Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

INCONSCIENCE ET CONSCIENCE

Les amnistiés de la drogue ne sont pas contents, ni les députés qui les représentent non plus. Ils protestent contre leurs droits spoliés, leur respectabilité mise en doute, leurs ambitions d’accéder aux plus hautes charges contestées.
Les amnistier collectivement, massivement et totalement n’était, semble-t-il à leurs yeux, qu’une simple mesure de justice qui leur était due. Mais vouloir les tenir à l’écart de la fonction publique est, par contre, un flagrant déni de justice et un viol grave des droits de l’homme. C’est du moins l’imparable logique dont nous a gratifié l’un des députés de Baalbeck-Hermel, dont je tairais le nom pour ménager la pudeur de ceux qui l’ont élu.
A entendre ce député, notre Etat est pourri jusqu’à la moelle et ses diri-geants génétiquement en dégénéres-cence, non pas pour avoir libéré 31.200 trafiquants de drogue d’un seul coup, non pas pour avoir accordé une absolution plénière et un quitus total à des monstres qui vendent la mort jusque dans les classes primaires et aux portes des universités, non pas pour avoir multiplié la délinquance dans ce pays par  31.200, non pas pour avoir pris le risque de nous replacer sur la liste noire internationale comme l’un des pays-paradis des narcotiques - liste dont nous avions eu toutes les peines du monde à en sortir - mais pour hésiter à restituer à cette classe d’assas-sins la plénitude de leurs droits civiques.
Qui dit mieux? D’après ce député, épris de justice, de sens moral et civique, il est scandaleux de refuser aux trafiquants de drogue - puisqu’ils sont amnistiés - le droit de postuler une fonction publique. Dans le ministère des Finances par exemple, dans la douane ou les FSI ou, mieux encore, dans la magistrature, à moins que ce ne soit dans l’Education nationale, les universités, les centres de formation pour jeunes. Et pourquoi pas dans l’Agriculture?
Vraiment, on aura tout entendu, tout vu, tout enduré, non pas seulement de la part du gouvernement, mais aussi d’un parlement-malgré-nous où les quelques consciences qui surnagent sont submergées par la masse rampante d’une majorité de zombies qui ignorent jusqu’à la moindre notion de décence. Un proverbe libanais dit: “Ceux qui ont eu honte sont morts”. Dans ce cas, que nos parlemen-taires se rassurent, ils sont partis pour devenir centenaires.
***

Cependant, l’horizon n’est pas, aussi sombre que celui qu’on entrevoit à travers les mal-élus de la place de l’Etoile. Surtout, quand cette lueur d’espoir est le fait d’un dignitaire religieux de haut rang, au raisonnement clair et percutant et qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots, ni de faire de la surenchère. Il s’agit de l’uléma cheikh Mohamed Hussein Fadlallah.
L’affaire tourne autour du mariage civil. C’est une idée avancée par le président de la république qui a soulevé la tempête. Il faut dire que des projets de loi dans ce sens, ont été déposés sur le bureau du parlement, depuis l’avènement de l’indépendance. A chaque fois, ils ont été étouffés par des dignitaires religieux, toutes confessions confondues.
Il est étrange et pour le moins étonnant, de constater que l’entente entre les différentes communautés religieuses qui se côtoient dans ce pays ne se fasse qu’autour de négations: refus de voir, refus d’accepter, refus de discuter, refus même de penser. Refus qui peuvent, en l’occurrence, se résumer en un seul: refus de renoncer à leurs prérogatives et privilèges.
Et voici qu’un très haut dignitaire musulman, un uléma - et non des moindres - qui déclare que le mariage civil est “tolérable du point de vue de la charia”, d’autant plus que la présence d’un homme de religion n’est pas nécessaire et d’ajouter: “La laïcité peut très bien coexister avec la religion, comme c’est le cas dans les pays occidentaux. Nous trouvons, au contraire, que ces pays-là sont de loin préférables à d’autres qui se prétendent musulmans comme la Turquie. Car, dans ce pays la laïcité est contre la religion.”
Nous sommes loin des outrances entendues, l’autre soir, à la télévision, au cours d’un talk show. De telles outrances, outre qu’elles nous ramènent aux ténèbres du Moyen-Age, font assumer à la religion - qu’elle soit chrétienne ou musulmane - un obscurantisme dont, par définition, elle devrait être l’antithèse.
Mais combien de cheikh Fadlallah nous faut-il dans ce pays pour faire taire les innombrables voix discordantes? 


Home
Home