L’ARRESTATION DES ÉTUDIANTS, UNE HONTE
A propos de la mesure d’interdiction gouvernementale de l’interview
du général Aoun, le leader du Bloc national émet ces
réflexions:
“Cette mesure transgresse la Constitution qui garantit la liberté
d’expression, celle-ci étant la base du système démocratique.
Il faut donc permettre au général Aoun d’exprimer son opinion
sur la situation intérieure et au cas où il violerait les
lois en vigueur, on pourrait le poursuivre en justice, pas avant.
“Quant à l’arrestation des étudiants, c’est une honte.
Nous vivons en régime démocratique qui distingue le Liban
des autres Etats arabes et nous sommes fermement attachés à
ce régime.”
- Comment évaluez-vous la visite de S.Em. le cardinal Sfeir
en France et votre rencontre avec l’éminent prélat?
“La visite de Sa Béatitude avait pour but d’inaugurer une église
à Marseille. Au cours de notre entretien qui a eu lieu à
la faveur du déjeuner offert en son honneur par Mgr Harfouche, j’ai
insisté sur la nécessité de réclamer l’application
de la résolution 425, car sans cela la Syrie restera au Liban, qui
sera maintenu sous l’occupation israélienne.”
CHARLES HÉLOU, PREMIER RESPONSABLE DE
LA GUERRE
- A qui faites-vous assumer la responsabilité de la guerre
au Liban qui n’a pas fini d’en effacer les séquelles?
“Personnellement, je ne suis pas allé à Taëf et
je critique toujours les maronites. Il faut admettre que, sans eux, un
Etat libanais indépendant de la Syrie n’aurait pas existé.
Cependant, je dis avec regret que trois responsables maronites ont provoqué
la guerre civile et détruit le pays: le premier responsable est
Charles Hélou, pour avoir approuvé l’accord du Caire (de
1969) dont les termes ont été négociés en Egypte
par le général Emile Boustany, alors commandant en chef de
l’Armée, avec Yasser Arafat. Le scandale réside dans le fait
que l’article 15 dudit accord stipulait: “Ce document restera très
secret et seuls les commandements peuvent en prendre connaissance”. Il
s’agit, en fait, des commandements palestiniens.
“Quand le président Hélou m’a demandé de faire
partie du Cabinet qu’il a constitué pour ratifier cet accord, j’ai
émis le souhait d’en lire le texte. Il a refusé, arguant
qu’il s’agissait d’un accord secret. C’est ce qu’il n’a pas dit lors de
sa dernière interview à la LBC. Comme j’avais en main une
copie de l’accord que “Al-Ahram” du Caire avait publié, je lui ai
demandé si l’artice 15 existait dans le texte.
“Sa réponse ayant été affirmative, j’ai décliné
l’offre qu’il m’avait faite de faire partie du gouvernement et il a pris
à ma place le regretté Maurice Gemayel.
“Ce qui est étrange en cela, c’est le fait pour le président
Hélou de dire à la télévision que personne
n’avait émis le désir de prendre connaissance de la teneur
de l’accord. Je lui rappelle que j’ai essayé pendant une heure,
au palais présidentiel de Sin el-Fil de le convaincre de m’en remettre
une copie et il m’a répondu: Quand vous deviendrez ministre, vous
pourrez l’avoir.
“J’ai répondu: Quand je n’approuve pas une chose, je démissionne,
comme je l’avais fait du “Cabinet des 4” après le raid israélien
sur l’AIB, le président de la République ayant refusé,
alors, de réclamer l’envoi de forces internationales.”
Le “amid” rappelle que l’Assemblée nationale avait ratifié
l’accord du Caire, sans être informé de son contenu, sauf
six députés du Bloc national et trois autres proches du président
Camille Chamoun: le R.P. Semaan Douaihy, Habib Keyrouz, Joseph Moughabghab
et un parlementaire indépendant, le Dr Albert Moukheiber qui ont
voté contre.
“Fait curieux: huit années plus tard, Charles Hélou a
déclaré à “L’Orient-Le Jour” en date du 10 juin 1977:
“Certains paragraphes ont été ajoutés à l’accord
du Caire à mon insu.” Ce jour-là, je l’ai défié,
dans le même quotidien, d’indiquer les paragraphes en question mais
il ne m’a pas répondu.”
PIERRE GEMAYEL, SECOND RESPONSABLE
- Et quels sont les deux autres responsables de la guerre (libanaise)?
“Pierre Gemayel est le second responsable qui s’est rendu à
Damas le 6 décembre 1975. Son fils Bachir - que Dieu leur accorde
sa miséricorde - a tué avec les Kataëb, cent soixante-cinq
personnes sur base de leur carte d’identité à l’entrée
de Beyrouth près du siège de l’OEL. Ce fut le “samedi noir”.
C’est ainsi qu’ont débuté les affrontements entre les Palestiniens,
les Kataëb et les “Tigres” de Camille Chamoun. Celui-ci est parti
fin 1981 à Jérusalem avec son fils Dany et y ont rencontré
Menahem Begin, pour lui demander de déployer son armée au
Liban en vue de faire sortir les Palestiniens de Beyrouth et de ses faubourgs.
Ainsi, les batailles se sont arrêtées, faisant plus de 30.000
tués.”
- Et qu’en est-il des Forces libanaises?
“Les hommes de Samir Geagea sont entrés au Chouf (après
le décès de Bachir Gemayel) où ils ont démoli
les maisons et assassiné des gens. Ce qui a provoqué les
réactions que l’on sait de la part des druzes.”
M. Eddé soutient que “les druzes n’ont pas pénétré
à Jbeil, au Kesrouan ou au Metn”; que “les Kataëb et les Forces
libanaises ont détruit Zahlé pour libérer la ville
de l’armée syrienne. Puis, à la demande d’Israël, Samir
Geagea a déployé ses forces à Kfarfalous à
l’est de Saïda. Ils y ont détruit un hôpital et deux
bâtiments universitaires édifiés par Rafic Hariri avant
de devenir chef du gouvernement. Ensuite, ils ont assassiné les
habitants de certains villages voisins. “Telle est l’Histoire et je souhaite
n’être pas dans l’erreur”.
Cependant, le leader du B.N. s’interdit de commenter le procès
intenté contre Geagea dans l’affaire de l’assassinat de Rachid Karamé
et préfère attendre le verdict de la Justice.
HARIRI ET “SOLIDERE”
De M. Rafic Hariri et de la manière dont il gère la chose
publique, M. Eddé dit que “l’homme, en raison de ses relations arabes
et internationales, était seul capable de reconstruire le centre-ville,
de constituer la société “Solidere” qui satisfait beaucoup
de Libanais et mécontente d’autres. Sans cela, il n’aurait pas été
possible de remettre en état la capitale libanaise et, une fois
la paix instaurée dans la région, le port de Haifa, en Israël
serait notre plus grand concurrent.”
A la question: Que pensez-vous de la dette intérieure et extérieure
qui s’élève à 21 milliards de dollars?; il répond:
“Je ne connais pas un Etat ayant fait faillite à cause de ses dettes.
D’autre part, le Libanais n’aime pas acquitter les impôts.
“Avant Hariri, trois gouvernements présidés par Rachid
Solh, Salim Hoss et Omar Karamé n’ont rien pu faire, parce qu’ils
n’ont pas voulu s’endetter. Naturellement, Hariri ne peut libérer
le Liban d’Israël et de la Syrie. Il est demandé à l’Amérique
de forcer son allié israélien à appliquer la résolution
425. Israël évacuera le Sud et, par la suite, la Syrie devra
se retirer de notre territoire.”
- Voudriez-vous ajouter quoi que ce soit à vos déclarations?
“Je voudrais dire que les députés maronites qui se sont
rendus à Taëf ont contribué à la guerre. La conséquence
de leurs conciliabules fut la réduction des prérogatives
du président de la République. En ce qui concerne l’armée
syrienne, ils se sont prononcés en faveur de son redéploiement
en lui exprimant leur gratitude... ce qui fait rire et pleurer à
la fois.”
Et de poursuivre: “Les maronites ont fait du Liban un Etat indépendant
de la province syrienne et le mérite en revient à Daoud Ammoun,
au patriarche Hoyek, à Mgr Abdallah Khoury et à Emile Eddé.
Ils ont été à Paris en 1918 et 1919, à l’effet
de convaincre la France, puissance mandataire, de proclamer l’indépendance
du Liban. A ce propos, la carte élaborée par l’armée
française en 1862 a été adoptée, après
que de légères modifications y furent introduites au Liban-Sud.”
LES MAINS DU GÉNÉRAL AOUN, ENTACHÉES
DE SANG
- Qu’auriez-vous à dire du général Michel Aoun?
“Il a engagé une grande bataille à Achrafieh le 31 décembre
1990, pour contraindre Samir Geagea à prendre position contre Taëf.
Cette bataille s’est soldée par des centaines de victimes chrétiennes
et la démolition de dizaines d’édifices. Fait curieux: le
général a déclaré au “Figaro” en date du 11
octobre 1990, quand on lui a demandé s’il rejetait tout ce qui découle
de l’accord de Taëf: “Je suis prêt à tout accepter, même
le gouvernement issu de Taëf.”
“Pourtant, à cause de Taëf, il a engagé une bataille
contre les Forces libanaises, au cours de laquelle quatre cents commandos
de l’armée libanaise ont été encerclés à
Adma où treize hélicoptères ont été
mis hors d’usage. Grâce à l’abbé Boulos Naaman, à
l’avocat Chaker Abousleiman, Geagea a élargi les commandos.
“Les mains de Michel Aoun sont donc entachées de sang libanais
et son objectif était d’accéder à la présidence
de la République. De fait, il a déclaré à la
revue “Al-Watan Al-Arabi” le 19 mars 1993: “Raymond Eddé est mort,
que Dieu ait son âme”... Je veux rassurer Michel Aoun en disant ceci:
Je mourrai quand Dieu le voudra. Et si le Très-Haut me prête
vie, c’est pour défendre ma patrie et de tenir tête à
quiconque veut la détruire.
“Enfin, les maronites, surtout leurs leaders, étaient censés
préserver le Liban et son peuple. Malheureusement, certains d’entre
eux l’ont agressé et attaqué ses fils, afin de sauvegarder
leurs intérêts personnels.”