshore Aviation” et représentant d’une compagnie américaine la “Boullioun”, fut placé en garde à vue. Car le Parquet le soupçonnait, ainsi que son père Fouad d’avoir trempé dans la double transaction de location; puis, du rachat des avions. Car la “Boullioun” qu’ils représentent, possède le tiers des actions de la “Sale”, compagnie ayant racheté les trois appareils loués par la MEA.
Ayant reçu des documents montrant que la “Bardawil Aviation” avait reçu des paiements réguliers de la “Boullioun”, le Parquet décide de placer M. Bardawil en garde à vue. Mais ses avocats: Mes Badaoui Abou-Dib, Joseph Khoury-Hélou et Tony Abou-Dib, ont vivement réagi contre cette détention qu’aucun texte de loi ne tolère, prouvant que la somme de 15.000 dollars versée à leur client par la “Boullioun” était des honoraires payés trimestriellement par la compagnie américaine à son représentant au Moyen-Orient.
Au bout de seize jours de détention, Marwan Bardawil a été libéré. Il lui est demandé de rester à la disposition de la justice, tant que l’enquête n’est pas terminée.

QUI A CONCLU CE CONTRAT?
La tâche du général Béchara Salem ne fut pas de tout repos. Il lui fallait élucider la question suivante: qui a conclu le contrat et qui en était informé? Le PDG de la MEA a-t-il reçu un mandat des onze membres du conseil d’administration pour négocier cette transaction? Quel est le rôle du directeur général, Youssef Lahoud dans cette affaire?
Selon des sources fiables, les membres du conseil d’administration reconnaissent avoir mandaté le PDG pour négocier le contrat, mais relèvent, aussi, qu’ils n’ont pas été consultés avant sa signature  par les deux parties.
Concernant le directeur général, Khaled Salam affirme avoir agi en coordination avec Youssef Lahoud qui l’a, toutefois, nié lors d’une confrontation avec Salam devant le chef de la brigade criminelle. Il semblerait que, dès la prise en charge de ses fonctions, le PDG aurait modifié le réglement intérieur de la compagnie restreignant les prérogatives du directeur général à la signature des affaires courantes et quotidiennes.
Autre point à éclaircir: le rôle du fils de Khaled Salam. L’enquête a révélé que Salim Salam se trouvait à Sin-gapour en novembre 1996, au moment où ont démarré les négociations entre la “Singapor Airlines” et la MEA. Simple coïncidence? Le jeune homme assure avoir été mandaté par “l’American Express” en vue d’étudier les possibilités de financer l’achat d’avions par une compagnie américaine la “Silk Airways”.
Afin de vérifier ces arguments, le général Salem a demandé l’ordre de mission délivré par la banque américaine en novembre 96. Surtout, qu’au fil des interrogatoires, il s’est révélé que la correspondance entre le PDG de la MEA et la “Singapor Airlines” pour la location des cinq avions, remonterait à novembre 96 et non à février 97, tel que l’avait affirmé au départ Khaled Salam.

NOUVELLE DONNE: LA VENTE DE TROIS “JUMBO”
Suite à la déposition de Mahfoud Aziz, chef du département opération à la MEA, le chef de la brigade criminelle est informé que la MEA a récemment vendu trois avions de type “Jumbo” (Boeing 747) à 21 millions de dollars pièce à une compagnie américaine la AIA. L’un des trois appareils a déjà été livré; les deux autres le seront en février, puisqu’à l’heure actuelle l’un est loué à Air France; l’autre à Air Maroc.
Le prix de vente des “Jumbo Jets” semblait défavorable comparé à celui de la location des “Airbus”. Elle avait pour but de renflouer les caisses de la MEA en situation peu brillante. Mais le besoin financier peut-il, à lui seul, justifier cette vente? D’autant plus que pour la B.D.L., principal actionnaire de la M.E.A., tout gaspillage caractérisant les transactions est considéré comme un gaspillage de “biens publics”.

LA BALLE DANS LE CAMP DE LA BANQUE CENTRALE
Les investigations effectuées par le chef de la brigade criminelle sous la supervision du procureur général, Adnane Addoum ont permis, dit-on, jusque-là, de dégager certains fils conducteurs et de cerner les responsabilités. On attend, à présent, les résultats de l’enquête.
Ce dossier brûlant risque-t-il de connaître le même sort que tant d’autres?
Quoi qu’il en soit, un fait est certain: la balle est maintenant dans le camp de la Banque du Liban.
A ce titre, la BDL avait approuvé le plan triennal (97, 98, 99), mis au point par la société après avoir porté son capital à 125 millions de dollars, afin de permettre à la MEA de se restructurer, de moderniser sa flotte et de la faire passer d’une compagnie n’ayant eu que des pertes depuis des années, à une société capable de réaliser des bénéfices à partir de 1999.
La Banque centrale est venue, aussi, récemment au secours de la MEA payant pour elle un emprunt de 14 millions de dollars qu’elle avait fait auprès des banques Audi et du Crédit Libanais et étant venu à échéance en août 97.
La MEA espérait rembourser cette dette par la livraison du premier “Jumbo Jet” vendu à la compagnie américaine, mais il y a eu un retard dans cette livraison à cause de certaines réparations à effectuer sur l’appareil.

QUE RÉSERVE L’AVENIR À LA MEA?
Quelles mesures compte donc adopter la Banque du Liban face à cette grave crise que traverse la MEA?
A Londres, les avocats de la MEA mènent devant la Chambre de Commerce de la capitale britannique - qui constitue selon une clause du contrat, l’autorité d’arbitrage en cas de conflit entre les deux parties - des pourparlers loin des feux de la rampe, en vue d’obtenir la résiliation du contrat entre la MEA et la “Singapor Airlines”.
A Beyrouth, la Banque Centrale n’a toujours pas décidé de se porter partie civile contre les personnes susceptibles d’avoir encaissé des commissions dans le cadre de ce contrat. Car lorsqu’il s’agit de la MEA, la banque se comporte comme une société commerciale et le Parquet ne peut pas engager, spontanément, des poursuites.
Allons-nous en savoir davantage dans les jours à venir?
En somme, cette histoire de pot-de-vin aura été la goutte d’eau qui remet en question l’avenir de notre compagnie nationale d’aviation.

NELLY HÉLOU

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