LES FAITS
Il est 7h du soir. Achrafieh grouille de piétons qui, à
la faveur de cette belle soirée de fin de week-end, flânent
dans les rues décorées pour les fêtes de fin d’année.
Aucune tension n’est perceptible et la présence des forces de l’ordre
se justifie par le fait que les manifestants se sont donné rendez-vous
à 18h30 devant les locaux de l’ICN.
Les portraits du Général sont cachés sous les
pulls. Les jeunes aounistes ont décidé depuis jeudi d’organiser
le sit-in devant la MTV en guise de protestation. Des partisans du président
Amine Gemayel devaient se joindre à eux.
A l’heure H, arrivés au niveau du collège La Sagesse,
il leur devient difficile de gagner Fassouh, les FSI quadrillant le secteur
et en bloquant tous les accès.
En empruntant les rues secondaires, ils approchent jusqu’à cinquante
mètres des locaux de la MTV. Là, des agents de la brigade
anti-émeute, armés jusqu’aux dents, forment un obstacle humain
infranchissable. Une voiture diffuse, à l’aide d’un haut-parleur,
un des hymnes composés pour le général lors de la
guerre dite de “libération”. Les agents regardent, indifférents.
Si certains semblent franchement hostiles - d’autres ont l’air littéralement
ailleurs. Un officier tente de parlementer avec le secrétaire général
de l’Ordre des ingénieurs. Ensuite... les cris des manifestants
ne parviendront pas à couvrir le sinistre bruit des bottes: trois
rangs d’agents s’avancent au pas cadencé, le visage caché
sous des casques à visière, un bouclier dans une main et
un gourdin dans l’autre. Ce mouvement inattendu ne fait qu’envenimer la
situation et enflamme les protestataires qui se ruent sur eux en hurlant:
“Syrie dehors!” et “Non à un parlement à la solde de Damas”.
Ils se heurtent à une première ceinture humaine: les
policiers tentent de les disperser en les aspergeant d’eau. Personne entre-temps,
n’a fait attention au bruit d’une double détonation et, tout à
coup, l’air devient irrespirable; on a du mal à avaler... La police
a lancé deux grenades lacrymogènes. Et les manifestants de
battre en retraite, pourchassés par les policiers. Certains d’entre
eux sont rattrapés et violemment roués de coups, avant d’être
conduits vers des fourgons postés un peu plus loin... Curieusement,
un agent protège un des manifestants de la colère d’un autre
policier. Dans une voiture diffusant des chants des partisans du Général,
quelqu’un s’adresse par haut-parleur aux gendarmes: “Vous êtes nos
frères, comprenez-nous. Nous ne voulons pas nous battre avec vous...”
Le spectacle tient du surréel!
On connaît la suite lamentable de l’événement,
dont tous les journaux se sont fait l’écho par le menu: plus d’une
soixantaine de personnes interpellées, parmi lesquels quelques-unes
contusionnées... Si les rues sont vides, dix minutes plus tard,
l’affaire va remplir les colonnes de la presse... pour quelque temps.
![]() Des arrestations improvisées. |
![]() Les manifestants aounistes devant la MTV. |
LE TOLLÉ
En multipliant les maladresses au cours de ces derniers jours et, particulièrement,
dans l’affaire MTV, le Pouvoir contrairement à ses objectifs, a
réussi à donner un souffle à l’opposition. Un vaste
courant d’opinion s’est, en effet, mobilisé afin de défendre,
non seulement, les libertés d’expression mais, aussi et surtout,
un certain visage du Liban!
L’interdiction de l’interview de la MTV et l’attitude répressive
des forces de l’ordre ont embrasé les différents milieux
politique, syndical, professionnel, estudiantin et populaire: avocats,
opposition chrétienne, milieux parlementaires - cela sur la scène
locale où à l’unanimité on a stigmatisé en
termes très sévères les atteintes à la liberté
d’opinion et la vague d’arrestations qualifiées d’arbitraires qui
a suivi la manifestation. Au plan international, nombre d’organisations,
notamment Amnesty International, la FIDH, le mouvement franco-libanais
“SOLIDA” se sont élevées contre la répression de la
liberté d’expression.
DERNIÈRE HEURE:
Sur ordre du Premier ministre, toutes les personnes appréhendées
lors des événements de samedi soir, ont été
relâchées... Cette décision aurait été
prise, en vue d’apaiser les esprits et de mettre un terme aux remous occasionnés
par cette malencontreuse affaire.
UN DES INNOMBRABLES MANIFESTES PUBLIÉS
À LA SUITE DE L’AFFAIRE MTV
L’Amicale des étudiants de l’ESIB (Ecole supérieure des ingénieurs de Beyrouth) de l’U.S.J., regrette profondément, le sort réservé à leur collègue, Rabih Traboulsi, étudiant en mathématiques supérieures, maltraité et détenu par les forces de l’ordre, pour avoir voulu défendre la liberté d’expression, en participant à la manifestation qui s’est déroulée le dimanche 14-12-1997, à Achrafieh aux abords de la MTV. Aussi, l’Amicale demande-t-elle au nom de tous les étudiants, et au nom de la Démocratie et de la Liberté d’expression, la libération immédiate de leur collègue, ainsi que celle de tous les détenus, victimes d’injustice et d’irrespect envers la démocratie! L’Amicale des étudiants de l’ESIB
|