tribune
 
IMAGES À VOIR ET IMAGES À NE PAS VOIR  
 
Le désordre de la rue ne reflète-t-il pas l’image exacte d’un Etat qu’on prétend bâtir, depuis sept ans, sur la Loi et les Institutions?
L’indiscipline de l’automobiliste poussée jusqu’à la stupidité n’a d’égale que l’inefficacité des agents censés régler le trafic. Et comment espérer un citoyen discipliné, quand les agents de la force publique donnent eux-mêmes l’exemple du mépris du code de la route?
Le mohafez de Beyrouth, pris à partie par un journal qui l’accuse d’incurie, se défend fort bien en énumérant une série de réalisations à son actif depuis qu’il a accédé à son poste. On peut lui en donner acte. Dans cette énumération, monsieur l’administrateur oublie, hélas! que rien n’a été prévu pour le piéton; quand il fait état de l’installation de feux de signalisation, il ignore apparemment qu’ils sont rarement respectés; il se félicite d’avoir obligé les propriétaires à repeindre les façades de leurs immeubles, mais ne nous promet pas encore des trottoirs et une chaussée sans trous et bosses. Le piéton n’existe-t-il pas? L’aspect des rues ne fait-il pas partie de l’embellissement de la ville au même titre que les façades? Et nous ne parlons pas de sécurité.
Mais comme pour tout le reste, n’est-ce pas de sa seule façade que l’Etat se préoccupe?
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Il fut un temps où l’on se vantait d’être “la Suisse de l’Orient”. Depuis longtemps, on ne l’est plus ni en matière de neutralité sur le plan international, ni en matière de civisme.
On pourrait encore moins se comparer à la Suède. A Stockholm, où la limite de vitesse est de 30km dans la plupart des rues, on a vu, il y a quelque temps, un agent dresser un procès-verbal de contravention au chef de la police lui-même, M. Bjorn Eriksson, qui roulait à 45km/h pour ne pas râter un rendez-vous; et comme il invoquait sa qualité officielle, il fut accusé d’abus de pouvoir. Il a dû présenter des excuses.
Non, décidément, nous ne sommes pas Suisses et nous ne serons jamais Suédois.
Nous ne songerions même pas à être Qatariotes ou Koweitiens. Libanais nous sommes, Libanais nous resterons. Et fiers de le rester.
L’indiscipline, le manque de civisme, est-ce bien la faute du citoyen ou de ceux à qui il a délégué le pouvoir? La discipline civique, comme pour tout le reste de l’espace urbain, a besoin de ce qu’on peut appeler une “infrastructure” (puisque c’est le terme que nos politiciens entrepreneurs de travaux publics comprennent le mieux). C’est bien ce qui explique que le Libanais dans un pays bien organisé se conduit avec plus de civisme que dans son propre pays.

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Au bout de cinq ans d’exercice du pouvoir, le chef du gouvernement reconnaît le gaspillage des deniers publics. Et il s’efforce de présenter un budget d’austérité.
Ce gaspillage avait été étalé au grand jour dans un fameux rapport de la Cour des comptes et des autres organes de contrôle de l’Administration. C’était le 9 octobre dernier devant la Commission des finances. Mais on l’a déjà oublié, comme on a oublié la réaction du gouvernement au tollé soulevé parmi les députés devant de telles révélations: il n’y a rien de nouveau; les députés avaient en main ces mêmes chiffres au moment ils votaient le budget de 1997.
Tel était, alors, le sens de la riposte du ministre des Finances. Serein, il a bien raison de l’être.
Alors? Tous dans le même bain?
Cela peut continuer ainsi indéfiniment. Toute l’agitation actuelle sur les prévisions budgétaires et sur les projets de nouveaux emprunts ne va-t-elle pas retomber sans laisser de traces? L’accord des trois présidents (la “troïka” pour ne pas l’appeler par son nom explicite) est le garant de la pérennité de ce système: on a beau aboyer, la caravane passe.
M. Hariri, toujours sûr de lui, ne vient-il pas de proclamer dans un journal qatariote: le dollar ne flambera pas et je ne démissionnerai pas?
C’est beau la confiance en soi. Et que pèse la confiance des autres en vous? On le voit depuis cinq ans: pour des prunes.

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Pour parfaire le tableau, le ministre de l’Information a interdit la diffusion sur les écrans de la télévision de l’interview d’un opposant qui, depuis quelque temps, fait cependant beaucoup de déclarations à la presse sans davantage émouvoir “l’Etat des institutions”.
“Qu’a-t-il donc à dire encore? On connaît ses opinions”, s’écrie M. Bassem Sabeh pour justifier sa décision, appuyée sur la haute autorité de M. Murr qui présidait, pour lors, le Conseil national de sécurité.
Pourquoi donc de nouvelles déclarations d’un homme qui a déjà beaucoup parlé, menaceraient-elles la sécurité de l’Etat? On n’est pas curieux, mais on voudrait bien savoir...
M. B. Sabeh, avant que d’être ministre, est journaliste de profession et ancien membre du conseil de l’Ordre de la presse. Défenseur de la liberté d’expression, la matraque à la main, comme on l’a vu dimanche soir aux portes du siège de la télévision incriminée de menace “potentielle” à la sûreté de l’Etat.
Le général Aoun a trop parlé? La belle excuse!
Et qui n’a pas trop parlé dans cette République?
Les journaux, tous les matins, les écrans de télévision tous les soirs abondent en déclarations incendiaires, mais qui ne mettent le feu nulle part. Députés, évêques, cheikhs et patriarches, tout le monde parle, tout le monde critique, tout le monde prêche; des ministres mêmes n’hésitent pas à attaquer leur propre gouvernement. Qu’est-ce que cela change? Qui se sent menacé? Pourquoi vouloir faire du général Aoun un danger public? Interdit de parole... parce qu’on sait ce qu’il va dire. Curieuse conception de la loi censée protéger la liberté d’opinion!

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Mais écoutez donc M. Hariri qui nous rassure sans se lasser.
Et si vous n’êtes pas encore convaincus que tout va bien ou que tout ira encore mieux, faites comme tous ces politiciens qui parlent et ensuite oublient tout et puis votent à main levée.
C’est ainsi que la République se porte bien et que vous pouvez cultiver vos choux. 

 
 
 

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