LA QUESTION SOCIALE A TOUJOURS ÉTÉ AU CENTRE DE SES PRÉOCCUPATIONS
GEORGES KHADIJE: "ON NE PEUT ÉTABLIR UN PARALLÈLE ENTRE LA SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE D'AVANT-GUERRE ET CELLE D'AUJOURD'HUI"

 

“Nous manquons d’une politique sociale claire aux objectifs bien définis”.
Le Dr Georges Khadije qui avait posé sa candidature aux législatives de 1996 sur la liste du président Salim Hoss, pour le siège maronite de Beyrouth à l’Assemblée, concilie l’enseignement universitaire à sa profession d’avocat et à la politique dans laquelle il s’implique chaque jour davantage.

Il est fier de constater que nombreux parmi les responsables actuels au pouvoir et ceux ayant assumé les charges officielles, ont été ses  étudiants à l’université. C’est le facteur fondamental sur lequel il s’est basé pour décocher son offensive contre la politique, si on peut ainsi s’exprimer. Cependant, il reste dans son dialogue, ce fervent adepte de l’esprit académique, liant les causes aux effets, avant d’exprimer ses opinions et de prendre position envers les problèmes de l’heure.

PROBLÈME DE NIVEAU DE VIE
Rappelons qu’il avait assumé pendant un certain temps la présidence de la Caisse nationale de Sécurité sociale. A ce titre, nous lui demandons d’établir un parallèle entre la question sociale telle qu’elle se présentait autrefois et aujourd’hui, d’autant qu’il dispose d’un projet visant à améliorer les prestations de la CNSS.
“Je voudrais, dit-il, faire une simple rectification. La question sociale n’a jamais été absente de mes préoccupations, depuis le temps où j’ai commencé ma vie professionnelle en tant que membre du Barreau; puis, que chef du contentieux à la CNSS en 1965. Et même après avoir cessé d’exercer mes charges en tant que président du conseil d’administration de la CNSS.
“Cet intérêt que je porte à la question sociale a été la plus importante des motivations qui m’ont incité à poser ma candidature aux élections législatives de 1996.
“Pour revenir à votre question, je tiens à mentionner que je suis optimiste par nature, essayant toujours de voir l’aspect positif et non négatif des choses. En dépit de la crise socio-économique dont pâtit le Liban qui est, à mon avis, la conséquence naturelle des années de guerre; cette crise, dis-je, n’y a échappé à ma connaissance, aucun pays s’étant exposé comme le nôtre à une guerre civile destructrice. Qu’il s’agisse d’un grand pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne; ou petit comme la Bosnie-Herzégovine, l’Irlande et d’autres.
“Partant de là, il n’est pas permis d’établir une comparaison entre la situation sociale, telle qu’elle était avant la guerre et ce qu’elle est aujourd’hui.
“Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que la situation est sombre au point que d’aucuns l’imaginent ou veulent nous la décrire. Le véritable problème social actuel, comme nous l’a exposé l’un des experts les mieux versés dans les questions sociales, est celui du niveau de vie et non de vie dans l’absolu.

BAISSE DU NIVEAU DE VIE
“Le Libanais pâtit, maintenant, d’une baisse dans son niveau de vie, par rapport à ce qu’il en était avant et durant la guerre, dans une certaine limite.
“Cependant, on ne peut ignorer certaines questions fondamentales, telle la possibilité pour les citoyens de s’approprier les appartements où ils résident, d’assurer leur hospitalisation aux frais du ministère de la Santé ou d’inscrire leur progéniture dans les écoles publiques dont le niveau ne cesse de s’améliorer. Il en est de même par rapport à l’université libanaise, sans perdre de vue l’amélioration de certaines prestations sociales, en ce qui concerne les allocations familiales, les indemnités de transport, les bourses scolaires notamment.
“Tout cela me porte à me poser la question ci-après: la situation sociale est-elle, aujourd’hui pire que ce qu’elle était avant ou même durant la guerre? Les chances étaient-elles plus disponibles avant la guerre dans la même proportion qu’à l’heure actuelle?
“Une mauvaise situation permettrait-elle l’intégration d’un tel nombre d’ouvriers étrangers qui affluent au Liban pour s’assurer un revenu alléchant et respectable?”

PARALLÈLE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET CULTUREL
- Voulez-vous dire que la situation est meilleure aujourd’hui que précédemment?
“Je n’ai pas dit cela dans l’absolu. J’ai précisé que nous pâtissons, aujourd’hui d’un problème de niveau de vie. En fait, le niveau de vie de la classe moyenne et spécialement, de la classe modeste, a baissé d’une manière palpable. Mais cela ne suffit pas, à mon avis, pour porter un jugement sur la situation sociale dans son ensemble. Car celle-ci a connu, comme je l’ai signalé, une amélioration dans bon nombre de domaines vitaux et une régression dans d’autres. De sorte que l’évaluation globale n’est pas négative.
“Je crois que la baisse du niveau de vie de la classe moyenne laisse cette impression quant à la dimension de la crise socio-économique.
“S’il m’est permis d’user d’une comparaison, on peut rapprocher la situation socio-économique actuelle, de la situation culturelle. La génération dont je me réclame, excellait dans une large mesure aux plans des langues, des lettres et des sciences sociales, alors que la nouvelle génération, laisse à désirer dans ces domaines de la culture. En revanche, elle excelle mieux que notre génération dans la technologie moderne, l’informatique, le computer, l’Internet et l’électronique.
“Peut-on affirmer que la nouvelle génération n’est pas cultivée ou l’est-elle moins que la nôtre? En fait, elle bénéficie d’une culture différente de celle dont nous étions fiers.”

QUI EST RESPONSABLE?
- Qui est donc responsable de la baisse du niveau de vie?
“Si je veux être réaliste, objectif et équitable, je dirai que le principal responsable est la guerre dont nous n’avons ressenti les séquelles économiques et sociales qu’après sa fin.
“Mais il ne fait pas de doute que la politique sociale et économique suivie depuis la fin des douloureux événements, supporte une grande part de cette responsabilité. Il est regrettable de dire que cette politique manque d’une conception globale et complémentaire, comme d’une planification aux objectifs clairs.
“On sait qu’il n’y a pas de politique sans une telle planification définissant les buts à atteindre. Ici me revient à l’esprit une expression célèbre consignée dans les “Mémoires” du général de Gaulle qui constitue en elle-même un programme de travail: Je me suis toujours fait une certaine idée de la France.
“Pouvons-nous dire qu’il existe chez nous, aujourd’hui, par rapport à la politique sociale et économique, une idée directrice orientant cette politique et en déterminant les objectifs? Ou bien improvisons-nous chaque fois qu’émerge un problème social, en lui recherchant des solutions momentanées sans le résoudre d’une manière radicale?
“C’est l’une des causes principales en plus de la guerre, à la crise actuelle dont on ne peut sortir avec des moyens improvisés. Cette dernière ne peut être réglée que par une planification élaborée sur la base d’une conception globale claire, par des économistes et des sociologues connus pour leur compétence et leur longueur de vue, non par des personnes respectables mais non versées dans ces deux domaines.”

“LA VÉRITÉ VOUS LIBÈRERA”
- La question des libertés est posée actuellement avec acuité et des voix s’élèvent appelant à leur défense. Auriez-vous une conception déterminée à ce propos?
“Pour répondre à cette question, je commence par évoquer une parole du Christ qui a dit: “Aimez la vérité et la vérité vous libèrera.”
“A mon avis, il n’y a de vérité véritable que celle qui émane de la vérité et donne à chacun son dû, reconnaissant les positivismes et dénonçant les négativismes. Je suis connu pour être non seulement un fervent partisan des libertés, mais un “amoureux de la liberté” et je ne conçois pas qu’on puisse vivre sans elle.
“Cependant, il faut distinguer entre les libertés et ne pas les placer toutes dans la même case. On ne doit pas, surtout, en faire un mauvais usage, faute de quoi on aurait tendance à crier avec Mme Roland, épouse du célèbre révolutionnaire français: “Liberté, liberté, que de crimes on commet en ton nom.”
“Les libertés sont nécessaires, à condition d’en user à bon escient. Il importe aussi d’établir une distinction entre les libertés civiles et politiques. Si elles sont toutes importantes et nécessaires, il va sans dire que les premières ne tolèrent aucune condition, ni restriction. Alors que les secondes sont astreintes d’office à la loi et ne doivent pas porter atteinte à la paix civile.
“Il faut éviter l’abus de droit... Il s’agit de la manière saine d’user de la liberté avec bonne foi, sinon elle dévie de son objectif, si on l’utilise à des desseins inavouables.”

(Propos recueillis par NADIM EL-HACHEM)
 

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