Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

À QUI LE CRIME PROFITE?

Depuis l’avènement de la IIème république, nous sommes soumis à un véritable matraquage des gens au pouvoir à propos de “l’Etat des institutions”. Une véritable foire d’empoigne où le plus menteur est dernier renchérisseur et où le seul perdant est cet Etat dont on se bouscule pour mettre ses institutions aux enchères. Lesquelles institutions - ou ce qui en reste - ont vu leurs mécanismes se gripper, les uns après les autres, sous le poids de la nuée de sauterelles amenées dans le sillage de Taëf. Les rares secteurs qui ont échappé au ravage doivent une fière chandelle à leurs anges gardiens.
Malheureusement, la MEA ne compte pas au nombre de ces miraculés. C’est qu’à la MEA, il y a à boire et à manger et même aujourd’hui, pas mal à ronger et les rats, tout autour, sont légion.
Se souvient-on de ce que fut la MEA du temps de cheikh Négib Alamuddine, ce grand Libanais qui fut à la fois un pionnier et un visionnaire et que le pays officiel traita avec une noire ingratitude? Et même du temps où Assaad Nasr et Youssef Lahoud avaient la haute main sur les destinées de la compagnie. Comme cheikh Négib, ces hommes, tant par leur compétence que par leur intégrité, inspiraient confiance. Et ce n’est pas sans raison si la MEA était devenue la première et la plus prestigieuse compagnie d’aviation du Moyen-Orient, prestige qui rejaillissait sur le pays tout entier.
C’est aux bureaux de la MEA plutôt qu’à leurs ambassades que les Libanais s’adressaient à l’étranger. C’est grâce, en partie, à la MEA que le Festival de Baalbeck connut sa fabuleuse renommée. Et quand un commando israélien, en 1969, détruisit au sol 13 appareils de la compagnie, Tel-Aviv savait qu’elle frappait le Liban dans ce qu’il avait de plus précieux. Même aux pires moments de la guerre, lorsque nous nous sommes trouvés abandonnés de Dieu et des hommes, murés dans l’horreur, isolés du reste du monde, seuls les avions de la MEA maintenaient le contact entre nous et l’univers des vivants.
Beaucoup de Libanais se demandent aujourd’hui ce qui motive la campagne brutale dont est l’objet la MEA. Ce travail de démolition systématique qu’on dirait minutieusement planifié. Dans quel but? De quel mal pernicieux souffre-t-elle donc?
Pour tenter de trouver une réponse à ces questions, il faut peut-être remonter au jour néfaste où les autorités, en place à l’époque, par leur inexplicable silence - dû à l’ignorance, à la lâcheté ou à la complicité - laissèrent sombrer la INTRA. Il y a 30 ans que la INTRA, faute de liquidités (qu’on lui refusa) fut acculée à la faillite. L’Etat s’empressa, alors, de se porter à la rescousse. Et depuis que l’Etat a mis la main dessus, depuis 30 ans, la INTRA, qui possédait entre autres la MEA, Télé-Liban, le Casino du Liban, etc... est systématiquement pillée. Plus les hyènes s’acharnaient sur le cadavre, plus il restait de morceaux à dépecer. C’est de cet appétit sauvage et insatiable que souffre actuellement la MEA.
Qui en est responsable? Malheureusement, les marchands du temple sont nombreux au pouvoir. Chacun exige son morceau de chair fraîche. Chacun donne du poing sur la table pour caser les siens: ses hommes de main, ses exécuteurs de basses œuvres, son contingent d’analphabètes, ses profiteurs, ses copains, ses amis, ses relations, ses proches, toute une panoplie de parasites qui vampirisent, littéralement, l’institution et la vident de sa substance.
Il existe à la MEA 1400 employés imposés par les différents pôles du pouvoir aussi inutiles qu’intouchables, puisque abrités sous l’ombrelle de leurs arrogants protecteurs. Que vient faire Christian Blanc, ancien PDG d’Air France, dans ce cas? Il a redressé la situation d’une Air France en difficulté. Mais c’est justement en sabrant dans le personnel qu’il a réussi à le faire. Ce que justement a préconisé un comité d’experts de la MEA sous la présidence de Youssef Lahoud, il y a quelque temps déjà. Rapport que les responsables se sont empressés de reléguer aux oubliettes. Où donc est la solution? Dans la privatisation, dit-on. Quelle sera la réaction des sangsues?
Qui est prêt à acheter la MEA? Qui peut se permettre de l’acheter? A quoi rime réellement ce remue-ménage orchestré à grand fracas, sinon à déboucher - comme on peut le constater - sur un nouveau conseil d’administration qui aura à entériner des décisions déjà prises? Par quel étrange jeu de hasard laisse-t-on s’installer cette pagaille qui règne depuis presque un mois et a ramené encore à la baisse notre taux de crédibilité dans le monde?
La classe politique issue de Taëf, avait déjà réussi à transformer le pays en auberge espagnole; ira-t-elle, pour parachever le tableau, jusqu’à jouer l’avenir de ses institutions à la roulette russe? 

Home
Home