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LE TEMPS DES DOULOUREUSES RÉVISIONS  
 
Inauguration solennelle d’une nouvelle aile ultra-moderne de l’aéroport de Beyrouth, inauguration aussi solennelle de deux tunnels non moins ultra-modernes dans la capitale, les sapins de Noël alignés dans les moindres rues de Beyrouth (à Achrafieh, en tout cas), une débauche de lampions et de lumières comme on n’en a jamais vu de mémoire de Beyrouthin... On n’arrête pas le progrès conduit de main de maître par M. Hariri. Et c’est aussi la fête.
Et pourtant, il n’y a jamais eu autant d’agitation politique et de manifestations de mécontentements.
En dépit des analyses et des explications des principaux piliers du gouvernement (Hariri, Murr, Sanioura et Sabeh), il est difficile de croire que tout ce branle-bas, aussi bien dans la rue qu’au sein du parlement, n’est que l’œuvre de quelques têtes brûlées et de gens de mauvaise foi.
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Et pourtant? dira M. Hariri, voici mes œuvres, elles parlent pour moi.
Eh! bien, il est temps que M. Hariri (et ses trois principaux collaborateurs) reconnaissent que ces témoignages de tunnels, d’aéroport et de débauche d’électricité ne suffisent pas à combler les aspirations des Libanais.
Il existe, incontestablement, un sentiment de frustration, d’inquiétude et une impatience que M. Hariri, malgré toute sa bonne volonté, paraît incapable de mesurer, d’expliquer et de comprendre. On interdit d’en parler? A l’instar du général Aoun, pour ce qui le concerne.
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C’est un constat de fait que nous dressons ici, un peu sommairement. Nous ne nous hasarderions pas à une analyse qui serait nécessairement taxée de parti pris (c’est l’usage!) par les détenteurs du pouvoir. Mais dès lors qu’ils assument, depuis cinq ans, les responsabilités de l’Etat, ne leur appartient-il pas, à eux-mêmes, de tirer les conséquences de leur gestion? A leurs yeux, les bilans dressés par leurs adversaires manquent d’impartialité. C’est possible. C’est ce qu’on appelle le jeu politique.
Mais trêve de jeu! Le pays a un urgent besoin d’un langage correspondant à ses préoccupations, des réponses claires, précises, objectives aux nombreuses interrogations qui sont soulevées aussi bien dans la presse qu’au parlement même, ainsi que du haut des chaires des églises et des mosquées.
Des réponses fondées sur une réévaluation du système de gouvernement pratiqué depuis cinq ans et de ses priorités, sur une meilleure compréhension des causes du malaise public. Cela relève de la responsabilité de ceux qu’on appelle justement “les responsables”.
Il ne suffit pas de proclamer à tout bout de champ: “Je fais mon travail, je poursuis une grande œuvre de reconstruction et de développement et si vous n’êtes pas contents, je n’y peux rien. Voyez donc le nombre de témoignages qui nous viennent de l’étranger sur la qualité de nos réalisations.”
A quel prix sont faites ces réalisations? Dans quelles conditions de rigueur juridique, adminis-trative et de rectitude financière? Et selon quel ordre de priorités correspondant aux besoins les plus urgents du pays?
Et qu’est-ce qui a été fait pour éviter le gaspillage (dont on admet un peu tard l’étendue) et pour établir une discipline dans la fonction publique?
Qu’a-t-on fait, après avoir stabilisé le taux de change de la monnaie, pour stopper la dégradation continue du pouvoir d’achat de cette monnaie?
Faut-il rappeler toutes les promesses, à tous les niveaux du pouvoir et dans tous les domaines, qui n’ont pas été tenues: depuis la simple réglementation du trafic routier, jusqu’au retour des déplacés, jusqu’au rééquilibrage de la Constitution, en passant par une réforme électorale plus juste et par des élections municipales de nouveau menacées d’ajournement?
Qu’est-ce qui est important, qu’est-ce qui n’est pas important aux yeux du gouvernement?
Quelle sorte de politique peut assurer la paix civile et la cohésion sociale?
Et comment peut-on ignorer l’effet sur le sentiment public des diatribes périodiques de certains ministres contre le gouvernement même dont ils font partie? Ne sont-ce pas là encore des témoignages?

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M. Hariri a reproché aux étudiants manifestant dans la rue leurs slogans et de se contenter de slogans. Et si les slogans où se complaisent les maîtres de la République ne font plus d’effet, sinon un effet de désespoir?
Slogans contre slogans?
Il est temps de s’asseoir autour d’une table et de réfléchir un peu en partant de ce constat que tout ne tourne pas rond, qu’il faut déceler les vraies causes du malaise, d’en assumer honnêtement la responsabilité, de rechercher les moyens d’y remédier. De tous ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir, nul ne peut rejeter sur l’autre la faute. Tous, à des degrés divers, sont impliqués. Devenir crédible, tel est le problème.
On a beau vouloir être optimiste, il est peu probable que cette classe politique y parvienne jamais.
Cinq ans déjà - sept ans même - le pli est pris, un mauvais pli. 

 
 
 

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