Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

FAUTE D’INTERLOCUTEUR

Dans le climat délétère qui nous empoisonne, il n’est pas toujours opportun de soulever les lièvres”, dit le dicton. Et de dénoncer les effets corrupteurs et les espiègleries d’une classe politique qui se dit sans vergogne, incorruptible et invulnérable, experte dans l’art de pratiquer le pire, alors qu’à l’école des vertus républicaines et de la morale, elle devrait se conformer.
Les Libanais déconcertés, manifestent par tous les moyens leurs doléances et leur révolte, partout où vivent des milliers de chômeurs, de démunis et de déplacés. Il n’y en a pas moins dans les écoles et les universités où, étudiants et enseignants, se partagent la hargne, contre leurs gouvernants. Soucieux de leur avenir, ils opteront incontestablement pour une nouvelle démocratie à leur mesure, différente de la contrefaçon qui leur est imposée. Il est naturel et même urgent que les tenants du pouvoir prennent conscience de cette réalité nationale.
D’aucuns nous disent: “Assez faire profession d’apocalypse! Quel est le pays au monde qui est aujourd’hui en meilleure posture?” A tous ces discoureurs, une réponse simple, mais combien éloquente s’impose: “Quelle a été durant cette dernière décennie, la politique constructive suivie par le gouvernement en place à l’égard des exclus, des laissés-pour-compte, des statuts sociaux, des entreprises en difficulté, pour ne citer que ces cas? Quelle a été la politique économique et financière face au marasme économico-social sans précédent, face à un pouvoir d’achat bien inférieur à celui des pays du tiers-monde?
Les Libanais, en l’absence d’un Etat interlocuteur et régulateur, ne peuvent plus supporter les séquelles et querelles de l’Etatisme et de l’affairisme conjugués à la fois.
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Un système politique tel que le nôtre, dont la liberté est le principe, se renie lui-même s’il la refuse à ceux qui le critiquent pacifiquement et légalement. Il n’en a pas moins, pour première obligation de la protéger contre ses sempiternels ennemis. Voilà le cas de conscience dans lequel devraient se battre au quotidien les leaders d’une authentique démocratie! Nous les voyons tous pris dans un dilemme: étouffer la liberté de leurs adversaires politiques, advienne que pourra, alors que la démocratie implique de se frayer un chemin entre les deux. Car, la liberté est indivisible et si dans l’ordre politique, elle ne doit être marchandée à personne, elle se trouve du même coup exposée aux intrigues de ceux qui la haïssent. Toute la question est de savoir si, pour la sauver, il existe un autre recours que la démocratie.
Force est de reconnaître qu’il est difficile, voire impossible, de gouverner un pays comme le nôtre en tenant compte de l’avis de toutes ses composantes sur tous les points, l’abolition du confessionnalisme politique en premier. Si dans les démocraties, la liberté n’était qu’une simple expression, elle n’aurait pas suscité chez nous tant de remous, ni tant de controverses, de sacrifices et de martyrs. Telles sont, il nous semble, les difficultés qui entravent notre démocratie et notre système de gouvernement.

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Nous croyons aux institutions, à la force des lois, pour contrôler le pouvoir politique. Nous sommes persuadés que le meilleur moyen pour règler l’horloge au Liban est de limiter le pouvoir par le pouvoir, de multiplier les pôles de contrôle en veillant à éviter toute collusion entre eux, comme c’est le cas. Ce ne sera pas une mince affaire que d’arriver à l’âge institutionnel, l’important serait de prendre au sérieux la démocratie. Pour qu’une telle démarche soit possible, il sera nécessaire que les Libanais soient capables de penser le Liban de demain comme un lieu commun et ne pas regarder ailleurs, de comprendre une fois pour toutes la règle du jeu du Liban nouveau, en luttant pour lui et non contre lui, de sauver ce qui peut et ce qui doit l’être de l’idée de liberté dont il a fait depuis des lustres son apanage et sa fierté.
Toutefois, avant de parier sur la société paradisiaque prônée sans cesse par le pouvoir en vue de camoufler la réalité que vit le pays, il faudrait plutôt penser sérieusement et consciemment au maintien d’une opposition dont le rôle indispensable s’avère de plus en plus impératif, après une léthargie qui a laissé le champ libre aux exploiteurs de tous bords, dont les erreurs irréparables pèsent encore sur le Liban à tous les niveaux.
Enclins que nous sommes par discipline et entraînés par profession à nous mettre à la place des gens dans la tourmente la plus cruciale de l’histoire du Liban; refaisant, ne fut-ce que par principe, le trajet qui les conduit à telle ou telle revendication bien justifiée; obligés d’entrer par une sorte d’intuition dans leurs sentiments les plus profonds et leurs soucis quotidiens, nous ne pouvons en aucun cas désavouer l’opinion qui est, en définitive, le juge incorruptible, surtout quand il s’agit de la sauvegarde de nos mœurs politiques, aujourd’hui ébranlées, ainsi que de notre droit à la différence.
Pour la bonne presse comme pour l’intelligentsia, l’avenir de l’opposition démocratique a déjà commencé. La realpolitique pourra nous faire attendre l’entrée dans le nouvel ordre régional, nous pouvons dès lors l’assurer que nous ne ferons pas anti-chambre, soyez-en certains. Nous appartenons déjà à la civilisation et à la démocratie de demain, réinsérés dans leur réalité, puisque jamais elles n’ont cessé d’être les nôtres. Et si l’on insiste en nous demandant ce que représente le Liban de demain à vos yeux, nous répondrons fermement: un univers qui commence avec les libertés et se boucle avec une opposition loyale et constructive, du moins pour l’essentiel; le reste viendra de surcroît. Face aux impostures politicardes, notre véto serait tranchant. L’âge institutionnel allons-nous le découvrir dans sa dimension profonde digne des générations de l’an 2000, afin de sortir de la sphère longtemps fréquentée par la politicardie avilissante et désuète? 

 
 “Comprendre les règles du jeu de ce Liban nouveau, c’est être en mesure non de lutter contre lui, mais de sauver ce qui peut et doit l’être de l’idée de liberté”.

(Générations 2000)
 

  

 


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